mardi 14 avril 2009

Brötzmann - Nilssen-Love - Gustafsson / The Fat Is Gone


Question musiques improvisées (jazz ou autres), Smalltown Superjazz est vraiment le label qui a monté en puissance ces dernières années. Il faut dire que cette petite mais bientôt très grande maison norvégienne possède un sacré catalogue : jazz à lunettes (Ken Vandermark), rockers arty (Thurston Moore), terroristes sonores (Lasse Marhaug/Jazkamer), choucrouteurs hypnotiques (Nisenenmondai) et vieilles gloires du free jazz européen (Peter Brötzmann) ou américain (Joe McPhee). Il n’y a pas grand-chose à jeter dans les disques estampillés Smalltown Superjazz ou Smalltown Supersound.
Publié en 2007, The Fat Is Gone est un concert réunissant l’allemand Brötzmann, le suédois Mats Gustafsson et le norvégien Paal Nilssen-Love. Deux souffleurs et un batteur -dont on a pu admirer le jeu très dense lors d’un récent concert d’Offonoff (en compagnie de Terrie Ex et de Massimo Pupillo de Zu)- pour une musique improvisée fatalement typique mais résolument jusqu’au-boutiste et bruyante. Fatalement parce qu’avec ce géant de Peter Brötzmann il ne faut pas s’attendre à grande chose d’autre. Mais qu’importe puisque c’est lui -aux côtés d’autres musiciens tels que Evan Parker, Manfred Schoof ou Sven-Åke Johansson (pour avoir une liste plus complète se reporter au verso de l’album Globe Unity 67 & 70 du Alexander von Schlippenbach’s Globe Unity Orchestra et tant qu’à faire écouter ce disque fabuleux)- qui a popularisé si ce n’est inventé le genre à la fin des années 60 et pendant toutes les années 70 en Europe. Elles sont peut être loin ces années, l’esprit libertaire de tous ces musiciens s’est peut être évaporé dans l’éther ambiant nouvel gauche et la catéchèse écolo bon teint (les produits bio c’est bon pour la santé et ça fait faire des jolis cacas) mais il reste quelques piliers, inflexibles et immuables -Brötzmann pour le jazz, The Ex au rayon punk…






















The Fat Is Gone étale tout le savoir faire de trois musiciens inventifs et généreux sur près d’une heure de musique divisée en trois titres. Bullets Through Rain est une entrée en matière idéale, un point de départ comme Peter Brötzmann s’en est fait une spécialité depuis Machine Gun, attaque pied au plancher, hautes vibrations des anches des saxophones et batterie en pilonnage intensif. On reconnaît sans aucun mal le son abrasif et explosé de son baryton mais il faut bien admettre que question souffle c’est Mats Gustafsson qui mène la danse avec son ténor implacable, modulant, partant très loin, revenant en fanfare et explosant. Ce saxophoniste est vraiment le meilleur de sa génération -avec Assif Tsahar mais celui-ci semble avoir bel et bien disparu de la circulation depuis quelques années*…- et il ne faut pas rater The Thing, trio nommé d’après une composition de Don Cherry (sur l’album Where Is Brooklyn ? de 1966 du trompettiste), trio qu’il a justement monté avec le batteur Paal Nilssen-Love et le contrebassiste Ingebrigt Haker Flaten.
Mats Gustafsson a trente années de moins que Peter Brötzmann, donc on comprend donc aisément qu’il ait un peu plus de souffle que ce dernier. Sur la longueur (et Colors In Action et The Fat Is Gone, les deux derniers titres de ce disques sont très longs) nos deux joueurs de anches se répondent merveilleusement, ils ne jouent plus à se mesurer, leurs textures propres s’affirment et se complètent. Autant Brötzmann a toujours conservé le côté roots d’un Albert Ayler, autant Gustafsson est colemanien en diable, chacune de ses interventions en solo le prouve aisément bien que sa technique modale finisse toujours par se retrouver submergée par son sens naturel du barouf.
Dernière plage, The Fat Is Gone est le titre commençant le plus calmement, chacun se lance dans des petits soli pointillistes, se cherche (la prise de son défaille au moment où Gustaffson joue tout seul, comme s’il venait de quitter la scène pour aller retrouver ses deux potes partis en coulisses pour boire des coups) avant de repartir dans le frénétique -Paal Nilssen-Love nous gratifie de son jeu de toms puissant mais retenant parfaitement la pression- ou plus exactement allant dans le sens de l’épaississement : on ne peut pas dire que le ton (le son) monte mais plutôt qu’il va s’élargissement, se gonflant puis se dégonflant sans jamais déborder dans l’inutile, tout cela est magnifiquement orchestré par la batterie et lorsque les souffleurs montent réellement en intensité (vers la seizième minute) ce n’est pas pour nous infliger une énième attaque en règle menée de front mais une ascension parallèle vers le climax -qu’importe alors les questions de souffle et de capacité pulmonaire, chacun a sa place et son registre, tout ça est magnifiquement beau.
[* … mais son label Hopscotch records lui existe toujours]