mardi 7 février 2012

Report : Concert de soutien à Gaffer records au Sonic - 03/02/2012





Est-ce que vous vous rappelez de la deuxième édition du Gaffer Fest ? De ces trois soirées de concerts début octobre 2011 regroupant Hallux Valgus (R.I.P.), 80 Dates et Sister Iodine puis Dehors Pythagore!, FAT32 et MoHa! et enfin Loup et The Thing ? Un bel évènement. De la très bonne musique. Mais un public finalement pas assez nombreux, on parle en fait surtout de la troisième date, celle avec des pontes du free jazz scandinave en tête de gondole. En dehors de l’aspect assez scandaleux de la désertion du public de jazzeux ce soir là – ce n’est quand même pas tous les jours que l’on peut voir et apprécier un musicien de la carrure de Mats Gustafsson – cela a eu en effet beaucoup plus pervers mais inévitable : une perte sèche pour l’organisateur du festival, Gaffer records.
D’où l’idée d’un concert de soutien organisé au Sonic, un peu comme une collecte de pièces jaunes par un judoka préretraité, homophobe et raciste mais par contre avec que des gens biens à l’affiche et la crème de la crème des stars lyonnaises de l’underground solidaire : Seb Radix (qui n’est absolument pas l’auteur de la superbe affiche de ce concert), Kanine, Sheik Anorak, Rature et Chevignon – donc quatre groupes très différents pour un maximum de sensations et de fonds récoltés pour les bonnes œuvres de Gaffer records*. A votre bon cœur messieurs-dames et faites tourner.



Il me semble bien que Pedro De La Hoya, compagnon de Seb Radix au sein des Kabu Ki Buddah Not Dead, reprenait la chanson d’un social-traitre franchouillard qui disait quelque chose du genre Je Suis Une Bande De Jeunes A Moi Tout Seul/Je Suis Une Bande De Jeunes/Je M’Fends La Gueule… et bien ces paroles désuètes et d’un autre temps pourraient tout à fait s’appliquer à Monsieur Radix en personne : il joue tout seul sur scène et occupe l’emploi d’au moins trois musiciens intermittents du spectacle, apportant une aide précieuse à l’aggravation chronique du chômage des artistes déjà en pleine déroute, mais cela ne l’empêche pas de sourire tout le temps et de raconter des blagues à qui veut bien les entendre.
Ça tombe bien car il y a plein de monde au Sonic (en tout et pour tout 90 personnes auront bravé la vague de froid intense de ce début de mois de février), du monde prêt à supporter l’humour du monsieur qui ce soir est en très grande forme – « Kanine ne jouera pas aujourd’hui parce que le saxophoniste a une gastro et tout le monde sait bien que ce sont les mêmes orifices qui servent pour le saxophone et pour la gastro » – puis d’embrayer sur les joies du free jaaazzzzzzzzz, non sans décocher au passage quelques grimaces bien senties. Il n’y a qu’une seule raison qui fait que l’on arrive à supporter tout ce cirque par ailleurs fort réjouissant : la musique de Seb Radix, sorte de pop punk un rien folk et extrêmement lo-fi, un rien bricolé aussi et plutôt acrobatique ou de l’ordre de la prestidigitation (parce que chanter comme une rock star, jouer de la guitare, taper sur une cymbale d’un pied, jouer du synthé de l’autre et balancer des samples, oui tout ça en même temps, c’est beau comme du Remi Julienne ou du Gérard Majax) et on finit par ne plus compter les compositions vraiment catchy voire réellement émouvantes avec des paroles totalement dégueulasses (Zob Scene, You’re My Milf, Switzerland…). De loin le concert le plus drôle du bonhomme auquel j’ai pu assister.



Kanine devait jouer ensuite mais – pour celles et ceux qui n’auraient pas encore compris – le duo a du annuler car le saxophoniste était trop malade. L’autre moitié du groupe n’est autre que le boss de Gaffer records, lequel a donc décidé de remplacer Kanine au pied levé avec son propre projet solo : Sheik Anorak. Honnêtement j’aurais bien voulu revoir Kanine pour découvrir où le duo en était arrivé dans sa découverte de l’improvisation free jazz (nous y revoilà donc) mais il faut bien convenir aussi qu’avec son remplacement par Sheik Anorak, on n’a vraiment pas perdu au change non plus.
Notre homme était tout de même passablement énervé par la situation – on le comprend : il a du aller chercher d’urgence une partie de son matériel et en a emprunté également aux guitaristes de Chevignon – et a choisi de proposer un concert de Sheik Anorak dans sa version la plus dure, sous haute influence Mike Barr/Orthrelm. Un long titre qu’il avait déjà joué à une ou deux occasions mais que Sheik Anorak, fidèle à son habitude de ne jamais laisser les choses s’enliser, a de nouveau remanié. Rythmique et répétitive, bruitiste et minimaliste, cette longue pièce joue sur des changements infimes de rythmes et sur une accentuation ascensionnelle qui d’abord se fait très discrètement – on peut, en tout premier, avoir l’impression qu’il n’y a aucun changement et lorsqu’on se rend enfin compte qu’il y en a c’est que l’hypnose fonctionne à plein et que d’une certaine façon on s’est fait avoir – puis de manière de plus en plus flagrante et expressive. On finit par ne plus se demander jusqu’où la tension va monter puisqu’on est en plein dedans, comme enfermé dans un champ magnétique circulaire et totalement noise. Un incroyable moment, surtout après avoir assisté la semaine dernière au Kraspek à l’un des moins bons concerts de Sheik Anorak, car au Sonic on a tout simplement et au contraire eu droit au tout meilleur de ce garçon plein de ressources.



Il y a bien longtemps que je n’avais assisté à un concert de Rature et pour être franc je n’ai jamais été très fanatique de ce groupe, pensant que parmi tous les projets auxquels participe Damien Grange, il fallait bien qu’il y en ait au moins un qui me plaise moins que les autres. Dans Rature on retrouve donc Damien à la voix, au yaourt et aux effets ainsi que Sébastien Finck (excellent batteur des Blondette’s et de Direction Survet) à la batterie et au clavier. Rature joue du hip-hop plus ou moins improvisé et placé sous le signe de l’expérimentation : avalanche de beats décalés, de sons qui grésillent ou qui arrachent et de véritables performances vocales.
Honnêtement je ne m’attendais pas à quelque chose d’aussi puissant et d’irrésistible, de presque méchant tout en gardant le côté groove. Le Rature que je connaissais a laissé la place à un autre, mieux foutu, beaucoup plus enthousiasmant, plus lourd, plus vindicatif, plus industriel et plus palpitant. En fait il n’y a que les passages en ragga qui m’ont défrisé un tant soit peu… question de goût comme dirait l’autre. Pour le reste c’était du tout bon et de l’intense.



Chevignon** sur la petite scène du Sonic, ça s’annonçait vraiment chaud. Et pour l’occasion le groupe a sorti tout son bazar : maquillage de trolls norvégiens, masques de démons bovidés (de loups porcins ?), chapeaux de cow-boys, perruques de chanteuses boulardières et cocaïnées, double godemiché, hache de cérémonie, casque de vikings, deux tonnes et fumigènes et pas beaucoup de lumière (ambiance dark assurée). Et bien sûr une paire de guitares aiguisées comme la mort, un batteur armé jusqu’aux dents, un chanteur maniaque et hystérique et une musique tendue du slip.
Une violence crue aussi bien dans les textes que dans les instrus, des compositions qui déversent toujours ce mélange assez improbable entre haute technicité – on ne pourra pas dire que ces deux guitaristes et que ce batteur ne savent pas jouer –, vitriol, violence gratuite, sueur, je-m’en-foutisme, sérieux, dégueulasserie, crise de nerf et théâtralité. Avec ses passages grind, ses intermèdes musettes, ses accélérations pompières, ses riffs noise, sa fausse douceur par derrière, son megatube surf (Créteil***), la musique de Chevignon – tout comme l’attitude du groupe – est aussi inclassable que dérangeante, représentant ainsi un exutoire assez intense et malade mais finalement très encourageant. Au moins quand tu vas à un concert de Chevignon tu sais pourquoi tu te fais malmener. Mais c’est ton choix.

Et Chevignon est en tournée tout de suite, là, maintenant, et qui plus est en compagnie des excellents Grand Prédateur : les dates de Nevers et de Clermont sont déjà passées mais les deux groupes jouent ce mardi 7 février à Toulouse (Petit London), le 8 à Bordeaux (Saint Ex), le 9 à Nantes (Stakhanov), le 10 à Rennes (Terminus), le 11 à Rouen (Emporium), le 12 à Amiens (Grand Wazoo) et le 14 à Paris (La Miroiterie) – ne les ratez pas !

* d’autant plus que Gaffer Records annonce la parution d’un nouvel album de DDJ, du deuxième album de Loup et d’un album solo de Will Guthrie 
** oui c’est un myspace mais si tu préfères facebook c’est par ici que ça se passe
*** un titre que Chevignon vient d’enregistrer et de publier en CDr