lundi 6 février 2012

Report : The Ames Room et Immortel au Périscope - 02/02/2012





Tout premier concert de ce mois de février – un mois qui enfin marque réellement la reprise de cette intense mais saine activité qui consiste à s’exploser les oreilles et le cœur dans des salles ou des caves plus ou moins confortables – et surtout première date d’une semaine particulièrement chargée (quatre concerts en seulement cinq jours) avec la venue très attendue au Périscope des géniaux The Ames Room.
The Ames Room est l’un des tout meilleurs groupes au top actuel du free jazz avec Jean-Pierre Guionnet au saxophone alto, Clayton Thomas à la contrebasse et Will Guthrie à la batterie… un line-up free classique pour une musique qui ne l’est absolument pas tant The Ames Room possède une intensité et une force qui dépassent et de très loin celles d’un groupe lambda. Car oui The Ames Room développe des qualités essentielles bien que très rarement réunies ensemble : expressivité extrême, énergie dévastatrice et identité profonde. Rien que ça.



Si on avait pu se faire une très belle idée de la musique de The Ames Room grâce aux enregistrements du trio et en particulier à l’excellent et encore récent Bird Dies, rien ne laissait non plus totalement présager de l’immense claque récoltée en ce jeudi soir au Périscope. On s’en doutait peut-être ou tout du moins l’espérait-on mais The Ames Room fut alors une expérience aussi unique qu’irremplaçable et rare.
Il y a tout du power trio dans ce groupe, à commencer par la façon qu’ont les trois musiciens de se placer très resserrés sur scène, une façon pas très éloignée de la configuration favorite des groupes de noise rock de l’école de Chicago et affiliés. Le parallèle n’est pas fortuit ni exagéré car The Ames Room peut être comparé question fureur et puissance aux plus extrêmes des groupes de rock… on ira même jusqu’à évoquer le metal dans la façon qu’à Will Guthrie de déployer un tapis rythmique hallucinant – non il ne joue pas des blasts mais presque, martelant sans répit, décochant sans cesse des mini cassures induisant une polyrythmie qui dépasse tous les efforts stéroïdés de tous les groupes de grind core ou de death metal réunis. Will Guthrie est le pivot, la cheville ouvrière de The Ames Room, il est le moteur semble-t-il infatigable de sensations fulgurantes et d’émotions rares et intenses.
Et cette musique tient tout du vortex, du tourbillon qui vous entraine de plus en plus haut et de plus en plus fort, ailleurs, au delà de toute idée de beauté mais atteignant un état de complétude hystérique et de plénitude assourdissante qui finit malgré tout par ressembler fort à de la beauté, mais une beauté volée, avec un absolutisme effarant qui ne semble guère laisser le choix. Or c’est là qu’interviennent d’insoupçonnables notions de générosité et de grandeur car The Ames Room n’est pas là pour détruire, dominer ou écraser – seuls nos doutes, nos peurs et nos angoisses pouvaient l’être alors –, The Ames Room est là pour donner, inlassablement, réclamant certes une exclusivité totale mais à laquelle on ne pouvait que souscrire de bon cœur.



En première partie Immortel a donné le deuxième concert de sa courte existence. Formé de Raf Chevignon à la voix et aux textes et de Franck/Sheik Anorak aux machines et à la batterie, Immortel n’a pas changé ses principes de base qui consistent à mettre en musique les textes de Raf pendant que celui-ci les lit et surtout les interprète alors qu’ils défilent lentement sur un écran – les deux musiciens et le public font face à l’écran et suivent le déroulement des textes.
On remarque quelques habillages supplémentaires et très réussis côté musique et du coup ce concert d’Immortel semble bien plus intense et travaillé que le premier. En particulier le passage black metal est vraiment bien envoyé (d’autant plus qu’il est précédé de cinq bonnes minutes de presque silence) et un nouveau passage avec quelque digitaleries et autres traficotages bizarres se montre également très convaincant.
Mais contrairement à la fois précédente et en dépit donc d’un intérêt renouvelé pour la musique, ce sont les textes qui attirent toujours plus l’attention. Des textes d’une violence et d’une beauté crue racontant des histoires même pas dégueulasses et qu’on lit presque hypnotisés, tout en écoutant cette voix si particulière qui les déclame en même temps. Bien que défilant très lentement, les textes avaient souvent une longueur d’avance question affichage sur ce que l’on pouvait effectivement entendre : il était donc techniquement tout à fait possible en tant que « lecteur » de prendre également de l’avance sur la narration mais cela se révélait à la fois complètement inutile et impossible car la force de persuasion dans le chant et le jeu de Raf et la nature même des textes forçaient inexorablement à suivre scrupuleusement le déroulement précis des opérations prévu par Immortel. Un concert qui racontait donc quelque chose et tenait autant de la performance théâtrale que de la musique. Et vraiment rien de banal dans tout ça.