Deux semaines déjà que je reste à la maison, bloqué à rien foutre à cause de vertèbres cervicales récalcitrantes et donc deux semaines passées à bouquiner (entre autres choses deux livres édités par le Camion Blanc : le premier consacré à Cliff Burton, finalement nul alors que j’espérais le contraire, et le second au sujet de Slayer, un peu mieux), deux semaines à regarder des films stupides, à draguer sur internet, à me faire de nouveaux amis sur facebook, à twitter avec les mères de famille de l’école de mes filles, à mélanger de la bière avec des anti-inflammatoires, à me demander quel genre de job je pourrais bien faire pour justement ne rien faire moyennant une rémunération conséquemment confortable – les plaisirs de la vie moderne, le confort qui s’ignore, la merde au bout du chemin. Deux semaines à écouter de la musique.
Et je m’emmerde. Ce n’est absolument pas raisonnable mais je décide d’aller récupérer mon vélo momentanément archivé à la cave, d’enfiler une paire de gants bien chauds, de prendre mon appareil photo, d’ajuster autour de mon cou mon joli collier cervical de couleur bleu marine et d’aller au Sonic goûter un peu de musique en concert, assez curieux de ce que peuvent donner les suédois de Skull Defekts sur une scène. Pour ne rien gâcher c’est Sheik Anorak qui assure la première partie et par la même occasion son concert mensuel à Lyon – prochains rendez-vous : en trio avec Weasel Walter et Mario Rechtern le 14 avril et en première partie de Chevreuil le 11 juin.
Lorsque j’arrive je trouve que ça manque d’un van garé devant le Sonic… effectivement les suédois ont planté le leur à Milan où a eu lieu leur concert de la veille mais ils ont téléphoné en milieu d’après midi pour prévenir qu’ils en louaient un de dépannage et qu’ils seront donc très en retard. Ils débarquent aux alentours de 21 heures et expliquent qu’ils n’ont pris qu’une partie de leur matériel, que le reste est resté à Milan avec le van en carafe, qu’ils y retournent dès le lendemain pour récupérer leurs affaires et leur camion et continuer la tournée sur la date de Berlin le 11 mars en faisant donc sauter celle du 10 à Fribourg. Mais dites-moi les gars pourquoi n’être tout simplement pas restés tranquilles et peinards à Milan en attendant que votre van soit réparé ? Réponse : ben on tenait absolument à jouer au Sonic (sic).
Il y a déjà un public conséquent lorsque Sheik Anorak commence à jouer. Inutile de redire tout le bien que je pense de ce garçon et de sa musique. Je suis juste complètement frustré de rester planté devant la scène en essayant de ne pas trop bouger et trouvant que ce collier cervical me tient décidemment beaucoup trop chaud et m’empêche de trop bouger. Bien que désormais familier du répertoire de Sheik Anorak je préfère rester sagement en dehors du concert alors qu’autour de moi j’en vois qui s’agitent de plaisir. Les tubes de l’album Day 01 sont passés en revue et c’est surtout le morceau titre qui arrive enfin à me tirer de mon inconfort physique présent. Sheik Anorak termine on set au bout d’une demi heure je me dirige vers le comptoir pour commander une bière alors que je sais pertinemment que cela m’est formellement interdit.
Place à Altar Of Flies. Au début je pensais que ce one man band était en fait le side project de l’un des membres de Skull Defekts (lesquels ne se gênent pas pour régulièrement publier des enregistrements pas très intéressants de drone bruitiste effectués en formation réduite) mais non, il s’agit bien d’une cinquième personne qui a installé son petit matériel sur une table. J’aime bien le nom du groupe ceci dit, sonnant comme une parodie de nom de groupe black/death ce qui pour un type venant de Suède est assez croustillant.
On annonçait quelque chose ressemblant à du harsh mais le début du set fait plutôt penser à une énième caricature de drone ambient – genre dont je suis pourtant client pour ne pas dire friand – mais fort heureusement le son s’intensifie rapidement et radicalement, virant effectivement au harsh. Ce n’est jamais toujours très passionnant de regarder un gugusse pousser des boutons mais notre homme fait bien mieux que ça : il a branché un micro contact sur une cymbale qu’il brandit à bout de bras et avec laquelle il se tape sur la tête. Effet granguignolesque garanti mais effet sonore garanti également.
Altar Of Flies a également cette intelligence de s’arrêter rapidement, ne jouant qu’une vingtaine de minutes. Il évite ainsi l’écœurement trop souvent engendré par les terroristes du feedback et reste au niveau d’une performance éphémère qui n’aurait pas tenu sur la durée. Tant mieux : mes vertèbres n’ont même pas eu le temps de crier leur souffrance face à toutes ses mauvaises vibrations. Du coup Altar Of Flies s’avère être une bonne surprise et ce n’est finalement pas très étonnant si le nouveau disque de ce garçon est publié par le label Release The Bats, plutôt de qualité dans le genre.
Je m’affale sur une baquette comme un vieux pépère et je compte qu’il doit y avoir entre soixante et soixante dix personnes qui se sont déplacées ce soir. Les Skull Defekts mettent un certain temps à s’installer vu qu’ils sont arrivés très en retard et il leur manque donc une partie de leur installation – des congas en particulier, c’est dommage – mais on peut remarquer quelques trucs amusant comme les deux gros bidons de plastiques bardés d’autocollants (Ideal Recordings, entre autres) et servant de percussions au musicien le plus discret des quatre et qui s’occupera également de la bidouille. Le reste du line-up se compose d’un guitariste/chanteur chauve et barbu dont la tête me dit complètement quelque chose, d’un batteur très élégant (tous les membres de Skull Defekts sont fringués comme des boss, tout de noir vêtus et avec des pompes à bouts pointus) et d’un deuxième guitariste/chanteur également chargé d’un peu de bidouille et surtout chargé de faire rire avec des blagues à la con mais particulièrement drôles il est vrai.
Je ne m’en rappellerai qu’après le concert mais le guitariste de gauche, celui dont la tête me disait fortement quelque chose, est un ancien Kid Commando, un groupe croisé en concert aux alentours du début du nouveau millénaire et dont j’ai du coup ressorti l’album Holy Kid Commando (mais je n’ai pas ce foutu split single avec Arab On Radar, pressé par Ideal Recordings justement, pour la tournée commune des deux groupes). Et bien sur ce disque le son de guitare est reconnaissable entre mille, c’est aussi celui d’une des deux guitares de Skull Defekts. Pour l’instant le groupe attend dans le noir puis allume deux grosses lampes, signe que les choses sérieuses vont pouvoir commencer.
Le deuxième album rock’n’roll de Skull Defekts, le trop long et trop dispersé The Temple, avait finalement terminé sa course dans le décor, passant à la trappe au moment des bilans comptables et statistiques de fin d’année, victime de compositions ralentissant considérablement son rythme sans apporter grand-chose en compensation. Sur scène c’est autre chose, les Skull Defekts jouant volontairement avec des pauses grotesques de guitar hero alors que la musique du groupe est aride, sèche, très rythmique – le son qui claque du guitariste de gauche – et même lorsque l’autre guitariste se lance dans un solo de guitare halluciné on reste à la fois dans l’outrage et dans l’anti démonstration : il joue tour à tour aigrelet et même complètement faux, un peu comme si Jerry Garcia (mauvais exemple) se servait d’une guitare jouet piquée à Eugène Chadbourne, mais fort heureusement il ne joue jamais trop longtemps (qu’est ce que je disais déjà à propos de l’exemple de Jerry Garcia ?).
Le post punk de Skull Defekts reste éminemment tribal et dansant et pas seulement parce qu’il y a deux batteurs/percussionnistes dans le groupe. Il y a franchement de quoi s’amuser à ce concert sauf que mes vertèbres sont encore et toujours là les salopes, j’aurais un agent de contrôle du politburo derrière mon épaule droite m’interdisant tout débordement et toute manifestation de bonheur ou même de simple contentement que ce serait pareil : mon enthousiasme reste scotché derrière ma nuque à grands coups de médocs et d’attèle. La poisse surtout que juste à côté de moi une furie s’agite dans tous les sens, je m’écarte pour ne pas me prendre un coup de boule.
Quelques variations interviennent notamment lorsque le percussionniste/bidouilleur s’empare de la guitare, laissant le barbu sans cheveu faire son show de rock star théâtral. Encore quelques blagues foireuses, des rires – merde ça me fait mal aussi lorsque je ris trop fort – et c’est l’heure pour les Skull Defekts de jouer un dernier titre en guise de rappel parce qu’ils en ont encore le temps. Plusieurs personnes dans le public réclament Six Sixes, l’un des meilleurs si ce n’est le meilleur titre de The Temple mais le groupe ne peut pas le jouer, sûrement à cause de son matériel manquant. Dommage, et ce sera le seul point noir d’un bon concert qui se terminera comme il avait commencé c'est-à-dire dans l'obscurité complète.