Alors là il y a l’embarras du choix en ce mardi 16 février, les concerts sont légions dans cette bonne vieille ville de Lyon où vivre est devenu tellement agréable. En fait agréable c’est tout de même vite dit : on me raconte que l’un des membres éminents du collectif du Grrrnd Zero où je me rends ce soir s’est purement et simplement fait défoncer la gueule à coups de poing américain alors qu’il collait gentiment des affiches de propagande musicale sur les murs. L’auteur de ce geste de violence serait un grapheur reprochant au dit colleur d’affiches de recouvrir ses œuvres picturales avec des bouts de papiers purement inesthétiques. Comme si cette ville de merde n’était pas assez grande pour tout le monde. Apparemment non. Il fut un temps où les mecs qui dessinaient sur les murs étaient moins cons que les propriétaires de 4x4 de la Croix-Rousse hurlant à la mort et à la pollution visuelle dès qu’une affiche décorait le mur en bas de chez eux. A suivre parce qu’il parait qu’en plus des menaces ont été proférées à l’encontre d’autres colleurs d’affiches. On vit une époque formidable.
Pour en revenir aux concerts de ce mardi soir, il y avait le choix entre la Marquise avec un duel branchouille entre Cercueil et un autre groupe dont j’ai préféré oublier le nom, le Sonic avec le premier concert d’une nouvelle star lyonnaise de la musique ethnique et ce concert, tout simplement inratable, organisé par Gaffer records avec deux groupes – Poke Machine et Tree People – comprenant chacun un membre de Moha! donc deux bonnes raisons de se déplacer. Malheureusement nous n’avons pas été beaucoup à le penser vu le faible nombre de personnes qui se sont finalement rendues à ce concert.
Mais des bonnes raisons il y en avait encore au moins une autre. Ce soir -1 va donner son concert annuel et ayant lamentablement raté celui de l’année dernière je ne saurais être absent à celui-ci. -1 est un duo de choc avec Damien Chewbacca à la basse, au chant et aux effets ainsi que Franck Gaffer/Sheik Anorak/Hallux Valgus/SoCRaTeS à la guitare, à la batterie et à la mise en boucle. Sur le papier c’est du tout bon. Et dans la réalité ? Il y a une règle très importante à respecter lorsqu’un artiste en pleine crise de confiance vient vers vous après son concert pour pleurnicher qu’il n’a fait que de la merde durant son set alors que vous, vous pensez exactement le contraire : surtout vous ne l’écoutez pas. Sûrement pas. Jamais.
Je ne sais pas de quelles idées précises – s’il y en a – sont partis ces deux garçons pour élaborer la musique inclassable de -1 mais le résultat, là où ils finissent par atterrir après de longues montées en puissance hypnotiques et limite kraut avec incantations borborygmées de Damien, le résultat donc est radicalement surprenant. Comme une longue coulée de boue, une coulée trippante et noise à la fois, s’épaississant sur la durée tout en prenant son envol et finissant dans un chaos de bruit et de fureur. Et puis il y a cette capacité qu’a le chant à donner un supplément d’âme frissonnante, de ferveur psalmodiée, d’odeur de marécage urbain, un chant (parfois simples bruits de bouche ou onomatopées) qui est l’axe central de la musique de -1 – mais cela n’étonnera personne puisque presque tous les autres projets de Damien tournent aussi autour de cette idée (Chewbacca, Rature…). Un bon concert surtout pour un groupe qui répète deux fois par an c'est-à-dire durant les quinze jours précédant le concert. A l’année prochaine les gars.
Dans Poke Machine on retrouve Anders Hana le guitariste et clavier de Moha! ainsi que Mat Pogo à la voix et à la bidouille (il a un drôle de pad qui ressemble à un lecteur CD et avec lequel il fait comme des scratchs et des allers-et-retours. Comment un norvégien s’est il retrouvé à jouer avec un italien ? Et bien tous les deux habitent à Berlin. Pour celles et ceux qui ont déjà vu Moha! en concert et qui se sont émerveillés de la frénésie avec laquelle Hana joue de la guitare et du synthé en même temps on peut dire qu’avec Poke Machine c’est à peu près la même chose sauf que là il joue du synthé et de la batterie simultanément (il prendra juste un saxophone alto le temps d’un interlude qui ne sera pas le meilleur moment du concert). Il joue de la batterie – succincte quand-même le kit : une caisse claire, une grosse caisse, un tom et deux cymbales – débout, en appui sur une jambe tandis que l’autre martèle sans répit la grosse caisse au passage reliée à un dispositif sonore. Déjà cela fait une belle performance physique. Mais il faut ajouter que derrière ses airs tout calmes d’ange blond ce type est un vrai démon. Complètement allumé.
Or le plus allumé des deux c’est l’autre, Mat Pogo. Une pile électrique, une logorrhée inextinguible, une gestuelle de pantin désarticulé, des tics empruntés au hip-hop et une voix pouvant ressembler à celle de La Linea lorsqu’il s’énerve vraiment mélangée à celle d’un Phil Minton sous amphétamines et le larynx pris dans un hachoir électrique. Un performer vraiment incroyable, entre cartoon malade et absurdité de clown, entre pleureuse trash et sirène d’une ambulance s’écrasant au fond d’un ravin.
Un grand moment de foutraquerie désossée qui c’est vrai – comme on me l’a fait fort justement remarquer après le concert – aurait gagné à un peu plus de concision : Poke Machine a failli jouer trop longtemps, trop longtemps c'est-à-dire ce qu’il faut pour tomber dans le panneau du performer qui bloque les commandes sur mode pilotage automatique pour mieux s’écouter et se regarder. Heureusement nous n’en sommes pas arrivés là et précisons également que les extraits sonores mis en ligne sur le monospace du groupe ne sont absolument pas représentatifs de sa musique (à quoi ça sert alors ?...).
Reste un dernier groupe pour finir cette soirée, Tree People, non ils n’ont rien à voir avec ce groupe basé à Seattle ayant jadis sorti une paire de disques sur Cz records et s’étant illustrés en reprenant de manière assez rigolote le Big Mouth Strikes Again des Smiths. Dans ce Tree People là il y a Morten J. Olsen (le batteur fou de Moha!) qui joue ici d’un curieux assemblage de pièces métalliques et d’un laptop, Ignaz Schick aux platines et accessoires divers ainsi que John Hegre (la moitié de Lars Marhaug dans Jazkamer) jouant d’une guitare qui n’en est plus vraiment une tant elle a été couturée, rafistolée et kitée de toutes parts – à côté la gonflette zizi rider de la 103SP de tes quatorze printemps c’est juste de la gnognotte de conformité respectueuse.
Après la tornade Poke Machine la fureur de Tree People passe assez mal : le trio joue tout simplement du harsh assez banal à un niveau sonore dont la conséquence directe ne saurait être que la surdité si on devait écouter ça trop longtemps. Le groupe doit en avoir conscience – mais plus prosaïquement on peut penser qu’il s’emmerde un peu alors que les rares personnes venues assister au concert partent elles une à une – parce qu’il ne va vraiment pas jouer très longtemps. Disons juste assez pour regarder regarder ces trois grands enfants faire mumuse avec leurs joujoux respectifs (option je bricole, je détruits, je recolle et je recommence à tout casser). Rien de passionnant ni d’indispensable – je me demande toujours avec ce genre de musique ce qui fait la différence entre une bonne performance et le vide inutile : l’humeur du moment ? la quantité d’alcool ingéré ? la marque de l’ordinateur ? Même rengaine et même conclusion : n’est pas Masami Akita et Zbigniew Karkowski qui veut (et encore même eux peuvent se planter à l’occasion). Tout simplement décevant. Trop facile dirait quelqu’un de bien plus sévère.
* mais à dire vrai il n'est pas plus artiste que je suis critique d'art