samedi 24 juillet 2010

Festival Expérience(s) au Périscope (deuxième soir)


Je ne vais pas essayer de mentir, je n’étais jusqu’à présent jamais allé au Périscope, et ce malgré l’insistance de quelques connaissances bien mieux informées que moi. Les rares groupes gravitant autour de ce lieu et que j’avais pu voir en concert l’avaient toujours été dans des endroits autres, au Sonic ou au Grrrnd Zero pour ne pas les nommer. Si je n’avais pas reçu un mail d’invitation en bonne et due forme émanant de ses organisateurs, je ne me serai donc pas non plus intéressé au Festival Expérience(s) mis en place sur trois jours au Périscope par le Grolektif. Une affiche alléchante, quelques pointures, quelques vieilles connaissances et pas mal de choses parfaitement inconnues. Je décide donc de jeter mon dévolu sur le deuxième soir : tant pis pour PAK (avec Ron Anderson des Molecules) qui jouait le jeudi et tant pis pour Sheik Anorak qui jouera lui le samedi.
Le Périscope est perdu dans un endroit sinistré de Lyon, coincé entre des voix ferrées et une célèbre prison désormais désaffectée – il se murmure que ses bâtiments, classés, vont être reconvertis en résidences étudiantes, le symbole est savoureux. Les rues sont complètement désertes même en plein milieu de la journée et je regrette presque de ne pas avoir piqué la voiture de mon travail pour m’y rendre tellement il y a de la place pour se garer, y compris pour un handicapé du créneau tel que moi. J’attache donc mon vélo non sans appréhension à l’angle du vieux bâtiment qui abrite le Périscope, je jette un coup d’œil prudent à l’intérieur de la salle et décide d’attendre dehors que des connaissances arrivent pour y entrer enfin avec elles. Première cigarette.
La salle est vraiment bien, spacieuse – j’imagine que 150 personnes peuvent aisément y trouver leur place sans que le concert devienne trop invivable – et bien équipée. Le bar est agréable, la lumière est douce, les personnes qui s’occupent du lieu sont accueillantes. La seule chose qui me chiffonne ce sont les chaises et les fauteuils installés devant la scène. Ah oui… je suis dans un club de jazz ou assimilé et on s’y assoie pour écouter de la musique. Une habitude que je n’ai jamais réussi à (com)prendre mais que je ne trouve pas plus étrange que la méthode hippie qui consiste à s’assoir par terre comme un chien galeux pour écouter un concert de musique transcendantale.
















Je m’installe alors sur une confortable banquette pour assister au premier groupe, Samsonite Orchestra. En fait d’orchestre il n’y a qu’un seul bonhomme sur scène, Julien Israelian, qui a eu l’idée d’un orchestre de poche un jour qu’il achetait une vieille valise dans une brocante. Pas une Samsonite en plastoc, de celles que l’on imagine bien au bout du bras d’un golden boy trop pressé en transit à l’aéroport, mais une valise toute pourrie et remplie de curieux instruments fabriqués maison. Deux loop stations complètent l’installation.
La musique de Samsonite Orchestra c’est essentiellement de la bricole à base de cordes pincées, frottées et percutées dont les sons sont mis en boucle, empilés, assemblés. Certains de ces sons sont très étranges et parfois poétiques, la filiation avec la musique de Pierre Bastien s’impose mais Samsonite Orchestra va beaucoup plus loin, créant de véritables rythmiques, s’installant dans le répétitif pour une espèce de techno minimale entièrement conçue à la main et plutôt évanescente comme un vieux tatapoum de Wolfgang Voigt/Gas.
Jusqu’ici tout va bien. Il est par contre dommage que notre garçon cherche toujours à en rajouter au lieu de laisser tourner ses boucles, qu’il appose par-dessus de la bidouille supplémentaire qui foute tout en l’air, alourdissant son propos. Il a du mal également à gérer ses transitions, son bricolage étant moins précis dans le start/stop qu’un laptop dument domestiqué. Malgré ses gros défauts de maîtrise il y a un charme certain à la musique de Samsonite Orchestra qui n’évite pas non plus l’écueil de jouer trop longtemps, prenant le risque d’user son auditoire. Il est temps de sortir dehors pour vérifier que mon vélo n’a pas disparu et pour fumer une deuxième cigarette.
















Le deuxième groupe s’appelle AM PM et il s’agit cette fois d’un duo composé de Emmanuel Scarpa à la batterie et à la bidouille et de Clément Edouard au saxophone, au laptop et autres effets. La présence dans ce tandem du saxophoniste des excellents Lunatic Toys – bientôt une chronique de leur non moins très bon premier album – est l’une des deux raisons qui m’ont poussé ce soir à venir jusqu’au Périscope. Je n’ai jamais écouté la musique de AM PM, en toute confiance je ne m’attends donc à rien de précis sauf à ne pas être déçu.
C’est pourtant exactement ce qui s’est produit. La musique de AM PM m’a semblée beaucoup trop rigide, froide, engoncée, sans émotions. Les idées des deux musiciens ne m’ont également guère convaincu. Précisons tout de même à leur décharge que je suis complètement réfractaire aux mélanges électronique et jazz sauf si c’est dans une optique complètement bruitiste ce qui n’a pas été le cas mis à part sur un titre où de grosses fréquences basses ont fait leur apparition tandis que la batterie passait en mode martelé. Mais la plupart du temps les sons synthétiques sont irritants, mal amenés, et le mélange ne prend pas. Je préfère m’éclipser à la fin du set pour une nouvelle ronde vélocipédiste à l’extérieur, une nouvelle cigarette et une bière bien fraîche.
















Le dernier groupe est également un duo et dedans on retrouve Rodolphe Loubatière, batteur de RYR (encore un groupe du Grolektif particulièrement apprécié et la deuxième raison de ma venue) ainsi que Franck Vigroux, un platiniste (également guitariste mais il ne jouera pas de guitare ce soir) dont le curriculum vitae se passe de commentaire, jugez plutôt : Franck Vigroux a joué ou joue encore avec Elliot Sharp, Marc Ducret, Hélène Breschand, Bruno Chevillon, Matthew Bourne, Zeena Parkins, Ellery Eskelin, Joey Baron…
Les deux musiciens entrent directement dans le vif du sujet, ne s’embarrassant guère de détails et pilonnant l’atmosphère à l’aide d’une cacophonie bruitiste contrastant violemment avec les deux premiers groupes de la soirée. Franck Vigroux maltraite ses vinyles sur ses deux platines (une façon de faire qui m’a toujours rendu un peu malade pour des raisons évidente de matérialisme phonographique aigu) et Rodolphe Loubatière choisit l’option gros bras qui en met de partout – il bricolera également un petit peu à l’aide d’accessoires divers et variés posés à côté de lui sur une table.
Le résultat rappelle là aussi fortement quelque chose, en l’occurrence le Live Improvisations de Christian Marclay et Gunter Muller paru sur For 4 Ears records en 1994 – Marclay s’y montrait comme un manipulateur hors-pair et sadique de vinyles tandis que Gunter avait déjà à cette époque grandement recours à l’électronique dans son jeu de batterie de plus en plus touche tout.
Malgré l’absence certaine d’originalité (pas très grave en soi) et surement mis en confiance par un manque de finesse volontaire (une bonne méthode pour faire du bruit) le duo Vigroux/Loubatière remplit parfaitement le cahier des charges d’une musique musclée et vive, qui débouche enfin les oreilles et les sphincters. Qu’en dire de plus ? Rien, ce concert a fait l’effet d’une bonne douche de décibels, comme peut le faire un concert de punk braillard ou une performance harsh. Rien de nouveau si ce n’est un changement d’air entre les neurones. Fort à propos, le concert n’a pas duré longtemps, permettant à la plaisanterie d’en rester une. J’ose espérer que l’aspect ludique et iconoclaste est bien ce que recherchaient les deux musiciens.