mercredi 14 juillet 2010

Godflesh / Streetcleaner


Quelle est belle et classieuse cette réédition de Streetcleaner. On s’y attendait, on l’espérait, on savait que Justin Broadrick bossait très sérieusement dessus et on n’est vraiment pas déçu du résultat. Cette énième version, remasterisée et augmentée, est bien à la hauteur du premier grand chef d’œuvre de GODFLESH datant quand même de 1989. Et Earache a fait les choses tout comme il faut : alors que les précédentes rééditions de Godflesh assemblaient les disques du groupe par pack de deux voire trois, Streetcleaner* et sa célèbre pochette tiré du film Altered States** a droit à un traitement de faveur en bénéficiant d’une publication pour lui tout seul et sur deux CDs s’il vous plait. Premier disque : l’album tel qu’on le connait depuis des années, incluant les quatre mêmes titres bonus que sur les précédentes éditions CD – ces quatre titres auraient du constituer le EP Tiny Tear qui n’a jamais vu le jour, sans doute parce qu’ils sont de facture très moyenne – et le tout a été nettoyé pour l’occasion mais pas trop. Deuxième disque : des mix inédits, du live, des enregistrements captés dans le local de répétition, des démos, un programme encore et toujours sélectionné par Broadrick***.




















Faut-il réellement revenir sur Streetcleaner ? Il n’y a aucun doute là-dessus, ce disque est le maître étalon du metal industriel à venir et il influencera nombre de groupes et de suiveurs souvent moins glorieux ou carrément poussifs****. On appelle ça la rançon du succès. Broadrick, encore très jeune musicien (en 1989 il a tout juste 20 ans et a déjà participé très activement à plein de groupes dont Final, Napalm Death, Head Of David, Fall Of Because…) est aussi un grand fan de musique. Il adore Killing Joke, cela s’entend dans son son de guitare très influencé par celui de Geordie Walker, mais pas seulement. Lorsqu’il lui vient cette idée d’allier des guitares ultra plombées et métalliques mais grésillantes à une grosse basse et surtout à une boite à rythmes que l’on dirait piquée à Big Black c’est un vrai coup de génie. Lequel prend d’abord la forme d’un EP éponyme en 1988 sur Swordfish Records – réédité deux ans plus tard par Earache avec des bonus inutiles – et qui d’emblé installe Godflesh dans un statut à part, inimitable. Or Streetcleaner est bien supérieur à ce premier EP. Que ce soit dans le registre de la bourrade (Like Rats, Chrisbait Rising, Streetcleaner) que celui du lent et du lourd (Mighty Trust Krusher, Locust Furnace) qui donne à Godflesh un air de lointain cousin métallique des Swans. Mais le meilleur ou en tous les cas le plus novateur ce sont les titres d’apparence déconstruite avec la boite à rythmes qui s’affole (Pulp, terrifiant, ou Head Dirt, tribal) et surtout le très sombre et ironique Life Is Easy. Un titre qui malheureusement semble raccourci – ou alors c’est moi qui souhaite qu’il ne s’arrête jamais ? – mais qui sonne terriblement poisseux, malsain et désespéré.
La remasterisation effectuée sur Streetcleaner n’a rien de stéroïdée ou d’étouffante : elle remet par contre la basse de G.C. Green à sa juste place tout comme elle rééquilibre les deux faces du disque. La première (titres 1 à 5) était légèrement en deçà de la seconde (titres 6 à 9), enregistrée c’est vrai avec une deuxième guitare, celle de Paul Neville qui avait déjà joué avec Broadrick et Green dans Fall Of Because et futur leader de Cable Regime. Paru à la toute fin des années 80 et alors que metal extrême rime avec concours de vitesse, Streetcleaner sera le disque de metal le plus terrifiant et le plus perturbant de toutes les années 90. Justin Broadrick et Godflesh auront l’intelligence de ne pas essayer de rééditer la chose, partant dans de nouvelles directions et dans de nouvelles collaborations – avec Robert Hampson par exemple, ce qui donnera dès 1992 un autre chef d’œuvre de Godflesh, Pure.

* en patois argotique un streetcleaner c’est le nom que l’on donne à une mitraillette Uzi
** Au-delà Du Réel en français, un film sans grand intérêt de Ken Russell dans lequel William Hurt prend beaucoup de drogue, cherche Dieu et finit par se transformer en primate néanderthalien certes, mais qui a enfin vu la lumière…
*** tout ce qu’il faut pour le fan mais rien d’inoubliable non plus, juste le nécessaire habituel pour satisfaire la soif d’histoire des musicologues entomologistes
**** des imitations il y en aura quelques unes comme les premiers disques de Pitch Shifter (tout juste passables) ou les très mauvais Sonic Violence, un groupe de sales skins anglais