mercredi 14 avril 2010

Nick Cave & The Bad Seeds / Tender Prey


















Tender Prey est il le meilleur album de Nick Cave & The Bad Seeds ? D’une certaine façon, oui. Ce disque est une indéniable réussite artistique. Mais on peut très largement lui préférer ses prédécesseurs (hormis bien sûr l’album de reprises Kicking Against The Pricks). Printemps 1988. Je me revois encore, glandant avec quelques autres sur le perron devant la radio associative de la petite ville où j’habitais alors : la rumeur d’un prochain concert parisien de Nick Cave faisait rage et l’un d’entre nous, bien plus âgé – tellement plus âgé qu’il avait eu entre toutes autres choses la chance de voir Birthday Party en concert à Londres au début des années 80 –, soutenait que c’était impossible, que Nick Cave était mort quelques semaines plus tôt d’une énième overdose. Il avait évidemment tort, sauf sur un point : ce fameux concert parisien a bien été annulé suite à de nouvelles frasques du chanteur australien. Mais ce n’était pas grave. Tender Prey, cinquième album des Bad Seeds est sorti à la fin de l’été et Nick Cave s’est lancé à l’automne dans une nouvelle tournée européenne n’oubliant pas la France, notamment une date à Paris (à l’Elysée Montmartre), à Lyon (au trop éphémère Truc[k] de Vénissieux) ou à Rennes (aux Transmusicales).
A cette époque, les Bad Seeds ont le meilleur line-up de toute leur histoire et en concert le groupe fait de réelles étincelles. Outre Nick Cave au chant on compte Blixa Bargeld et Kid Congo Powers aux guitares, Mick Harvey à la basse, au xylophone, à l’orgue ou aux percussions, Roland Wolf à l’orgue et au piano et Thomas Wydler à la batterie. Je me rappelle également que sur scène il y avait deux centres d’intérêt pour le public, deux figures emblématiques : Nick Cave et Blixa Bargeld qui récoltait au moins autant de hurlements et d’apostrophes que le chanteur. Pourtant tout fonctionnait parfaitement entre eux, les Bad Seeds était encore un vrai groupe et non pas un backing band de luxe pour crooner destroy dirigé en souterrain par Mick Harvey. Nick Cave était pourtant en train d’inventer le gothique chic mais ça on ne le savait pas encore.

On ne le savait pas encore mais on se doutait bien que quelque chose était en train de se produire : Nick Cave allait bientôt déménager au Brésil, mettant fin à sa période berlinoise. Surtout il commençait à assumer de plus en plus ses penchants pour la gaudriole musicale : le single Deanna, composé sur le canevas d’un vieux gospel, est presque joyeux. D’un autre côté, des titres comme Watching Alice (qui n’est pas sans avoir des airs de parenté avec The Moon Is In The Gutter, la face B de In The Ghetto), Slowly Goes The Night et l’emphatique New Morning représentent la porte désormais résolument ouverte par Nick Cave sur une carrière de crooner allumé. Pour l’instant, les fans considèrent ces nouvelles orientations musicales d’un œil amusé – oui, pourquoi pas ? – et certains y trouvent même un second degré ironique (les shababa baba de Blixa Bargeld et Mick Harvey sur Slowly Goes The Night). La bienveillance punk au sujet des dérives arty de ses idoles est quelque fois bien terrible. Heureusement, même sur ces titres, on trouve toujours un je ne sais quoi de grondant et de vaguement menaçant, sûrement du au fait que Nick Cave ne sait toujours pas assez bien chanter pour être le grand chanteur de ses dames qu’il rêve d’être en secret. Sa voix lâche, croasse, lui file entre les doigts et si décalage il y a c’est bien ici qu’il faut le chercher bien que rien n’ait bien sûr été prémédité.
Reste une grosse majorité de titres : Up Jumped The Devil, Mercy, City Of Refuge, Sunday’s Slave et Sugar Sugar Sugar qui représentent dignement ou excellemment le côté sombre de la musique de Nick Cave & The Bad Seeds. Là, même l’amateur du suicidaire From Her To Eternity ou du mortuaire Your Funeral… My Trial peut s’y retrouver. Et c’est sans compter sur le morceau d’introduction, The Mercy Seat, longue complainte halluciné pour laquelle Nick Cave se met dans le peau d’un condamné à la peine capitale qui s’adresse à Dieu en attendant l’heure de la chaise électrique et de sa mort – le titre du morceau comme les paroles jouent sur une dualité ironique dont Nick Cave s’est fait une grande spécialité, The Mercy Seat étant à la fois le trône de Dieu et la dite chaise électrique.

Les bonus de la nouvelle édition deluxe et numériquement (?) remasterisée comprennent l’honorable The Girl At The Bottom Of My Glass (la face B du single Deanna) ainsi que les versions acoustiques de The Mercy Seat, City Of Refuge et Deanna qui seront offertes en bonus avec l’album d’après, The Good Son – à noter que Deanna est ici couplé en medley avec le gospel qui l’a justement inspiré. Le cinquième épisode de Do You Love Me Like I Love You est comme les précédents et les suivants : une compilation d’interviews de musiciens, de personnalités, de témoins et de fans qui égrainent leurs impressions et anecdotes personnelles sur Nick Cave et Tender Prey (avec entre beaucoup d’autres Mark Arm, Blixa Bargeld, Max Décharné, Christoph Dreher, Flood, Bobby Gillespie, Mick Harvey, Guy Maddison, Daniel Miller, Kid Congo Powers, Simon Reynolds, Alan Vega ou Nick Zinner).