vendredi 23 mai 2008

Nadja / Desire In Uneasiness


Ce n’est plus un secret pour personne, Aidan Baker a voulu opérer quelques changements dans la musique de Nadja. Le résultat de ces changements s’appelle Desire in Uneasiness, premier album depuis fort longtemps de la part de duo canadien comprenant uniquement du matériel totalement inédit, c’en est fini des rééditions (quoique…). Un retour d’activité avec tambours et trompettes puisque c’est Crucial Blast qui s’est occupé de la sortie de cet album, ça c’est pour les trompettes. Côté tambours, ce disque est donc le premier de Nadja à avoir été enregistré avec un batteur, Jakob Thiesen qu’il s’appelle le gars (et il est membre de L.F.I. ou si on préfère Lysergic Fiction Incorporated, tout un programme). Autre changement, assez notoire : pour l’illustration de son CD Nadja a laissé tomber les habituelles abstractions et a demandé au Reverend Aitor un curieux artwork dont je ne suis guère friand. Le bonhomme, qui est aussi révérend et misanthrope que je suis chroniqueur mondain, s’est fait une spécialité de ses unflattering portraits (voici celui de Leah Buckareff, bassiste de Nadja…). Je crois que j’ai fait le tour de toutes les nouveautés apparaissant sur ce disque. Ah non : Aidan Baker ne chante pas du tout sur Desire in Uneasiness, voilà un album rigoureusement instrumental et où il n’y a pas non plus de samples de voix.
En incorporant un batteur/percussionniste à son line-up de base, Nadja a perdu, comme on pouvait s’y attendre un peu, toute la lourdeur mécanique et industrielle que lui conférait l’utilisation des boites à rythmes mais en échange le duo a gagné… oui, qu’est ce qu’il a gagné ? Rien du tout serait on tenté de dire, même après plusieurs écoutes. Bien au contraire. On passe et on repasse le disque, on varie les activités annexes (écouter en réparant les vélos des gosses, en faisant le repassage, en lisant dans un magazine généraliste un article sur le réchauffement climatique, en ne faisant rien du tout, en fermant les yeux, etc) mais rien n’y fait : le mystère de Desire In Uneasiness c’est qu’apparemment il n’y en a pas, ou alors pas beaucoup. Un vrai scandale avant d’être une cruelle déception. Mais j’ai décidé de ne pas être déçu par ce groupe.






















Les cinq titres présents ici sont étonnamment libres de tout empilement, de toute stratification du son. Pour un peu, on peut même penser que Desire In Uneasiness est composé au moins aux deux tiers d’enregistrements live, à peine retouchés, juste réédités à la production. Impossible de se perdre en effet dans les habituels maelstroms de guitares, dans les tempêtes de saturations et d’échos. Les changements voulus par Aidan Baker sont en effet beaucoup plus drastiques que celui, tout simple, d’une beat box remplacée par une vraie batterie. Nadja a donc décidé de prendre son temps, de jouer ensemble, sa musique n’est plus une construction savante de studio -chose que le duo savait étonnamment bien faire puisque il arrivait quand même à dépasser le stade de l’objet sonore pour tirer vers l’humain- et les fils de l’improvisation ont semble t-il été déroulés plus que de coutume pendant l’enregistrement de ce disque.
Ce changement (que je suppose uniquement) de mode opératoire et de méthode impose donc directement un changement de perspective : le son de Nadja a évolué, flirtant avec plus de légèreté et plus d’approximation (Affective Fields) -si approximation il y avait auparavant, celle-ci était bien noyée sous une tonne de delay et de reverb donc on ne s’apercevait de rien- et passant du mode autiste, celui qui nous poussait entre quatre murs chargé d’un son tellement hypnotisant que nous ne faisions rien pour en sortir, à plus de générosité, moins de calcul, davantage de spontanéité qui c’est vrai frise parfois la naïveté. La naïveté est bien ce qui choque le plus dans le nouveau Nadja. On peut se poser la question de la pérennité de l’expérience Desire In Uneasiness : le groupe va-t-il définitivement devenir un trio ? Le groove bancal de la deuxième partie Sign-Expressions, celui, plus mélodique, de Uneasy Desire, la lourdeur oppressante retrouvée sur Deterritorialization font espérer des choses à venir belles et fortes. En attendant, je retourne à mon repassage. Mais je ne doute pas non plus une seule seconde que je reviendrai très rapidement vers ce disque beaucoup moins simpliste et à l’arrachée qu’il n’y paraît au premier abord.