mardi 11 novembre 2008

Le sourire niais de l'éternel gamin
























Après un bon dimanche passé à ne rien faire du tout dans un état d’insouciance proche de l’ivresse apéritive, il est grand temps pour moi de me déplacer jusqu’au Sonic pour le concert du mois à ne rater sous aucun prétexte -ce n’est pas moi qui le dit, comme le prouve cette assertion lue sur Awesome Board : Ostrobotnie et Sonic présentent le groupe le plus hype du moment pour nous et quelques potes. Tu l’as dit mon gars. Mais on connaît la chanson : lorsque on en attend trop d’un groupe il y a 90 % de chances d’être déçu et lorsque en plus le groupe tant désiré n’est autre que Nadja, groupe qui je dois bien l’avouer et ce malgré tout l’amour que je porte pour lui, a une réputation désastreuse en concert (confère celui de la veille à Metz, une ville de losers qui n’en demandait pas tant pour s’enfoncer un peu plus dans le marasme), on frise les 99.9 % de chances de se faire moins chier en choisissant plutôt de rester chez soi pour regarder une énième fois Cyd Charisse draguer une armada de boxeurs en rut en chantant Baby You Knock Me Out (qu’est ce que ça peut être kitsch quand même).
J’appuie tellement fort sur les pédales de mon vélo que je bats mon record personnel du kilomètre lancé et ce à tel point qu’à peine arrivé l’un des tauliers du Sonic me lance un tu es bien en avance que je devine légèrement moqueur. Je rougis quelque peu de m’être fait ainsi démasqué avec autant de facilité.

























A l’intérieur, le premier groupe en est encore à faire ses balances. Sur le fly du concert on pouvait lire un mystérieux guest mais rien n’avait encore été confirmé jusqu’ici. Le groupe en question est une nouvelle zozzalerie (après la séparation de Llorah) qui, renseignements pris auprès du batteur, s’appelle Carne. Il s’agit donc d’un duo guitare/batterie. Pierre zozzal -également organisateur du concert- à la guitare et un beau gosse élancé mais athlétique à la batterie, du genre que je soupçonne à la grande différence de son collègue guitariste d’aller au moins tous les quinze jours chez le coiffeur. C’est leur première apparition en public avec tout ce que cela peut comporter dans ces cas là d’approximations, d’hésitations, de manquements, de regards interrogateurs. Le duo s’en sort plutôt bien, quelques bons passages surnagent, le guitariste qui la plupart du temps a joué accroupi se lève et en profite pour faire un lâché de dreds dont il a le secret, ce qui rend toujours un concert avantageusement spectaculaire.
En fin de soirée il me sera expliqué que Carne n’a pas encore beaucoup de morceaux réellement prêts, que le groupe encore tout jeune a donc préféré emprunter pour ce soir le chemin difficile de l’improvisation -ce qu’il fait régulièrement lors de ses répétitions pour s’échauffer, comme la plupart des groupes j’imagine- afin d’assurer cette première partie. Rendez vous est donc pris pour un prochain et véritable concert je l’espère, car malgré quelques problèmes techniques (une prise électrique défaillante, c’est con), les sons tirées de la guitare étaient plutôt alléchants.


















Il y avait sans doute une raison à l’adjonction de Carne au programme de la soirée -déjà le fait que Nadja voyage les mains dans les poches, sans amplis ni rien- mais surtout le deuxième groupe, Picastro, souhaitant bénéficier d’une batterie. En langage technique cela s’appelle l’exploitation éhontée des petits groupes locaux et de leur matériel providentiel. Picastro est comme Nadja un groupe de Toronto, les deux tournent ensemble en Europe et d’ailleurs Aidan Baker assure l’habillage et les textures sonores de la musique de cette formation amie lors de leur voyage commun en Europe.
Mauvais signe
, la chanteuse/guitariste est assise sur une chaise. Le batteur est ridiculement absent et monsieur Baker rend service sans avoir l’air de trop y croire. Les chansons vaguement tristounettes de Picastro ne m’intéressent pas, la voix de la chanteuse est aussi palpable et étoffé qu’une motion de politique générale défendue à un congrès du parti socialiste français, c’est d’une platitude larvesque que ne démentiraient pas toutes celles et ceux qui pensent que le mot folk désigne une attitude artistiquement amorphe et résolument larmoyante. Je fuis le devant de la scène pour me réfugier en bonne compagnie du côté du bar avec quelques vieux camarades qui ce n’est sûrement pas un hasard pensent exactement la même chose que moi. Nous votons à l’unanimité (plus une voix) notre motion à nous, la démocratie participative ce n’est pourtant pas si compliqué que ça : bière pour tout le monde.
























On enlève la batterie, on déplace la table sur laquelle Aidan Baker a installé tout son attirail à son, on débranche des trucs par là, on en rebranche par ici : Nadja est prêt à jouer. Le premier titre est complètement catastrophique, sorte de pop song noisy dans les chaussettes, du sous My Bloody Valentine pour gogolgoths. Le son ressemble a pas grand chose si ce n’est à une immense déception, le chant est insignifiant, les mélodies nulles et l’enrobage consternant. Un début de set qui fait vraiment peur mais qui heureusement ne dure pas longtemps. Une petite mise en jambe ?
Aidan Baker annonce alors un titre beaucoup plus long avec un petit sourire en coin et le duo se lance dans un lent tourbillon de guitares au ralenti soutenues par des lignes de basse qui flirtent avec des infrasons à vous faire ressentir dans le ventre de drôles de soubresauts -je ne peux alors pas m’empêcher de penser au gros Tad dont la légende voulait qu’il avait trouvé le moyen avec sa guitare de reproduire la fréquence qui donnait instantanément aux gens du public l’envie de se chier dessus mais devant l’incongruité d’une telle image scatologique et dégueulasse je reprends vite mes esprits : Nadja est la majesté même, impossible de comparer ce brouillard d’émotions à la géniale ordurerie du groupe de Seattle.


















 Tandis que ces basses continuent de prendre littéralement par les tripes, la guitare évolue dans un registre aérien et sibyllin -Aidan Baker donne souvent l’impression ne de faire qu’effleurer sa guitare du bout des doigts- avec une boite à rythmes lente et lourde en arrière plan. Le morceau joué par Nadja (qui ce soir semble vouloir négliger le côté le plus metal de sa musique) s’élève dans des développements quasiment infinis. La musique de Nadja devient paradoxalement complètement immatérielle et terriblement prenante. Les deux membres du groupe ne bougent pas ou presque, restent d’une impassibilité mystérieuse et reposante -Leah Buckareff passant même l’intégralité du concert de dos. Très étrange contraste que celui d’une musique zen mais violemment massive comme interprétée par dans le cadre d’un théâtre d’effigies sans que l’on puisse apercevoir le moindre indice reliant aussi bien fin et moyen que sujet et objet.
Alors que, sitôt leur prestation terminée, les deux Nadja commencent à ranger promptement leurs instruments dans leurs housses respectives, le public en réclame encore. Aidan Baker demande poliment aux organisateurs s’ils ont encore le temps pour un autre titre et Nadja se lance dans l’interprétation de Long Dark Twenties -une version incroyable, rallongée par rapport à celle gravée sur le single, alourdi également, lui donnant une profondeur et une force toute nouvelles. Un vrai rêve. Cette fois ci le concert est réellement terminé et personne ne songe à en redemander. Je dois avoir mon air niais des grands jours parce qu’en quittant la salle je croise un jeune moqueur qui me demande d’effacer ce sourire béat de mon visage -je ne peux que lui répondre que je ne suis qu’un éternel gamin et que ce genre de concert n’est pas fait pour arranger les choses.