Après la déconfiture de dimanche soir, quoi de mieux pour se remettre d’aplomb qu’un autre concert ? Le problème est qu’en ce lundi il n’y a qu’Aucan qui joue au Sonic et je ne suis vraiment pas très fan de ce trio italien qui allie math rock et synthétiseurs cheap (un premier album bien moyen paru l’année dernière sur le label African Tape). Il y a une blague récurrente qui demande comment dit-on Battles en italien ?-l’humour lyonnais est vraiment détestable… mais les comparaisons sont inévitables dès que l’on daigne jeter une oreille sur les enregistrements de ce trio, enregistrements un peu fades, un peu tristes et dont le manque d’originalité est flagrant et désolant.
Comme Keiko Tsuda -autre groupe (local cette fois) jouant dans un répertoire assez similaire- est également au programme, la décision d’aller jusqu’au Sonic l’emporte finalement assez aisément. Ces jeunes gens sont meilleurs à chaque nouveau concert et jusqu’ici les revoir a toujours été un réel plaisir. Donc pas la peine de se forcer plus que ça pour y aller.
Et question statistiques, l’indécision du public potentiel étant ce qui plombe le plus les organisateurs de concerts, on peut dire que la Noise Academy (l’asso du jour qui a investi le Sonic pour cette soirée) a plutôt eu la main heureuse pour un lundi avec une cinquantaine d’entrées payantes. Ce qui n’est pas toujours le cas.
Mais il y a un premier groupe avant Keiko Tsuda. Il ne faut pas se fier à ce nom bizarre et vraiment pas terrible rappelant la mauvaise odeur de ce qu’il y a eu de pire dans ce pays dans les années qui ont immédiatement suivi l’explosion alternative : Antiforfora est composé de trois garçons (formation : guitare/basse/batterie avec chant et occasionnellement du saxophone baryton) qui parait il écument depuis déjà quelques bons mois tous les rads de la Croix Rousse. Ce soir c’est leur premier concert au Sonic.
L’écoute des titres mis en ligne sur le monospace du groupe ne donne aucune piste à suivre (mis à part un chant qui attaque souvent dans un registre à la The Ex avant de virer à la braillardise) mais en concert, avec l’assise rythmique très carrée, la guitare en mode répétitif entêté et un son bien compact (grosse basse très efficace) on peut également penser à Helmet. Du punk massif et rythmique.
Les morceaux aux parties instrumentales diluées et ne laissant que peu de place aux voix sont toutefois trop longs, pas assez cohérents et l’incursion du saxophone baryton -celui utilisé par le bassiste m’a l’air d’être un très vieil instrument, presque une antiquité- est maladroite et change inutilement la couleur d’un set qui risquait déjà de manquer d’homogénéité. Toujours en réécoutant les titres en ligne on s’aperçoit que Antiforfora est encore un groupe qui se cherche -mais ils m’ont l’air sacrément jeunes- impression confirmée par le concert qui laissait trop de place à ce sentiment d’indécision et aux tâtonnements. Mort au hasard, place aux mathématiques.
Je crois que les Keiko Tsuda ont rarement joué en dehors de Lyon (peut être une fois à Chambéry ou à Clermont Ferrand) et ils ont désormais une masse de supporters dans cette ville, supporters dont je fais partie depuis deux ou trois concerts. Ce groupe est une très bonne surprise tant il rafraîchit considérablement un genre éculé et fatigant, le math rock de Don Caballero et consorts, agrémenté pour le coup d’un synthé tout sauf pénible. Le guitariste dispose de tout un attirail (dans ce genre là) lui permettant d’enregistrer, de superposer et de démultiplier des boucles de guitares et de synthé, ce qui ne l’empêche pas non plus de jouer pour de vrai avec ses dix petits doigts, bien au contraire. Il fait face avec tout son bazar à un batteur nerveux et puissant qui évite généralement les poses intempestives et va droit au but.
Ce soir Keiko joue dans la même veine franche et directe, massive et entraînante qu’on connaît au duo. Malgré un début de set calamiteux question son (c’était quoi ce réglage d’ampli guitare coincé en mode robot Moulinex ?) le duo trouve ses marques, les deux se scotchent l’un à l’autre, la connivence est de mise. Le reste -c'est-à-dire des compos bien fournies, mélangeant mélodies correctement troussées et explosions d’énergie- suit naturellement, même le passage en double tapping (plus fort que ce gros bâtard d’Eddie Van Halen) requière toute l’attention sans susciter les moqueries d’usage face à ce type de pratiques pourtant prohibées par l’éthique et le savoir-vivre le plus élémentaire.
Rappelons que Keiko Tsuda a enregistré huit titres disponibles en CDr ou bien téléchargeables gratuitement à cette adresse.
Dernier groupe de la soirée, Aucan a décidé de jouer par terre devant la scène afin de disposer de plus de place (sur la fiche technique du groupe il est spécifié que les italiens ont besoin d’une scène d’au minimum quatre mètres sur trois). C’est vrai qu’ils prennent de la place avec leurs deux synthétiseurs. On ne va pas tarder non plus à se rendre compte que ces deux instruments prennent encore plus de place que ce que l’on pouvait craindre.
Dans les grandes lignes la musique d’Aucan est similaire à celle de Keiko Tsuda sauf qu’il y a un musicien en plus. Dans la réalité le math rock bontempi d’Aucun ne décolle jamais, est d’une mollesse ennuyeuse, plein de trous et de vides que le groupe ne parvient jamais à combler. La musique d’Aucun se veut savante, pleine d’attente et de suspens avant l’explosion mais celle-ci ne vient jamais. Le pire c’est peut être le son des deux synthétiseurs et les mélodies seventies/érotiques qui en sortent -on croirait entendre de la bonne vieille musique tiré d’un boulard avec gorge profonde. Les deux guitaristes passent plus de temps à taquiner leurs claviers qu’à astiquer leurs manches de six cordes ce qui est bien dommage, cette mode du tout synthétique sauce prog dans les étoiles commence sérieusement à lasser.
Si on se demande pourquoi il n’y a pas qu’un seul groupe de math rock sur cette terre puisqu’ils semblent tous jouer la même musique, la réponse est toute simple et se trouve dans ce concert : d’un côté Keiko Tsuda, groupe inventif, dense et dynamique et de l’autre Aucan et ses synthés pornographiques et sa mollesse d’exécution. Au petit jeu de la comparaison, il n’y avait aucun doute (mais je veux bien admettre que les italiens étaient juste fatigués par leur tournée ou simplement de mauvaise humeur).