lundi 2 juin 2008

Spéculation céréalière, philosophie de comptoir et végétarisme militant


Ces derniers temps, le plus dur pour parvenir sur les lieux d’un concert, c’est de réussir à se faufiler entre deux radées façon mousson asiatique (il fait chaud et humide) ou, lorsque on est pris en défaut, d’arriver à zigzaguer entre les gouttes. Oui je parle du temps qu’il fait, des conditions climatiques, du dérèglement de la météo -à croire que je n’ai strictement rien à dire. Mais je pourrais également parler de la baisse du pouvoir d’achat des organisateurs de concert, lequel est directement lié aux intempéries : lorsqu’il se met à pleuvoir aux alentours de 21 heures, vous pouvez être sûrs qu’immanquablement le dit organisateur de concerts mais également passionné de musique va se transformer en philanthrope et que son menu quotidien du mois de juin sera invariablement composé de pâtes au beurre -signalons toutefois que le prix des pâtes a lui-même excessivement augmenté ces derniers temps, tout comme le prix du blé qui s’est engrangé un bon 70% depuis un an. Je crois que je vais le sortir mon jeu de mot foireux à propos du mois de jeun (ça y est, c’est fait).
Une foule clairsemée donc s’est déplacée pour Carla Bozulich et de son groupe Evanglista. Conséquence : une grenouille de plus à avaler pour les deux organisateurs du concert. C’est vrai que la dame vient très souvent nous visiter… Mais le dernier album est de qualité, tout le monde est au courant, même le magazine Wire est entré dans la danse de la hype mais cela n’est plus suffisant, la grande Carla ne fait plus autant recette, le bouche à oreille ne fonctionne pas, le quelqu’un qui m’a dit c’est fini.



















Et c’est bien dommage parce que ce concert était excellent. A commencer par les deux premières parties. D’abord Abronzius, avec Marion et Tiphaine d’Overmars, respectivement chant/guitare et claviers/machines. Une jolie installation sur scène, dont un moog décidément très finement restauré. J’avais été fort déçu de ma première confrontation avec le duo (lors d’un concert avec Monarch! en octobre 2007), j’avais trouvé ça plein d’idées mais brouillon, trop outré également -il n’est pas toujours nécessaire de brailler dans un micro pour faire passer son mal de vivre- et finalement hermétique.
Ce samedi soir, c’est tout le contraire. Abronzius a éclairci son propos, allégé ses ambiances, aéré ses mélodies. Il y a presque un côté pop dans la musique, mais de la pop glacée sinon glaçante, des textes qui tranchent au couteau la vie là où elle fait mal mais aucune ostentation, aucun délire autodestructeur, presque de la retenue et pourtant ô combien d’effets. Marion chante vraiment très bien, pas forcément très juste mais toujours très bien c'est-à-dire avec le coeur. Vers la fin du concert Abronzius joue enfin tds, le seul titre récent que le duo ait mis en ligne (j’en profite pour préciser que ce que je pensais être du theremin est en fait des ondes Martenot…) et l’héritage laissé par les Cure saute aux oreilles. Cela tombe très bien parce que le groupe se lance en guise de final dans une reprise de Charlotte Sometimes, l’un des chef d’œuvre de ce cher Robert Smith, et la version qu’en propose Abronzius est très réussie. Résultat des courses : j’ai passé mon dimanche matin à réécouter Faith et Pornography. C’est malin.



















C’est au tour d’Agathe Max d’investir la scène, en robe de soirée (qu’est ce que cela pourrait être d’autre ?) et talons hauts. Une certaine classe qui contraste toujours violemment avec l’intensité et la densité de sa musique. Le premier titre joué fonctionne sur une trame assez simple, motifs au violon qui se répètent comme à l’infini, c’est la première fois qu’elle joue aussi ouvertement une pièce qui semble directement suivre les traces de Tony Conrad et de son violon crissant. Malgré la filiation évidente, cela constitue une bonne entrée en matière.
Le deuxième titre est plus ambitieux, il porte la marque d’Agathe Max -ces cassures de rythmes, ces brisures de sonorités, les entrelacs de motifs qui se croisent et se décroisent sans cesse jusqu’à former un bouillonnement imposant et irradiant- mais malheureusement elle n’y arrive pas aussi bien que d’habitude, les accidents qu’elle provoque elle-même et dont tout son talent consiste à les faire passer sinon pour naturels du moins comme partie d’un tout, dépassant directement et instantanément l’impression d’accident du départ, ces accidents restent comme en suspens, c’est comme si on pouvait voir les astuces de jeu de la violoniste. On prend le temps de penser, l’oubli n’est pas immédiat ni radical, ce titre (déjà interprété lors de fois précédentes) ne tient pas ici toutes ces promesses et manque de force.
Dans le public une voix manifeste son contentement -Agathe !- c’est Carla Bozulich qui s’est assise devant pour assister au concert. Un dernier et troisième titre est joué, rejoignant la simplicité (relative) du premier et agrémenté d’un rythme ultra binaire et ultra basique (poum-tchac-poum-tchac), sorte de Faust beat dont Agathe Max se sert à merveille. Finalement, rien n’est jamais simple dans les dispositifs qu’elle invente et qu’elle met en place, mais l’évidence est toujours là, incroyable. Elle ne manquera pas avant de quitter la scène de dire quelques mots sur les problèmes d’affichage libre à Lyon, de plus en plus aigus et récurrents.


















Le précédent concert de Carla Bozulich à Lyon n’avait pas été très emballant. Cette fois ci l’américaine est revenue avec un vrai groupe et un excellent album sous le bras. C’est bien elle qui compose et dirige tout, n’empêche que de pouvoir la voir et l’entendre avec une orchestration solide est plus qu’appréciable. Elle est donc accompagnée d’un clavier, d’un violoncelliste, d’un batteur et d’une bassiste.
Le set démarre tout doucement, de manière rampante. Aucune nervosité apparente mais une alchimie tendue qui se met peu à peu en place. Tout le concert sera basé sur cette fausse retenue, les explosions à retardement, les faux départs et les arrivées à rallonge. Les morceaux les plus rock et les plus directs de Hello, Voyeur ne seront pas joués, ce que je regrette (un bon Truth Is Dark Like Outter Space aurait été le bienvenu pour donner plus d’impact à l’ensemble). La musique de Carla Bozulich est de plus en plus sombre, de plus en plus désespérée. Elle-même parait de plus en plus folle. C’est difficile de la regarder en concert tout en se disant que ce n’est qu’un spectacle. Certains quittent la salle, trouvant tout ça trop étouffant, trop déprimant. Les autres sont captivés par les danses incompréhensibles de Carla Bozulich et surtout par sa voix incroyable (elle ne supporte qu’une une seule rivale : la non moins magnifique Thalia Zedek).
Le groupe joue Paper Kitten Claw, touchante balade du dernier album et c’est au tour de Hello, Voyageur!, un vrai morceau de bravoure. Le violoncelliste a attrapé sa trompette tandis que Madame Bozulich se lance dans les percussions. Elle en profite pour faire hurler des yes ! de plus en plus hystériques à un public qui se prend facilement au jeu de la séduction démagogique. Le chaos n’est pas loin, incantations, fracas des rythmes, guitare dont le seul rôle est de faire le plus de bruit possible et tentative de donner corps à un certain sens de la folie. Tous les musiciens sauf le clavier quittent la scène, il assurera l’unique accompagnement musical d’une ultime murder ballad en lévitation.



















Le plus dur pour arriver à quitter un lieu de concert, c’est de réussir à se décoller des conversations de fin de soirée dans lesquelles on se complait même lorsqu’on a rien à dire. Quelques échanges d’informations (The Locust, Acid Mothers Temple et Blurt au mois de septembre par exemple), quelques considérations d’ordre technique (c’est là que je me fais préciser qu’Abronzius utilise des ondes Martenot et non pas un theremin, même samplé) et je reste bien longtemps après la fermeture officielle du Sonic, expert en philosophie de comptoir, suffisamment affamé aussi pour manger les restes des lasagnes végétariennes laissées par les groupes mais trop ahuri pour me rendre compte que ce truc là dans lequel je croque doit être du brocolis. Il est cinq heures, j’ai poliment dit bonjour sans leur rentrer dedans à tous les trottoirs et tous les lampadaires que j’ai croisés sur le chemin du retour. Je sais bien que je vais me faire engueuler lorsque dans quelques heures je vais raconter ma soirée à toute la maison et que je vais avouer que j’ai mangé du brocolis sans sourciller alors que je déteste ça.