Pour une raison qui m’échappe encore un peu (la question des droits sur l’enregistrement n’étant peut être pas la bonne), ce neuvième volume de la nouvelle série de compositions de John Zorn relatives à son projet Masada a été publié avec tellement de retard que le volume dix (le bien nommé Lucifer par le Bar Kokhba sextet) s’est retrouvé dans les bacs avant. Est-ce que -contrairement à une grosse moitié de cette série de disques paresseux et routiniers- cela valait le coup d’attendre ?
Sans être un fervent admirateur de Mr Bungle et surtout de Secret Chiefs 3, on peut écouter ce disque les yeux fermés si tant est que l’on a pas peur de prendre une grande rasade de fun entre les oreilles et de ressortir de la découverte de Xaphan avec un sourire persistant aux lèvres -ouch, j’ai bien conscience que voilà un discours qui d’ordinaire ne me sied guère. Mais c’est l’exacte vérité: si ce disque débute un peu timidement, son plaisir d’écoute est grandissant voire exponentiel. Meilleur qu’un shoot de dextropropoxyphène et plus efficace que les éternels deux doigts dans la bouche. Un rendu inimitable.
Trey Spruance, éternel malade de la guitare (et de plein d’autres instruments à cordes), n’a pas hésité une seule seconde, face au matériel composé par Zorn, à pousser le bouchon juif/oriental/balkanique encore plus loin que ce que demandait le cahier des charges initial. Dans cette histoire, le compositeur saxophoniste est le gros perdant puisque Spruance démontre avec une facilité déconcertante que, pour pallier à la pauvreté relative des notes de musique écrites par Zorn (le livre deux de Masada est en effet bien en deçà du premier) et pour sauver ce disque, ce qu’il fallait c’est des arrangements hors normes et multicouches tout en paraissant naturels et lisibles. Enfin un musicien imaginatif qui traite d’une musique d’inspiration juive avec un salutaire second (troisième ?) degré, la parodie parfois indélicatement jusqu’au fou rire pour mieux lui rendre hommage.
On retrouvera au passage les habituelles inspirations de Trey Spruance, surf music sous amphétamines et bolognaises à la Ennio Morricone en tête (comme sur Barakiel), immédiatement suivis par un sens du groove bien funky, une couche occasionnelle de metal ou un peu de pigmentation de mariachi orientalisant. Dans ses oeuvres, le guitariste est solidement épaulé par une flopée de musiciens assez prodigieux dans les rangs desquels on compte le très ludique mais efficace batteur Ches Smith -oui celui là même qui accompagnait Jamie Stewart sur la dernière tournée de Xiu Xiu. Lorsque on compare ce Xaphan avec le huitième volume, Volac, interprété de façon tellement respectueuse et complètement froide par le violoncelliste Erik Friedlander, on saisit tout le gouffre qui sépare une vision éclairée et transcendante d’un projet d’une vision sclérosée et académique. Seul Koby Israelite avait fait aussi bien avec Orobas, quatrième volume de cette série en demi-teinte.