jeudi 25 septembre 2008

Souviens toi de tout oublier





















Fred Frith et John Zorn. The Art Of Memory II a été publié en 2006 par ReR Megacorp et fait suite à The Art Of Memory (la bonne blague) publié lui en 1995 par Incus records, le label du regretté Derek Bailey. Le premier volume comporte des enregistrements (studio ?) de 1993 alors que le second rassemble un live de 1983 et un autre de 1985. Autrement dit le contenu du volume II est antérieur au contenu du premier. Il ne faut pas chercher à comprendre, si ce n’est que ce deuxième opus a été publié conjointement par Fred records dont le but est de ressortir tous les vieux enregistrements de Fred Frith ou de documenter ce qui ne l’a pas encore été. The Art Of Memory II s’inscrit parfaitement dans cette démarche d’archiviste puisque il propose la genèse de l’association Frith/Zorn, leurs premières années de collaboration.
A la sortie du disque publié par Incus, j’avais été quelque peu déçu par le côté attendu et presque policé des improvisations enregistrées. Certes, c’était du haut vol, de l’équilibrisme savant, du pipo-bimbo ultra jouissif, de l’échange permanent entre deux musiciens confirmés et respectés (John Zorn commençait alors à bénéficier d’une renommée dépassant largement le cadre d’une hype branchée, arty et jalouse d’elle-même, Frith était déjà un vieux routard) mais, au delà de l’amusement intrigué puis respectueux suscité par ce disque, se dessinait la tendance à penser que Frith comme Zorn ne s’étaient pas foulés, enfermés dans un système à deux qu’ils avaient trop bien construit et trop bien verrouillé. De la routine. Je n’ai d’ailleurs jamais bien compris ce titre, The Art Of Memory, puisque improviser c’est (s’) oublier et rester à l’écoute de son (ses) partenaire(s) éventuel(s) dans l’instant présent.
Ce problème n’existe pas avec The Art Of Memory II, préhistoire du duo comme on l’a dit et surtout période florissante où les deux musiciens rivalisaient d’ingéniosité. De l’ingéniosité pas uniquement au niveau de leurs jeux respectifs (c’était même extrêmement secondaire) mais concentrée autour de la fabrication d’instruments faits maison et de l’utilisation détournée d’objets parfois incongrus. Pendant que Frith joue au luthier/savant fou, Zorn déballe sa collection d’appeaux à canards et autres embouts à anches coupés, rafistolés et customisés, tout un attirail qui a largement contribué à la légende du saxophoniste new-yorkais et dont l’apogée est représentée par des disques tels que The Classical Guide To Strategy et surtout In Memory Of Nikki Arane (en duo avec Eugène Chadbourne).
Alors que sur le volume 1 Fred Frith et John Zorn jouent en improvisant, blindés par des années de connivence et de réflexes acquis, aguerris techniquement, sur le volume 2 ils improvisent en jouant, souvent n’importe comment et la plupart du temps n’importe quoi. C’est autrement plus jouissif et ludique, pour un peu on arriverait même à se passer de l’image, alors que ce genre de pitreries, on le sait bien, c’est toujours bien mieux de visu et en temps réel. Ce disque n’est donc pas qu’un simple fond de tiroir agrémenté d’un mauvais titre et d’une pochette ignoble. A ranger aux côtés des deux enregistrements de Zorn mentionnés si dessus.