Le culte voué aux Spacemen 3 me fout mal à l’aise : ouais, OK, ils étaient là bien avant Loop, une poignée d’années dira t-on, années pendant lesquelles Jason Pierce et Peter Kember ont défriché le terrain pour tous les groupes de suiveurs, y compris celui de Robert Hampson. A y regarder de plus près, la première trace discographique de Spacemen 3 – formé en 1982 – date de 1986 (Sound Of Confusion) alors que celle de Loop – formé seulement en 1986 – date elle de 1987 (le fabuleux maxi 16 Dreams, bientôt suivi la même année par un premier album, Heaven’s End). Si Loop a ainsi pu brûler les étapes c’est sûrement parce que Spacemen 3 avait fait tout le sale boulot.
En réécoutant les disques des deux groupes, on s’aperçoit surtout que ceux de Spacemen 3 tiennent difficilement la route, souffrant souvent d’un vide abyssal question qualité des compositions, vide que les effets de feedback ou autres ne peuvent parvenir à cacher complètement. Ce qui était fascinant chez Spacemen 3, c’était l’attitude, la branlitude du Taking Drugs to Make Music to Take Drugs To dont aujourd’hui il ne reste plus grand-chose, mis à part Spectrum (Peter Kember) d’un côté et Spiritualized (Jason Pierce) de l’autre, c'est-à-dire deux demi groupes ne pouvant même pas prétendre au statut de demi dieu qu'ils auraient pourtant mérité. Pionniers mais finalement décevants. Ecouter les disques de Spacemen 3 relève presque de l’ennui alors que je ne doute pas une seconde que Spectrum ou même Spiritualized en concert doivent vraiment valoir leur pesant d’hypnose psychédélique*.
Avec Loop, c’est très exactement le contraire. Tous les albums du trio ont été superbement réédités et de la meilleure façon qui soit c'est-à-dire en double CD avec un premier disque comprenant uniquement l’album original et un second avec les maxis, versions alternatives, radio sessions, etc. The World In Your Eyes collecte même en trois CD tous les formats courts du groupe, y compris Like Rats, reprise de Godflesh enregistrée sous le nom de Loopflesh et paru sur un split avec le groupe de Justin Broadrick – on peut aussi noter que Robert Hampson a à une époque activement tourné avec Godflesh et qu’il a même participé à quelques titres de l’album Pure, au passage l’un des meilleurs albums de Godflesh avec Streetcleaner et Songs Of Love And Hate. On trouve ici tous les détails discographiques et historiques de Loop.
A Gilded Eternity est le troisième et dernier album du groupe, c’est logiquement aussi le dernier à subir le traitement d’une réédition haut de gamme : digipak gatefold, artwork d’origine, premier disque comprenant donc ce qui a été l’album le plus acclamé de Loop et second disque avec deux sessions démo et une Peel session. L’album en lui-même n’a pas pris une ride, le minimalisme forcené des compositions et le chant psalmodié sous champis n’entachant aucunement un pouvoir mélodique servi par un jeu d’harmoniques sans fin. Mais surtout Loop n’a pas oublié d’être un groupe de rock radical – et la radicalité ce n’est pas seulement de jouer assis noyé dans les fumigènes et les effets stroboscopiques comme Spacemen 3 ou le dos tourné au public comme Jesus And Mary Chain – grâce à une utilisation certes classique mais sans faille du couple basse/batterie (Afterglow) insufflant dynamique et vitalité à un épais brouillard cotonneux tissé par une guitare malgré tout agressive (oui il y a des solos qui ne font pas mal aux oreilles et donnent juste envie de s’y perdre). L’autre pendant de ce disque c’est un titre comme Blood, sorte de bouture d’un Joy Division psychédélique – toujours le travail à la batterie – traversé par les lamentations fantomatique d’un chant lointain. Enfin, une fois digérés les hits entrainants que peuvent être le très accrocheur Vapour (et son accélération finale presque hérétique), The Nail Will Blow à la simplicité stoogienne, Breathe Into Me à la limite de la pop tout comme le très garage From Center To Wave Here, le tout dernier titre, Be Here Now, revient lui vers cette hypnose lancinante que bien plus tard on appellera shoegaze, parfois pour le meilleur et souvent pour le pire.
Le deuxième disque est loin d’être anecdotique puisqu’on y goûte à des versions encore plus acérées de quelques titres pour la plupart tirés de l’album (Afterglow, Arc-Lite, Breathe Into Me dans une version plus garage, l’excellent Vapour, The Nail Will Burn encore plus punk ou Be Here Now avec sa ligne de basse bien mise en avant) ainsi qu’à des plages beaucoup plus ambient (Shot With A Diamond et Sunburst) préfigurant le groupe d’après de Robert Hampson, Main, certainement l’une des meilleures choses dans la catégorie hypnotique/dub désossé/atmosphère glaciaire que les 90’s aient connue – on attend éventuellement les rééditions des maxis de la série Hz ou même des Firmament à l’origine parus chez Beggar’s Banquet. Pour beaucoup A Gilded Eternity est sans contestation possible le chef-d’œuvre de Loop. Disons qu’il s’agit là de son disque le plus abouti et – c’est vrai – une pièce maîtresse de la musique anglaise de la fin des années 80 et du tout début des années 90, alors que celle-ci sombrait dans les affres insupportables de la scène baggy, des stupidités à la madchester avant de virer plus tard à la brit pop sans génie. Depuis, on cherche encore et toujours un bon groupe anglais pop qui pourrait avoir quelque chose d’intéressant à dire.
* chose que l’on pourra enfin vérifier au Sonic de Lyon le 25 mars prochain, on s’en réjouit par avance