lundi 9 novembre 2009

Un hiver éternel
















Samedi soir. Puisque madame a décidé qu’elle irait voir dans la semaine une pièce de théâtre orchestrée par une metteuse en scène généreuse et innovante au sujet des travaux d’un photographe caladois naturaliste et obsédé par les paysans arriérés, je décide moi aussi d’y aller de ma petite sortie culturelle. Pas de hard core, pas de grind core, pas de doom, pas de noise rock ou de pimpo bimbo bruitiste ce soir. Non, ce soir je vais au Sonic assister à un concert estampillé Télérama (pourtant à ma connaissance il n’y avait qu’un seul instituteur dans le public), Libération (qui lit encore ce torchon de/pour social-traites ?) et Les Inrockuptibles (le journal des futurs lecteurs de Telerama). J’ai l’air de me moquer comme ça mais Winter Family a effectivement bénéficié d’une couverture médiatique dans tous ces canards culturellement bien pensants aussi je suis extrêmement surpris du faible nombre d’entrées - on va dire une cinquantaine - pour une soirée qui promettait pourtant à tout un chacun de s’enrichir les neurones dans la finesse et le bon goût. J’en connais quelques uns également qui avaient promis qu’ils viendraient et qui ont sûrement dû être empêchés de se déplacer à cause d’une avalanche imprévue de houblon dans un rade croix-roussien interlope. Et une fois de plus les absents ont eu tort, terriblement tort (fin des messages personnels).























Je m’apprête ainsi à bien occuper ma dernière soirée du week-end… Quelle idée aussi de rattaquer le boulot le dimanche en fin d’après midi, ce qui au passage va me faire rater Hair Police et The Feeling Of Love à Grrrnd Zero - OK, j’arrête immédiatement de pester contre les branleurs qui ne vont pas aux concerts et je ferme ma gueule*. Donc ça commence avec Perrine En Morceaux, une jeune fille qui chante toute seule (la plupart du temps en anglais) et qui tient un combi sampleur/pad/pédales d’effet en bandoulière. Je m’approche un peu plus près pour écouter/voir/apprécier - rayer la mention inutile, la réponse n’est pas très dure à trouver. Et je vais faire vite parce que là je me sens terriblement hors sujet : Perrine En Morceaux c’est de la chanson légèrement expérimentale sur fond de bidouille électronique et minimale. Elle chante très (très) bien, double, triple, quadruple sa voix grâce à son installation, c’est rigolo deux secondes et d’ailleurs deux secondes c’est le temps qu’elle chante avant de s’arrêter net et de protester officiellement auprès du sondier parce qu’il y a un buzz dans les enceintes qui lui tortille désagréablement les oreilles.
Les chansons de Perrine s’adressent aux fans de Bjork, Camille (et qui d’autre encore ? j’en sais foutrement rien) et lorsque j’en ai vraiment marre de me dire qu’avec la nature de cheveux épais et bouclés qu’elle a elle pourrait sans problème se faire une mise en plis à la Farah Fawcett - l’une de mes idoles sexuelles de jeune garçon seventies - je quitte le devant de la scène pour aller m’accrocher au bar et siphonner quelques bières, juste à côté de l’un des co-organisateur du concert qui a envie de se pendre parce qu’il a déjà compris que ce soir il ne va pas engranger son taf d’entrées pour équilibrer ses comptes. Un chouette début de soirée de merde.























Arrive Agathe Max, l’une des deux principales raisons de ma venue ce soir. Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai vu la jeune femme en concert, seule sur scène avec son violon, ses pédales d’effet et son gros ampli. Je ne compte plus non plus le nombre de fois que j’ai écouté This Silver String, son premier et unique album paru à ce jour, chez Xeric/Table Of The Elements. Et je ne comprends toujours pas les commentaires qui parlent de joliesse (voire de petitesse) et de confort agréable à propos de la musique d’Agathe Max - les gars, réécoutez donc This Silver Strings et retournez la voir en concert la prochaine fois qu’elle passe vers chez vous. Parce que cette musique, placée sous la haute influence de Tony Conrad, est tout sauf jolie et confortable. On peut même dire qu’elle peut faire mal (utilisation des stridences et de la saturation), qu’elle incommode, qu’elle déstabilise aussi parfois, avant de vous ouvrir les oreilles (multiplication des harmoniques du violon amplifié, dissonances et décalages des sons) puis de littéralement vous ensevelir.
Fidèle à elle-même, Agathe Max n’a pas déçu en ce samedi soir, nous offrant une longue pièce avec passages inédits et d’autres où l’on croit reconnaître quelques bribes. Une longue pièce pendant laquelle Agathe Max, majestueuse et aérienne, a imposé sa vision unique, claire et personnelle de la musique, entraînant très très loin le public dans son sillage. Devant tant de rareté je ferme les yeux et me laisse bercer par toute cette beauté fulgurante.























Entre temps les Winter Family sont arrivés au Sonic (ils ont de la famille dans le coin et ont donc raté le début de la soirée). On m’explique que le duo a pris son temps pour faire ses balances et - oh bonheur - qu’ils ont emmené un paquet de matériel avec eux : un harmonium, un orgue, un célesta, des percussions et une platine cassette. Autant Xavier Klaine (l’homme de toutes les musiques) a l’air taciturne et imposant autant Ruth Rosenthal (voix, textes et percussions) est fluette et effacée. La mise en place est un peu difficile sur les deux premiers titres joués par le groupe - orgue trop en avant et donc voix pas assez audible - mais cela va très rapidement aller en s’arrangeant.
C’est peu dire que Ruth Rosenthal est en fait une très grande dame. Une présence saisissante, bouleversante et une voix envoûtante - à la fois monocorde et habitée, comme par un étrange phénomène de distanciation - une voix plutôt dans le registre du récitatif/spoken words avec quelques incartades d’un lyrisme froid et retenu. Les textes sont en anglais (mais assez difficiles à suivre) et en hébreu, langue magnifique s’il en est, intonations rocailleuse et sonorités magiques. Si au contraire du concert d’Agathe Max je ne ferme pas les yeux c’est parce que je suis littéralement hypnotisé par cette petite femme aux si grands retentissements.


















L’émotion est à son comble lorsque le lecteur de cassettes diffuse un vieux discours politique, quand Ruth Rosenthal entonne Auschwitz ou imite le tir des mitraillettes et l’explosion des bombes sur Omaha. Ses textes parlent de toutes les souffrances, pas seulement du problème israélo-palestinien (loin de là), de l’impudence des hommes face à leur soif de destruction, de leur impudeur de pouvoir et de domination. Il n’y a pas de message, juste un effroyable constat sur les souffrances accumulées, le point de non-retour se rapprochant dangereusement et l’espoir ténu d’une nécessaire rédemption. Certainement l’un des plus beaux concerts de toute cette année 2009, une ambiance proche du recueillement - mais absolument pas mortifère malgré les thèmes abordés. Un mélange d’apaisement et de tristesse insondable, d’espoir et de résignation.
Question discographie, le seul et unique album - un double CD - de Winter Family publié par Sub Rosa est épuisé depuis longtemps aussi le duo propose lors de ses concerts des versions CDr de ce disque magnifique. Mais il y a beaucoup mieux : huit des quatorze titres ont été compilés sur un vinyle publié par Marienbad records, intitulé Where Did You Go My Boy ? et dont l’artwork représente la carte d’un pays morcelé et divisé. Une trop vieille histoire. Est également inclus un DVD comprenant notamment le magnifique République, images que je vous invite également à découvrir ici.

* à propos de ce concert raté au Grrrnd, voici les délicieux commentaires qui m’ont été dits et qui me font encore plus râler : Feeling Of Love ça valait pas un kopek mais alors Hair Police, houlala Khanate vs Wolf Eyes qui font en choeur l'apologie de la défonce, ouh mon dieu je suis pas prêt d'oublier! (sic)