samedi 8 novembre 2008

Chaos épileptique



















Mon sang n’a fait qu’un tour lorsque j’ai appris qu’A Place To Bury Strangers allait donner un concert dans cette ville car, malgré quelques réticences, il faut bien admettre que sur la saison 2007/2008 le premier album des new-yorkais a défoncé la tronche de tous les prétendants au titre de nouveau groupe ultime de la bronchouillardise cool attitude même qu’il faut absolument tout de suite maintenant aimer sinon après ce sera trop tard. La surprise c’est qu’A Place To Bury Strangers est même censé jouer une deuxième fois pendant ce mois de novembre. Malheureusement, dans les deux cas, le groupe n’est qu’en support band d’une tête d’affiche. En résumé : un concert le 6 novembre avec un affreux groupe de post rockeux/folkeux canadiens qui chantent autour d’un feu de joie des complaintes hippies (un groupe dont pour rien au monde je ne souhaiterais citer le nom ici) et un concert le 25 -dont la rumeur voudrait qu’il ait finalement été annulé alors qu’en fait il est juste complet- avec un autre groupe d’attardés qui a remporté cette année la palme de la pochette de disque qui donne irrépressiblement envie de se pisser dessus (et dont je ne souhaite pas parler non plus). Des deux options, c’est sans hésiter que j’ai choisi la première, ne serait ce que parce que le concert se déroule au C.C.O. mais surtout parce que mes chéris de One Second Riot sont également de la partie. Un concert organisé dans les règles avec videurs, billetterie, mise à l’écart en extérieur et derrière des barrières de sécurité des fumeurs qui ne peuvent pas s’empêcher de se suicider, un concert à 17 euros la place -prix que je n’ai pas payé (j’aime bien faire mon malin), encore merci pour l’invitation.
J’entre donc dans la salle, récupère mon billet exonéré, un truc tout informatisé qui fait regretter les bonnes vieilles billetteries imprimées à l’ancienne, ce machin ressemble à un ticket de parking souterrain et je me demande depuis combien de temps je n’en ai pas eu un comme ça entre les mains, d’habitude je garde un fly ou deux pour avoir un souvenir d’un concert, là j’ai droit au luxe de la technologie, cela change du Grrrnd Zero.























On m’avait bien prévenu : le concert commence à 20h00 pétantes. Et logiquement il n’y a encore personne à cette heure là -mis à part quelques clampins qui se dépêchent de manger un sandwich aux frites tout le monde en est encore à l’apéritif. C’est donc devant un public on ne peut plus clairsemé que les deux One Second Riot (faudrait voir à mettre ce site à jour les gars) commencent leur set. La scène du C.C.O. est une grande scène, même des équipes de footballeurs comme Godspeed You! Black Emperor ont réussi à y tenir et à y jouer à la passe à dix sans se marcher dessus, aussi c’est assez étrange de voir le duo lyonnais dans une telle configuration, avec en plus un light show qui clignote de toutes ses couleurs. Le batteur est installé au bord et légèrement de côté, façon on est un vrai groupe où chacun à sa place, et il en profite pour demander une première fois aux personnes présentes de se rapprocher un peu de la scène, un peu de convivialité quoi.
Après un début de concert dans la pénombre, One Second Riot se défoule sur les principaux titres de son premier album, fait un petit retour en arrière sur le premier mini LP (le split avec Neptune) tout ça devant un public grandissant -les gens commencent enfin à arriver- et réagissant positivement. Quelques remarques d’après concert entendues de la part de personnes ne connaissant visiblement pas le groupe et n’étant même pas au courant qu’il était au programme : c’était vraiment pas mal ou tu crois qu’il y a un disque d’eux à la F**c ?. Oui, c’était effectivement vraiment pas mal.
Alors que le batteur demande une deuxième fois au public de se rapprocher, le bassiste/chanteur prend ses aises sur la scène, adopte des poses dignes d’un hard rocker 80’s à coupe permanenté (sauf qu’il n’a pas de frisouilles), jambes écartés et torse arrogant ce qui a le don de me faire rire -et donc de me plaire. Une nouvelle fois je trouve que Brautigan est une chanson bien meilleure sur scène que sur disque, dont la théâtralité ressort de façon plus convaincante en live.

























Un petit tour au marchandising des new-yorkais histoire de regarder la série de singles (à chaque fois un titre de l’album couplé avec un remix en face B), la nouvelle version de l’album qui comprend cinq titres en plus et qu’A Place To Bury Strangers vend quand même vingt cinq euros (!) pour l’édition vinyle, des t-shirts, tout ce qui doit contenter le fan de base. Je constate aussi que tenir un stand de marchandising doit être l’un des boulots les plus chiants au monde, le gars qui s’en occupe ce soir est calé derrière un ordinateur portable, sa collègue qui tient boutique pour le dernier groupe de la soirée fait exactement la même chose -mais en fait ils font quoi ? ils envoient des emails ? ils surveillent les cours de la bourse ? ils jouent en réseau dans un gunfight ? ils regardent une milf en train de se faire empapaouter par un doberman ? C’est énervant d’avoir devant soi deux légumes cuits à l’informatique. Retour dans la salle, il n’y a plus qu’à attendre le groupe que je suis exprès venu voir. Je ne suis pas le seul. Derrière moi, à côté aussi, se pressent déjà nombre d’amateurs bien décidés à ne pas lâcher le devant de la scène - depuis le temps que j’attends ça je ne vais pas bouger d’ici.
Oliver Ackermann (guitare/chant) ne paie pas vraiment de mine, il installe d’un air dégagé toute une série de pédales d'effet (qu’il fabrique lui-même) bien cabossées, ses deux guitares -une Fender Jaguar blanche et sa petite sœur en rouge- n’ont pas l’air d’être en meilleur état. A Place To Bury Strangers est un groupe originaire de Brooklyn, quartier qui on le sait a abrité et abrite encore nombre de groupes aussi bruyants qu’incroyables (des groupes merdiques aussi, mais je refuse de dire lesquels) et en regardant le bassiste et le batteur, bien balèzes et tatoués, je me dis qu’ils font bien couleur locale, je m’attendrais presque à voir Vinnie Signorelli monter sur scène.
























Pendant toute la première partie du concert A Place To Bury Strangers joue sans light show, devant un écran sur lequel est projeté des films aux motifs d’abord printaniers puis virant à la répétition géométrique emboîtée, façon Vasarely relooké au Tetris. L’absence de lumière fait dire à quelqu’un derrière moi que nous avons visiblement affaire à un pauvre groupe de loosers. Attends un peu et tu verras.
Pour l’instant c’est vrai que le son est limite (mais parait il meilleur au milieu de la salle, comme d’habitude), on entend très mal le chant, c’est uniquement parce que je connais les chansons de l’album par cœur que j’arrive à les reconnaître. C’est lorsque Ackermann appuie sur ses pédales de la mort et déclenche une marée de fuzz et de reverb que je frissonne pour la première fois. Comme il le fait sur chaque titre de façon systématique, je calme peu à peu mes ardeurs en attendant que le son s’améliore, ce qui tarde un peu. Quelques titres inédits -ou que je ne connais pas : les cinq fameux inédits de l’album nouvelle version ? des compositions en rodage pour le prochain ?- perturbent un peu la rêverie sonique dans laquelle je me suis de bonne grâce laisser tomber. Le son est toujours un peu cafouilleux mais il a tendance a devenir de plus en plus fort (ou alors ce sont mes oreilles qui défaillent), il prend une tournure de plus en plus captivante, complexe, labyrinthique, énergisante. Le groupe de losers est en train de se transformer en hachoir à tympans. Au fur et à mesure que la musique d’A Place To Bury Strangers gagne de l’envergure (dommage, la voix restera trop souvent inaudible), les projections sur l’écran deviennent de plus en plus répétitives.
























Jusqu’à l’arrivée du stroboscope et du final dantesque de ce concert -tu voulais des lumières ? en voilà !- stroboscope qui transforme la scène en un vaste chaos épileptique, Ackermann se la joue Shiva, s’énerve sur ses pédales, joue au toréador avec sa guitare, A Place To Bury Strangers ne démérite pas de ce slogan pompeux qui qualifie le groupe de loudest band in New York. Un mur du son noisy comme pas entendu depuis les derniers soubresauts héroïques de Sonic Youth sur une scène (l’album Dirty en 1992, soit il y a un bon millénaire), et enterrant haut la main ces faignants de My Bloody Valentine -groupe auquel on compare trop A Place To Bury Strangers, je garde encore en mémoire le souvenir d’un concert des anglais datant lui aussi des années 90 et qui avait frisé le foutage de gueule intégral, comme quoi réussir à faire du bruit n’est pas à la portée de n’importe qui.
Cette fin de concert des new-yorkais est absolument incroyable d’intensité et de perversion sonore, la musique c’est aussi distordre le temps, mais tout s’arrête (trop) brutalement, A Place To Bury Strangers en a fini de nous vriller les neurones, provoquant comme un effet de grand vide après la débauche -white light/white.
Les lumières se sont rallumées dans la salle, ma voisine qui a l’air aussi estomaquée que moi se jure qu’elle va se dégoter une place pour le 25 novembre (bon courage ma grande) et me demande si je connais le groupe d’après. Je lui réponds hypocritement que non et que d’ailleurs je m’en vais, ce que je lui conseille aussi de faire. Je quitte donc la salle avec peut être un seul regret, celui de ne pas avoir attendu l’arrivée sur scène du groupe d’Efrim and C° pour me mettre à hurler des Fly Pan Am ! -tradition héritée de l’époque de la défunte asso Sonotone (qui la première avait fait jouer ce groupe dans cette ville), une tradition née de l’inanité d’un mauvais concert et qui avait fait rétorquer un fuck them ! à un Efrim passablement énervé par la provocation. C’est qu’il y a les bons groupes Constellation et puis il y a aussi les mauvais.