vendredi 16 avril 2010

De la freeture sur toute la ligne























Quoi ? Comment ? Qu’est ce que j’apprends ? Le concert qui a lieu au Grrrnd Zero en ce mercredi soir serait le dernier jamais organisé par Gaffer records ? Pour de vrai ? Sans déconner ? Pour toute la vie ? Ça c’est de la mauvaise nouvelle… Mais c’est effectivement confirmé : pour l’instant – c’est moi qui rajoute le pour l’instant – il n’y aura plus à Lyon de concerts estampillés du nom de notre label local préféré à tous. Les deux personnes qui gèrent la chose s’en expliquent en argumentant qu’il n’y a pas assez de monde qui traîne dans le coin pour la musique qu’ils souhaitent défendre et que par conséquent ils perdent trop d’argent sur les concerts. Le vieux mécanisme de la loi de l’offre et de la demande, quoi. Un truc encore plus vulgaire lorsqu’il rattrape même celles et ceux qui ont toujours tout fait pour s’en dépêtrer. Le Do It Yourself victime d’un paradigme fondamental de la théorie économique classique et libérale.
Les concerts Gaffer s’arrêtent peut être mais l’édition de disques, fort heureusement, continue. Ainsi cette dernière soirée est en quelque sorte la release party de The Forbidden Beat, le premier CD/DVD du trio Mario Rechtern/Sheik Anorak/Weasel Walter que l’on avait pu découvrir l’année dernière au Rail Théâtre. Et en début de programme ce sont deux groupes amis de Gaffer qui ont accepté de jouer, Chewbacca et FAT32 : on les a déjà vus un nombre incalculable de fois au Grrrnd ou ailleurs mais, à tout bien y réfléchir aussi, la dernière remonte tout de même à un sacré petit moment, voilà donc l’occasion de remettre les pendules à l’heure – FAT32 est l’un des meilleurs groupes locaux – sans prendre le risque d’être déçu. Sortir dans le confort et la sécurité d’une soirée réussie d’avance, donc. Ou le concert en mode charentaises. Ironiquement, Le Grrrnd se remplira un peu pour ce dernier concert, comme si on s’était donné le mot : la dernière programmation Gaffer, faut y aller. Je remarque même un ou deux individus fringués comme Pharoah Sanders ou David S. Ware : il y a indéniablement des jazzeux dans la salle. Je sors mon masque à gaz et mon lance-flammes au cas où ?
















Pas la peine parce que du jazz il n’y en aura pas beaucoup voir même pas du tout, et surtout pas avec Chewbacca. Le duo batterie et voix joue en premier et a décidé de le faire dans le noir, ce qui n’apporte pas grand-chose à sa musique. La recette est toujours la même mais, basée sur l’improvisation, elle se renouvelle sans cesse : Damien Grange assure le fond sonore en utilisant des samples et des boucles de sa propre voix et qu’il élabore en direct et il chante/hurle également en yaourt tandis que André Duracell bat la (dé)mesure avec toute la persévérance et toute l’inventivité qu’on lui connait. Avec le temps et l’habitude de jouer ensemble, ces deux là ont certes acquis des réflexes communs, ont (inconsciemment ou non) mémorisé des plans qu’ils reprennent plus ou moins d’une fois sur l’autre mais globalement, la capacité d’imagination du duo et sa force d’interprétation font que l’on s’ennuie rarement. Il faut juste être prêt, puisqu’il s’agit d’improvisation, à encaisser des hauts et des bas, au gré des fluctuations de l’inspiration de ces jeunes gens plutôt énervés.
Laquelle inspiration me semble ce soir moins en prise directe avec les tornades grind que d’habitude et piochant plus dans des délires hip-hop. Je le regrette un peu parce que ce que je préfère chez Chewbacca c’est lorsque le duo passe en mode répétitif et monte de plus en plus le son pour finir dans un plan tellement hypnotique que l’on ne sait/se demande plus du tout comment il a bien pu commencer. De la transe, mes cochons. Les délires rapés – même en yaourt et avec une certaine agressivité exubérante – m’attirent moins (Damien a un autre projet appelé Rature, complètement basé là-dessus et que je n’aime pas beaucoup) bien que ceux de Chewbacca gardent un indéniable sens de la pulsation. Contrairement à ses habitudes le groupe ne joue pas longtemps et les lumières se rallument. Ça pique un peu les yeux mais les oreilles vont bien.
















Ces mêmes lumières ne s’éteindront pas pour FAT32 qui joue tout de suite après. Le duo devrait bien finir par sortir un jour ou l’autre son premier enregistrement dans la série des split 10 pouces initiée par Gaffer Gaffer et surtout il part en tournée à la fin du mois d’Avril dans une bonne partie de L’Europe en support de Secret Chiefs 3 – Trey Spruance étant tombé profondément amoureux des lyonnais lorsque les deux groupes avaient joué ensemble l’année dernière à Lyon. On peut faire largement pire comme coup de pouce du destin/ mise de pied à l’étrier.
Nos deux garçons démarrent tranquillement et me semblent au départ un peu moins dedans et un peu moins à fond que d’habitude – est ce parce que cela fait longtemps qu’ils n’ont pas fait de concert ensemble ? –, petite impression qui ira en s’effaçant au fur et à mesure que le set suivra son cours et gagnera en intensité et en furie. La musique de FAT32 est toujours aussi virtuose et virevoltante mais d’une telle fraîcheur et d’un tel humour qu’il est impossible de se dire que non, non, non, ce n’est qu’un ramassis de musiciens adeptes de la branlette supersonique. FAT32 c’est même tout le contraire, encore une fois.
Chose assez inédite, le duo rencontre un ou deux problèmes de coordination et d’enchaînement, une panne technique même, et ces moments de flottements sont gérés avec le même humour que tout le reste, les FAT32 ne sont définitivement pas là pour se prendre la tête, et cela ajoute une dimension encore plus humaine à leur approche finalement très instinctive de la musique – on s’en serait un peu douté, bien que ces deux là s’habillent toujours en noir, un truc qui fait peur quoi.
Sinon, pour le reste, ce concert de FAT32 a été un régal de pitreries instrumentales, de grind musette, d’anti jazz farouche, de concours de grimaces, de metal barbapapa, de variétoche roulée dans l’acide. C’est toujours un grand bonheur de voir ces deux là en action et on leur souhaite une excellente tournée en compagnie de leurs nouveaux amis de Secret Chiefs 3.
















La tournée 2009 du trio Mario Rechtern/Sheik Anorak/Weasel Walter s’était tellement bien passée que les trois musiciens ont décidé de remettre ça en 2010, avec encore plus de dates (dont une grosse majorité à l’étranger) et surtout un premier disque – chroniqué très bientôt dans ses pages, bien sûr avec tous les éloges qui lui sont dus. Comme d’habitude Weasel Walter arbore le t-shirt improbable d’un groupe de metal extrême de la vieille école et évidemment plus au moins obscur : l’année dernière il s’agissait des mythiques Repulsion, cette année ce sera Malignancy (y a-t-il un spécialiste dans la salle ?).
Concert des retrouvailles entre les trois musiciens, cette première date s’est révélée moins impressionnante et moins vivace que la prestation de l’année dernière, le trio partant plus dans des plans très abstraits et enfourchant moins les rythmes effrénés de Weasel Walter pour partir à la conquête d’un monde de bruit et de fureur. Presque chichiteux par moments. C’est que Walter délaisse un peu trop sa batterie et sa double pédale à mon goût, sortant d’un vieux sac tout un attirail d’accessoires qui ont l’air de beaucoup l’amuser : voici donc Weasel qui joue avec son micro, Weasel qui joue avec des cloches ou tout ce qui lui tombe sous la main. Moins batteur et plus monsieur Loyal. Après la frénésie de FAT32 il faut un peu de temps pour s’habituer à ce pointillisme bruyant.
















La vedette du trio est et restera sûrement Mario Rechtern et sa magnifique veste de costard bleu azur. J’ai eu beau chercher, trouver un enregistrement de ce vieux bonhomme – il dépasse les soixante dix ans – est rigoureusement impossible et jusqu’à l’année dernière je n’avais jamais entendu parler de lui ni écouté une seule note de sa musique. Lui aussi trimbale un panel incroyable d’instruments et d’accessoires à ses concerts (ce qui est tout de même plus facile à faire lorsqu’on est un souffleur), utilisant toute la gamme des saxophones possibles et imaginables, voire aussi des bouts d’instruments, les customisant avec des calebasses, des cordes et jouant devant une plaque de metal pour altérer le son de son instrument.
De la générosité comme on dit, sans l’étalage d’un savoir-faire que vu son grand âge Mario Rechtern a eu largement le temps d’oublier. De la générosité il en fait preuve également lorsqu’il se rapproche de ses deux petits camarades : le groupe joue en ligne le long de la scène – une idée de Weasel Walter qui lui voulait carrément jouer sur scène – et il semble trouver son petit Skeik Anorak un peu trop loin de lui, tout à l’opposé, donc il va le retrouver pour jouer à ses côté, ce qui a pour effet immédiat de booster le lyonnais un peu perdu et isolé par les facéties bidouilleuse de Walter. Le trio finit heureusement par trouver ses marques et après une demi heure d’un jeu brouillon mais finalement délicieusement cacophonique s’offre une dernière partie d’improvisation libre complètement débridée, exactement ce que j’aurais souhaité entendre pendant tout le concert. Gageons que ceux qui suivront au cours de la tournée de douze dates (qui ira jusqu’en Suède et en Norvège !) seront le fruit réussi de cette première soirée d’échauffement.