Arrivé de nulle part ou presque ce premier album de Mr Protector est estampillé du label A Tant Rêver Du Roi, détail alléchant puisque les camarades de chambrée de Mr Protector se nomment Kourgane ou Tapetto Traci, rien que du beau monde. Mais en y regardant d’un peu plus près on s’aperçoit que Furne records (le label des Café Flesh) a également mis des billes dans cette coproduction… si on ajoute à cela que Pétrole a été enregistré à la Nef à Angoulême le doute n’est désormais plus permis : ce disque est une nouvelle tentative du lobby charentais et de ses multiples groupes de prendre possession du monde moderne et de mon petit cœur de pierre. Vont-ils y arriver ? Pour la domination du monde je n’en sais rien, la concurrence montpelliéraine et lyonnaise est particulièrement rude en ce moment. Mais en ce qui concerne mes ventricules d’artichaut quarantenaire c’est presque comme si c’était déjà fait.
Mr Protector n’a pourtant pas choisi la voie la plus simple ni la plus rapide pour parvenir à ses fins : après un Sloom introductif, plutôt lent et lourd et dont on se demande s’il ne va pas déboucher sur un énième album de pur doomevil – d’ailleurs ce nom de Sloom ne serait il pas la contraction de slow et de doom, comme un clin d’œil au slogan gentiment moqueur Pas De Doom A Ma Boum ? – Mr Protector fait d’incessants aller-et-retours entre math core burné (Pétrole) et screamo (Was Kan Ich Tun ?), entre plans tordus (sur à peu près tous les titres) et sprints rock’n’roll (Drôlesse). De quoi s’en retrouver tout déboussolé d’autant plus que l’option screamo – voire même emo dans le cas du très long mais réussi Jacques – n’est pas la plus pertinente à mes oreilles qui ont toujours préféré le gras de bière des punkers dépravés au diet coca des post straight-edges en bermudas. Autre détail, qui n’en est pas vraiment un : Mr Protector est un groupe sans basse mais avec deux guitares. On comprend donc que pour le gras mentionné dans la phrase précédente, on peut toujours attendre éternellement. Mais dans ce cas précis ce n’est pas réellement un mal car de tous ces éléments d’origine douteuse voire avariée Mr Protector a su tirer une vraie personnalité, forte et complexe. Il faut juste y adhérer, ce qui est mon cas. Ceci dit, et comme le laisse supposer ce descriptif impartial, la musique de Mr Protector est sacrément dynamique et folle. Un compliment.
Reste le cas du chant. Braillé la plupart du temps mais surtout partagé entre plusieurs langues : un peu d’allemand, un peu d’anglais et le reste en français, la pire langue du monde pour hurler des insanités dégueulasses sur fond de rock’n’roll décadent, ça on le sait depuis longtemps. Trouvez-moi un bon groupe qui chante en français et on en reparlera. Les paroles de cet album sont heureusement totalement inaudibles (lorsque le chanteur hurle sa douleur) ou bien incompréhensibles car à la licence poétique (genre) bien trop mystérieuse lorsque ce même chanteur passe en mode murmuré/parlé. La voix étant légèrement et adéquatement sous-mixée, le bonheur de l’inculture et de l’ignorance est heureusement à la portée de l’auditeur. Pour celles et ceux qui voudraient vraiment y comprendre quelque chose, les paroles sont imprimées dans le livret et là j’avoue – parce que j’ai quand même testé – que je n’adhère pas du tout à ces mots que Mr Protector a voulu mettre en musique.
Bizarrement et paradoxalement le titre le moins bon de Pétrole est le tout dernier, 5-3, et c’est un pur instrumental. Il y manque de toute évidence quelque chose et ce quelque chose et bien… c’est la voix et les mots mâchouillés qui vont avec. En fait tout ce qui donne la couleur et le rythme si particuliers à une musique qui ne manque pas d’idées et dont la concrétisation alambiquée et osée va en défriser quelques uns, ça je le conçois aisément. Le jour où vous aurez envie d’écouter un disque sans faire le moindre effort ni vous poser trop de questions n’écoutez pas Mr Protector. Par contre, le jour où vous vous sentirez d’attaque et curieux, foncez et vous le regretterez pas.
