jeudi 28 avril 2011

Festival Africantape : interview de Julien Fernandez (2)


[ceci est la deuxième partie d’une interview de Julien Fernandez initialement parue dans le numéro 3 de (new) Noise mais publiée ici en version extra longue – la fin demain, pour lire le début, c’est ici]

Pendant très longtemps tu n’as été pour moi « que » le batteur de Chevreuil puis celui de Passe Montagne. D’où t’es venue l’idée de fonder le label Africantape ? Avais-tu eu d’autres expériences du même genre avant ? 
Je devais être bourré quand j'ai décidé de faire ça, honnêtement… Je savais très bien que c'était mission impossible que de monter un label en 2008. Mais rien à foutre comme dirait l'autre. Qui ne tente rien n'a rien. J'avais déjà rien, alors bon…
L'unique expérience que j'avais eu, c'était de travailler la promo et quelques trucs de graphisme pour Ruminance. Avec Chevreuil, j'ai ensuite rencontré beaucoup de monde, un peu partout. C'est ça qui m'a aidé.
Et finalement, mon expérience professionnelle, c'est de taper sur une batterie, de casser des baguettes et des cymbales, puis de boire des coups après les concerts. Je reçois depuis peu des demandes de stage, et certaines personnes me demandent quelles études il faut faire pour monter un label, et bien ma réponse est catégorique : il n'y en a pas. Ça serait bien trop facile sinon.

D’où viennent tes choix de groupes ? Manifestement, le catalogue Africantape, après trois années d’existence du label, est plutôt varié : il n’y a pas beaucoup de rapport par exemple entre des groupes comme Three Second Kiss, Hey! Tonal et Ventura. C’est ton instinct qui parle uniquement ? Ou alors tu développes une stratégie commerciale connue de toi seul pour dérouter et annihiler la concurrence ?
Je ne sais pas vraiment. Il y a un peu de hasard en fait. Je laisse faire les choses. Souvent, je me déplace pour voir et rencontrer les musiciens qui m'intéressent. Dès fois je vais très loin pour ça, je prends même l'avion pour aller en Amérique, c'est pour dire comme je suis motivé car je déteste l'avion.
Mais sinon, la règle est que j'aime être surpris, c'est ça qui compte le plus. Surpris par un son. Il y a une semaine [ndlr : nous sommes mi janvier] j'ai reçu un enregistrement. Je crois que c'est le meilleur enregistrement que j'ai jamais reçu depuis que je travaille dans la musique. Le procédé a été simple : à 9 heures du matin je commence l'écoute, à 9:07, j'arrête pour me dire que c'est impossible, ça ne peut pas exister un album comme celui ci... Après une clope et un café, à 9:16 donc, j'appelle le groupe… Et puis voilà, je vais les rencontrer en février pour discuter.
Et puis il y aussi le cas de ceux que je connais depuis longtemps, que j'apprécie comme amis, mais aussi comme musiciens (je ne sors pas les albums de tous mes amis, bien entendu!).
Je ne pense pas une seconde à une stratégie commerciale. Ça serait dégueulasse. Certains pensent qu'un disque ou un groupe est plus vendeur qu'un autre et prennent leurs décisions uniquement à partir de ce critère. Moi je m'arrète naivement à la sensation qui va me dire : j'aime ou je n'aime pas.























Tu me sembles avoir un mode de fonctionnement très libre (par exemple tu ne fais pas signer de contrat). La confiance que tu places entre toi et les groupes avec lesquels tu travailles est elle un choix délibéré ou est ce que tu ne pourrais tout simplement pas travailler autrement ? Est-ce parce qu’en tant que musicien/groupe tu as eu toi-même des expériences moyennement concluantes ?
Pour moi les contrats, c'est comme des factures. Si on peut les éviter, c'est mieux, non ? Les contrats ça lie les groupes aux labels d'une manière administrative et froide. C’est donc contraire au concept libre de la pratique de la musique. Je crois que les choses doivent fonctionner de manière simple : un disque a un coût. L’idée est de le rembourser, puis ensuite de partager les bénéfices, s’il y en a. Ça s'arrête là.
Et en tant que musicien, j'ai toujours eu du bol. J’ai travaillé uniquement avec des gens honnêtes. Mais je sais qu'il y a des fumiers, pour ne pas dire des enculés, qui fonctionnent de manière beaucoup moins sympathique.

Un label comme Africantape est il économiquement viable aujourd’hui ? Comment fais-tu pour t’en sortir ? Tu as publié énormément de références ces deux dernières années, vas-tu continuer sur un tel rythme ? 
Ce n'est pas viable. Mais ça tient la route. Je n'ai AUCUNE aide. Et c'est un choix. Selon moi, la seule chose qui peut faire qu'un label fonctionne, c'est d'être seul contre tous ! Évidemment je ne parle pas de compétition entre labels, mais de l'idée que la hargne, la patience et la volonté d'une seule petite personne ou entreprise puisse par ses choix et positionnements générer suffisamment d'attention pour exister. Je me sens très isolé ceci dit avec le label. Je vis dans une petite ville italienne où il n'y a même pas un seul magasin de disques et où les concerts sont rares. J'ai aussi goûté au snobisme du music business : certaines distributions en France ou ailleurs m'ont envoyé ballader plus d'une fois au début en me disant que mon label et mes groupes c'était de la merde. Aujourd'hui je remercie ces personnes qui m'ont donné envie de continuer, avec encore plus d'envie. Je trouve ça marrant, ça fait un peu comme Chevreuil finalement.
Le grand hic, c'est que je n'ai pas d'économies, enfin je n'en ai plus du tout, mes économies sont devenues des rangées de disques sur mes étagères. Je ne sais donc pas si je continuerai à ce rythme. Mais sincèrement, je l'espère. La seule chose qui m'aide, c'est mon travail avec mon agence de promotion 5ive Roses Press. C'est mon travail alimentaire (que j’aime, par chance !).