lundi 29 mars 2010

Kimmo / Bolt And Biscuit























Je devrais me contenter d’un laconique j’aime beaucoup ce que vous faîtes et m’en tenir là. Ça me ferait gagner du temps, ça t’en ferait gagner à toi aussi, petit lecteur qui esquive à ton travail – fais gaffe ton chef de service est en train de faire sa tournée d’inspection, ferme vite ton navigateur internet et fais donc semblant de t’intéresser au chiffre d’affaire de l’entreprise et aux possibilités d’amortissement de la nouvelle voiture de fonction de ton patron adoré. Mais comme ce monde est de plus en plus peuplé de chômeurs, de RMIstes, de traîne-savates en tous genres subventionnés par l’Etat, de faux malades tirant le déficit de la Sécurité Sociale vers le haut, d’artistes maudits intermittents du spectacle, de paresseux qui refusent de faire n’importe quel travail dégradant pour un salaire ne couvrant même pas leurs maigres besoins, je me sens bien obligé d’évoquer un peu plus profondément le cas de Kimmo, quartet qui contrairement à ce que cette courte intro pourrait laisser penser n’est absolument pas un groupe politisé – quelle horreur – mais avec quelques activistes en son sein, ça oui sûrement, d’une manière assez évidente même.
Bolt And Biscuit a le format dont rêvent éternellement les amateurs de beaux objets et de musique qui tourne pour de vrai, sur une platine, le format d’un 12 pouces et c’est Karaoke666, My Kimono, Les Disques Du Hangar 221 et Rejuvenation (toujours les mêmes) qui se sont associés pour la sortie d’un album qui devrait atteindre le firmament des réussites discographiques 2010. Pour celles et ceux qui ne possède qu’une platine pour CD ça tombe bien, il y en a un également de glissé dans la pochette, laquelle, conçue par le guitariste de Kimmo, fera pour l’occasion un chouette tableau à accrocher dans un salon neo zen post suédois. Voilà pour les détails techniques. Et maintenant la musique.
Durcissant magnifiquement son propos par rapport à After The Show, son disque précédent, Kimmo a également étoffé son vocabulaire ou plus exactement le groupe a approfondi son travail – quel vilain mot lorsqu’on parle musique : on n’est pas en train de gagner sa croûte, là – tout en allant toujours dans la même direction, celle fine et racée d’une musique oscillant entre pop noisy, post rock dynamique (oui ça existe) et incartades teintées de dissonances élégantes auxquelles on peut ajouter quelques tentations emocore (encore un vilain mot). Donc si on doit parler de travail à propos de Kimmo, c’est de travail d’orfèvre, d’horloger ou de dentelière dont il s’agit. De l’exigence, de la précision dans les détails, des contrastes discrets, du surlignage bien vu et en finesse, des blocs de couleurs contrastées mais toujours bien en place, rien ne bave, des volumes savamment ciselés. Je parle des compositions bien sûr, compositions à la fois haut de gamme, racées et nerveuses, mais pas seulement : la mise en son (orchestré par un Miguel Constantino toujours aussi efficace) développe les mêmes qualités, celles d’une production sèche et claire tout en gardant un son extrêmement chaleureux. La discrète dualité de la musique de Kimmo – entre effluves pop et lignes de tir noise – est ainsi toujours davantage mise en exergue et possède au final un charme fou.
A propos de Kimmo on parle aussi souvent des deux guitares, merveilleuses d’allant, de répondant et de trépidation, tirant à boulets rouges, forçant le passage, remuant ciel et terre à la recherche d’un peu plus de bruit mais sachant également et fort heureusement calmer le jeu ou plutôt brouiller quelque peu les pistes, lignes claires légèrement dissonantes dans la grande tradition mélancolique. N’oublions pas non plus la rythmique, ce couple basse/batterie d’une souplesse et d’une conviction à toutes épreuves semble t-il, d’une précision qui frise le tatillon et avec un groove exemplaire que l’on remarque dès le premier titre, l’excellent Kikkoman, groove qui nous collera au plus près tout le long des douze titres de Bolt And Biscuit, provoquant une sorte d’addiction bien irrésistible.
Que de compliments me direz-vous. Et bien ce n’est pas encore fini. Toujours dans ce registre dual, Kimmo a deux voix à son actif. L’une féminine et l’autre masculine. Alors que la première est nettement prédominante – et pour cause, cette chanteuse au timbre aigu a vraiment quelque chose pour elle – la complémentarité entre les deux voix aurait pu suffire à notre plus grand bonheur bien que recoupant un schéma sinon trop classique du moins déjà maintes fois entendu. Or, parlons encore et toujours de cette voix féminine, celle-ci se révèle posséder à elle seule tout le secret alchimique de Kimmo, entre le charme des lignes de chant les plus pop avec en filigrane un je ne sais quoi de vénéneux et les moments où cette même voix sait faire monter la tension, ne tombant pas dans le piège de la fébrilité, tenant au contraire en équilibre sur une ligne bien tracée conduisant tout droit vers l’éclat sonique. Ces caractéristiques vocales déterminantes – tout comme la variété intrinsèque des couleurs de la musique de Kimmo – atteignent leur sommet sur le quatrième titre de Bolt And Biscuit, le magnifique After The Show et ne cessent elles aussi de nous hanter. Un album magnifique, tout simplement.