mardi 2 mars 2010

Brame / Tenaille























Encore une bonne surprise. Brame nous vient tout droit de Bordeaux, une ville qui abrite donc d’autres espèces d’animaux sauvages que l’ours velu, le turbokinder et le post hardcoreux septentrional. Ce Tenaille est (peut être) le premier album d’un groupe qui sait soigner son esthétique générale (superbe artwork) et une certaine opacité d’ensemble – ce que d’aucun appellerait de la prétention arty ou de l’obscurantisme d’intellos. Mais le charme opère à plein quand même, dès le départ, et haut la main.
Le disque attaque en douce avec un Dépouille presque lymphatique, lent et semble t-il sans fin, traversé par des déchirements d’harmonica, des grésillements de guitare, une grosse caisse qui soudain bat le rythme cardiaque et un vague paysage sonore – on croirait entendre un train ou autres bruits ferroviaires au début. Encore un groupe qui nous fait le coup du western urbain avec le cow-boy des temps modernes perdu dans l’immensité industrielle et la modernité décadente ? Je n’ose le croire. Les membres du groupe s’appelle tous Brame, concept éculé depuis au moins les Ramones et peut être même avant (les Daltons ?) et ils sont également affublés de prénoms ridiculement vieillots : José joue de la guitare, du looper et de la grosse caisse, Serge braille, joue de l’harmonica et de la machine à bruits (mais où est donc passé Averell ?). Maurice – l’impresario des deux autres à moins qu’il ne soit leur père – répondra quant à lui à toutes vos questions et commandes éventuelles d’un album que Brame offre par ailleurs en téléchargement libre sur son site officiel, vive la révolution et tant pis pour le loyer.
Un nouveau western, du blues déchiré pour ne pas dire déchiqueté, du souffle court à la limite de l’agonie, des vagissements de soulard coincé sous une vieille caisse de bouteilles de bourbon périmé, une guitare qui sonne la plupart du temps comme une pauvre plaque de métal rouillé attaquée à la tronçonneuse, des samples trop faciles d’une ville c’est beau la nuit, des textes (?) incompréhensibles (re ?), plus aucun indien digne de ce nom à massacrer à l’horizon, pas de chasseur de primes ou de shérif pour vous faire peur, pas de putes de saloon non plus : le paysage décrit par Brame – tellement bien délimité qu’il peut s’étendre à perte de vue – est aride et désolé mais finalement absolument pas vide ni stérile et cette musique, pour autant simple et décharnée qu’elle apparait, possède un fort côté piégeux, un peu comme ce vieux puits à moitié effondré, espéré depuis de longues heures de marche sous un soleil impitoyable et dont on prie pour qu’il ne renferme pas que de l’eau croupie ou daubée par un cadavre décomposé et abandonné là par une bande d’apaches cloutés. Ça, c’est le genre de conneries que j’aime inventer bien que je sente pertinemment qu’il n’y a aucune imagerie aussi simpliste (Brame a beau venir de Bordeaux, le Ouest terne et eux ça fait deux) ni aucun concept fumant derrière tout ça, aucun calcul ni préméditation prétentieuse. Pas d’arrière pensée si ce n’est celle de jouer une musique un peu différente de la moyenne underground mondiale, position que l’on ne saurait taxer d’ambitieuse : c’est sans doute avec des moyens limités et insuffisants que Brame a essayé de faire quelque chose et y est parvenu – à l’instinct, à la force du poignet, sous l’emprise d’un bon alcool ou je ne sais trop comment. Le résultat est à la hauteur de leur ignorance désormais vaincue comme de la mienne, puisqu’il est synonyme de (bonne) découverte. Et c’est ça le plus important.