mercredi 23 avril 2008

Marc Ribot / Exercises In Futility























Il y a deux maîtres-étalon pour juger un album solo de Marc Ribot : Don’t Blame Me publié en 1995 par Avant et The Book Of Heads (Tzadik, la même année). Le premier est une collection émouvante de reprises de standards du jazz et du blues américains alors que le second est une suite d’études en trente cinq parties initialement composées en 1978 par Zorn pour le génial Eugène Chadbourne, rien de poignant là dedans, plutôt de la provocation musicale permanente sous couvert de recherche et d’expérimentation.
Avec Exercises In Futility Marc Ribot revient tout seul à la guitare mais cette fois ci il joue uniquement à la guitare acoustique des études qu’il a lui-même composées dans le simple but de démontrer les possibilités mais aussi les limites (sic) de l’instrument, cela se veut à la fois un hommage en forme de démonstration et un sacrifice iconoclaste. On peut juste faire remarquer que Marc Ribot aime bien trop jouer de son instrument pour réellement dénigrer au sens littéral la pratique qu’il peut avoir de celui-ci, incapable qu’il est de toutes façons de jouer qu’autrement que comme Marc Ribot, d’imiter les faiseurs de notes (ce que pourtant il arrive éventuellement à faire lorsqu’il travaille à la demande pour des chanteurs qui veulent se payer en studio un guitar hero ayant une pointe d’originalité) et incapable la plupart du temps de respecter un certain académisme consensuel.
Contrairement à ce qu’annonce le titre du disque, ces exercices n’ont donc rien de futiles, bien au contraire. Marc Ribot -conscient de représenter un type de musicien atypique mais désormais reconnu pour ce qu’il est- a-t-il ainsi voulu se moquer de cet autre académisme dont il est l’un des étendards, l’académisme de l’avant-garde ? La photo du livret le montre en maître sûr de lui, senseï grisonnant de la six cordes, tout second degré y est difficilement discernable.
Le bois résonne, le nylon fibre, la pièce dans laquelle joue Ribot semble toute petite et nous sommes juste assis à côté de lui, à l’écouter, musique intime et chaude. Ce disque est à effet immédiat. Eventuel hommage au guitariste haïtien Frantz Casseus (Ribot lui a déjà consacré un album complet), Exercises In Futility est essentiellement un retour aux fondamentaux, à la musique ancestrale et intemporelle, vaste programme il est vrai qui se décline de deux façons : l’épure mélodique -à l’extrême limite du ténu et donc de l’inaudible voire de l’abscons- et le maillage bruitiste mais pas trop. On retrouve donc les deux pôles représentés par les deux albums déjà mentionnés mais de façon assez liée, toujours ce son chaud de l’instrument qui vibre et qui donne son homogénéité à l’ensemble. Bien que prenant des chemins très différents, Exercises In Futility débouche sur le même genre de sentiment qu’une bonne vieille impro de feu Derek Bailey -plénitude du son, beauté des résonances, harmoniques célestes. La grosse différence est que Ribot manque singulièrement de fluidité par rapport à Bailey ou plus exactement il n’en possède pas le même sens, le même rythme, le même rapport physique : les limites semble t-il imposées par le travail de composition, la rigueur des indications de jeu, bref tout ce qui n’existe pas chez Derek Bailey, le plus grand improvisateur de tous les temps en ce qui concerne la guitare. Un très beau disque qui va faire bailler tous les réfractaires à la pratique instrumentale hyper conceptualisée et totalement auto-concernée, de la branlette quoi. Mais un beau disque quand même.