Blind Sink est le deuxième enregistrement notoire de Bästard, après un premier album ahurissant et sans titre paru en 1994 – celui dont la pochette pourrait bien représenter une morte avec les yeux grands ouverts. Les cinq lyonnais – cinq mais plus pour très longtemps encore – sont plus que jamais en appétit et comme à l’époque des Deity Guns enchainent les enregistrements. Blind Sink, joyau de l’année 1995 (à égalité avec le 10 pouces China Town sorti quelques mois après et marquant un changement certain dans l’orientation musicale du groupe en même temps que le rétrécissement du line-up d’origine) avait été publié par Zeitgeist, un micro label monté par les gens de Semantic distribution et s’occupant également des disques des petits camarades de Sister Iodine. Il me semble aussi me rappeler d’une histoire comme quoi à l’époque Bästard voulait plus ou moins changer de nom pour ne pas risquer d’être confondu avec un homonyme américain*, ce qui explique que sur la version originale du disque les mots Blind et Sink entourent le nom de Bästard mais l’infographiste n’ayant pas renouvelé cette manipulation typographique sur la tranche du CD et le groupe décidant que finalement cela n’avait rien d’important, Bästard est finalement resté Bästard et Blind Sink est le meilleur disque des lyonnais. Le meilleur ? Allez, je veux bien concéder qu’il ne s’agit là que de mon préféré.
Le label Killed By An Axe records a eu cette idée complètement folle quinze années après d’éditer Blind Sink en vinyle pour la première fois et à trois cent exemplaires. L’objet est magnifique, l’illustration de la pochette plus belle que jamais, le vinyle est confortablement épais et au risque de passer une nouvelle fois pour un réactionnaire, le support vinyle est vraiment celui qui va le mieux à l’incroyable musique de Bästard – on espère donc que le premier album (n’étant à l’époque sorti lui aussi qu’en format CD**) bénéficiera du même traitement. Il n’est jamais trop tard.
Aujourd’hui, à la réécoute des six titres de Blind Sink, ce qui frappe le plus c’est la brutalité – si bruitalité existait c’est ce terme là qu’il faudrait employer – d’un groupe ne s’embarrassant guère d’artifices et de mises en bouche. Death Party débarque à peine que l’on est subjugué par les guitares, les bidouilles de J-M Berthier et l’énergie d’une rythmique qui n’a rien à envier à celle que développaient auparavant certains de ces jeunes gens au sein de Deity Guns. Si Mud est moins rentre dedans, on y apprécie la mise en place reptilienne, les percussions qui rappellent les copains de Cop Shoot Cop et le mélodica qui vient brouiller les pistes avant l’intervention d’une guitare en mode gratouillis. Daddy’s Lipstick c’est un peu ces deux aspect là réunis, c'est-à-dire la ténacité d’une véritable énergie alliée à un sens de plus en plus poussé de l’expérimentation – le même J-M Berthier se fait une nouvelle fois plaisir en balançant même une ritournelle sixties dont il a toujours eu le secret.
On change de face et on se retrouve nez à nez avec Veil Of Light, donc une reprise des Pain Teens (de l’album Case Stories de la bande à Bliss Blood, jumelé en CD avec Born In Blood), un choix judicieux et une interprétation parfaite de la part de Bästard, malade, entêtante et irrésistible avec son gimmick à la guitare. Gladiator est le titre le plus sauvage de Blind Sink, hystérique et tribal, laissant malgré tout suffisamment de place à la fausse doublette Warriors/Friends, plus raffinée et marquée par les rondeurs d’une basse toute en force et en même temps toute en souplesse. Aujourd’hui encore Blind Sink s’impose comme un très grand disque, un pur instantané de grâce brute et d’invention et démontre toujours que personne à l’époque ne pouvait espérer rivaliser avec Bästard.
* à moins que cette idée saugrenue n’ait été le fait de Zeitgeist… Blind Bästard Sink c’était de toutes façons trop long et trop laid comme nom
** edit : ceci s'avère être complètement faux... mais on aimerait bien une réédition en vinyle de ce premier album quand même