dimanche 18 avril 2010

Talk Normal / Sugarland


Il y va du revival no wave comme de tous les revivals : le taux de pénibilité des copieurs frise la barre des 95 %. Mais à la différence des résurgences post punk dont nous avons trop eu à souffrir ces dernières années, les groupes s’inspirant de la no wave new-yorkaise se cassent en plus les dents sur un magnifique paradoxe et pas des moindres : comment faire perdurer un (pseudo) mouvement musical dont le but était l’autodestruction, l’annihilation, l’accélération droit dans le mur ? Lydia Lunch, James Chance, Mark Cunningham ou Arto Lindsay ne jouent plus de cette musique depuis fort longtemps et c’est tant mieux. Ils l’ont fait, ils ont compris puis ils ont voulu vivre. Les premiers groupes post no wave – Sonic Youth et Swans en tête – l’avaient bien compris également, se servant de la no wave comme d’un point de départ pour atterrir ailleurs. On peut détester ce qu’est devenu Sonic Youth dans les années 2000 mais on ne peut pas enlever au groupe le fait que jusqu’à Washing Machine (inclus) son évolution était pertinente.
On ne va pas refaire non plus le débat sur ce qui est bien et ce qui ne l’est pas, sur les vilains copieurs et les imitateurs peu inspirés mais constatons simplement qu’il y a des groupes qui se plantent complètement (Gay Beast par exemple) et d’autre qui ne sont que des caricatures réussies (Sister Iodine). Au milieu surnagent quelques exceptions qui ne font appel pour nous séduire ni à la nostalgie, ni l’imitation. Magik Markers est (était ?) de cette catégorie là, tout comme Talk Normal, magnifique groupe donnant de nouvelles résonances à une musique issue d’un passé éphémère et lui offrant une nouvelle possibilité d’éternité, rien de moins.























Talk Normal est un duo de filles : une chanteuse/guitariste (Sarah Register) et une batteuse/chanteuse (Andrya Ambro). Sugarland est leur premier véritable album paru sur The Rare Book Room après un mini album autoproduit en 2008 (Secret Cog). Un album violent, brut et profondément beau. Ce n’est peut être pas peu dire mais avec Sugarland on se rapproche dangereusement des albums Confusion Is Sex, Bad Moon Rising et Evol de Sonic Youth. Des références incontournables qui viennent tout de suite à l’esprit à l’écoute de certains extraits de cet album, aux premiers rangs desquels le monstrueux River’s Edge sur lequel la voix ne peut faire penser qu’à Kim Gordon – la vraie, celle des albums de Sonic Youth précités, pas celle neurasthénique qui nous assomme maintenant. Mais si ce n’était qu’une question de voix… les guitares font elles aussi référence à cette grande époque tout comme le jeu très dynamique d’Andrya Ambro à la batterie tend vers le tribalisme industriel de Bad Moon Rising – un jeu touffu et plein de détails, contrebalançant l’absence de basse dans Talk Normal.
Le piège pour Talk Normal est donc là, dans ce référencement trop facilement identifiable : avec un titre comme River’s Edge la musique du groupe prend le risque de ne plaire qu’à une poignée de vieux nostalgiques. Or, dès le titre d’après, le duo prend l’exact contrepied en s'attaquant à In Every Dream Home A Heartache, une émouvante reprise de Roxy Music (sur leur deuxième album, For Your Pleasure, en 1973) dans une version inquiétante avant de devenir tout simplement explosive. Plus précisément, Talk Normal n’est pas un simple groupe qui cite d’illustres prédécesseurs, Talk Normal est l’incarnation d’une no wave dépoussiérée (Bold Face, Hot Song) qui joue plus sur le terrain de la noirceur que de l’hypersonique. On peut même trouver quelques réminiscences dark/goth là dedans (Mosquito, Uniforms, Outside) ainsi qu’un lyrisme certain (Transmission Lost). On ajoute au tableau quelques arrangements très indus (Warriors) et l’adjonction occasionnelle d’un saxophone pour avoir une vue d’ensemble. Enfin, Sarah Register a vraiment une voix superbe, pas d’un registre ultra étendu – ce n’est pas ce qu’on lui demande non plus – mais d’une sensibilité à fleur de peau évidente. La voix d’Andrya Ambro lui offre un parfait écho et rarement un duo n’aura paru aussi complémentaire pour ne pas dire jumellaire – écoutez un peu ce In A Strangeland.
Pour l’instant je ne vois aucun défaut dans ce disque aussi addictif qu’enthousiasmant. On en reparlera (ou pas) dans quelques mois mais aujourd’hui Sugarland tient allègrement le haut du pavé.

[Talk Normal est aussi en pleine tournée européenne avec quelques dates françaises : le 20 avril au Sonic de Lyon, le 21 à St Etienne, le 22 à Grenoble, le 23 à Bordeaux et le 24 à Paris]