En pensant bien faire et en m’envoyant innocemment son disque, le garçon qui se cache sous le pseudonyme de MSL JAX a commis au moins deux erreurs grossières. D’abord MSL JAX signifie Miss Shapenfingers And The Lumberjacks : un garçon qui prend un nom de fille comme pseudonyme c’est quand même un peu dégoûtant. Ensuite et surtout, il a décidé de me faire connaître sa musique au pire moment qui soit, juste à la fin de l’automne, alors que l’hiver commençait à reprendre ses droits. C’est un problème crucial car le disque de MSL JAX regorge de soleil, de cocktails bien frais, de doigts de pieds exhibés en tongs, de saucisses grillées au barbecue, de bermudas higginsiens et de chemises à fleurs. Un anachronisme total, en complète opposition avec l’option dark entries de la morte saison, un peu comme si MSL JAX m’avait tapoté sur l’épaule un dimanche après midi, juste après un bon repas bien arrosé, précisément au moment – le meilleur – où je glisse doucement d’une lourde torpeur digestive vers un sommeil d’ivrogne colérique.
Et puis le soleil est revenu (il commence là, tout de suite maintenant, à revenir – vous n’avez pas encore remarqué toutes ces filles qui se raccourcissent et tous ces garçons qui s’allongent?), le printemps est bientôt de retour et la machine à musique recrache des airs plus légers, plus enjoués et bien plus en rapport avec le renouveau hormonal : la semaine prochaine je ressors mes disques des Descendents, des Barracudas, des Burning Heads, des Pixies et de… non, rien. Au milieu de cette renaissance physique et hygiènéniste trône donc l’album de Miss Shapenfingers And The Lumberjacks. Pas une révélation ni une révolution mais un bon petit disque, plein d’entrain, de positivité, de bonheur presque, d’insouciance c’est sûr, de paluchage et de palots bien baveux, c’est garanti. Kiss me dear.
Mais faisons les présentations, Miss Shapenfingers est le guitariste survivant de Café Flesh, groupe apprécié par ici, le guitariste qui jouait toujours sur le côté gauche de la scène, celui de droite ayant lâché l’affaire – ceci dit avoir un guitariste de droite manquait complètement de crédibilité pour un groupe originaire de Jarnac. Un beau gosse en plus, jouant avec le sourire (devant le public lyonnais sinistré faut quand même en vouloir des fois) et surtout jouant des vieux gros riffs d’enfoiré. Détail technique : notre garçon composait et jouait déjà des folksongs en solo sous l’appellation de Miss Shapenfingers et il a décidé de donner une tournure plus électrique et couillue à sa musique en se faisant accompagner par quelques bucherons (Lumberjacks pour celles et ceux qui veulent suivre). Cet album sans titre est la première manifestation tangible de son irrépressible désir d'excès et d’amour.
Eliminons tout de suite les titres sans réel accompagnement, les chansons dépouillées hululées au coin du feu – Walk On et son harmonica au clair de lune – ou celles trop ralenties à mon goût (Don’t You, Mysterious Town, The Sky And The Ground). Concentrons-nous plutôt sur toutes les autres, les courtes décharges poppy punk qui en deux ou trois minutes vous émoustillent et vous gratouillent le cortex furieusement. L’excellent This Way, le libidineux Girl In A Tree, le tubesque Fight, le primesautier Guys Like Me ou la torpille Through My Veins. Pourquoi un tel engouement ? D’abord Miss Shapenfingers chante comme un ange, d’un timbre chaud et vigoureux et sans la moindre trace d’accent à faire rire la totalité de la communauté internationale à la tribune des Nations Unis. Un bel organe n’est pas la seule et unique raison. Notre garçon est surtout un songwriter réellement du tonnerre, sachant agencer des compositions fiévreuses et mélodiques, refusant la niaiserie et la putasserie, il a le sens du hit dans la peau. Même sur les titres moins (ou pas du tout) appréciés on ne peut nier la qualité intrinsèque de la composition. C’est ce qui sauve cet album sans titre d’un désintérêt total et méfiant et hausse MSJ JAXau rang de grand trousseur en chef. Et maintenant, tout le monde à poil.