lundi 31 mars 2008

Ahleuchatistas / The Same And The Other


Je ne sais plus dans la bouche de qui (ou bien peut être que je l’ai lu dans une interview) j’ai entendu cette phrase magnifique : le math rock c’est un peu le prog du pauvre. Bravo. C’est exactement ça, l’impression d’avoir à la maison une collection de boules de neige offertes par des amis voyageurs - et de bon goût - en souvenir de toutes les destinations touristiques que l’on a pas pu se payer, l’ennui de regarder Derrick à la télé parce qu’une place de cinéma pour aller voir Memories Of Murders c’était définitivement trop cher. Entendons nous bien : le rock progressif, surtout lorsqu’on a grandi pendant les années 70/80 et que l’on est le dernier d’une portée de baba cools en pleine rantanplanitude affectée, c’est l’horreur absolue, la nausée immédiate, le renvoi obligatoire au fond de la cuvette des chiottes. Autant écouter du jazz, du vrai. Pas de cette musique de rockers (?) mégalomanes en mal de reconnaissance de ce qu’ils ne pourront jamais être, et n’ont de toutes façons jamais été.
Le math rock est un sujet intéressant parce que derrière cette terminologie agaçante (et une terminologie qui est tout sauf spectaculaire, bien que contenant le mot rock, ça c’est déjà très inquiétant) il n’y a rien, ou pas grand-chose. Quelques groupes et tellement de suiveurs. Don Caballero bien sûr - le vrai, celui avec Mike Banfield et Ian Williams - mais cependant pas tout de ce groupe de Pittsburg, ça dépend des disques, voire même des titres. Qui sont les suiveurs ? Actuellement, plus j’écoute Sleeping People, qui est censé être le dessus du panier, et plus je m’emmerde, d’ailleurs je n’écoute plus : trop de joliesse. Pas assez d’éjaculations.






















Il y a aussi le cas assez inconfortable d’Ahleuchatistas, un trio qui sort beaucoup trop de disques à la suite pour des gens qui ne connaissent pas le peer to peer. Tzadik vient de rééditer en grandes pompes le deuxième album du groupe, The Same And The Other, un disque réputé épuisé depuis longtemps, sauf si vous préférez les vinyles. Une remasterisation signée Scott Hull (pas mon ami de Pig Destroyer, un autre) et, il est vrai, cinq titres bonus qui valent le détour. Un vrai festin qui ne dure que quarante six minutes mais un festin quand même et il y a intérêt, à ce prix là - le prix des disques de chez Tzadik, distribués en France par des voleurs, sauf lorsqu’on sait passer par les voies secondaires de l’importation.
The Same And The Other
est (donc) le deuxième album d’Ahleuchatistas et possède un son légèrement brut pour un groupe de cette catégorie, les sessions ont été enregistrées dans une cave nous dit on dans les notes du livret, c’est donc pour ça. Mais il ne faut pas s’attendre à du rock : ici, c’est le bordel, ça improvise beaucoup, ça joue souvent très bien et c’est d’une tenue irréprochable. La basse est parfois un peu pénible lorsque elle lance des grosses flamenconneries mais ces tentatives de postures démonstratives ne durent jamais suffisamment longtemps, tant mieux parce que la guitare peut aussi s’y mettre et soudain le désir fulgurant d’arrêter la musique en deviendrait presque irrépressible, trop de notes. Ce qui sauve Ahleuchatistas - et enterre 99 % des groupes de math rock - c’est cet esprit punk et urgent, un plaisir évident de jouer ensemble qui transparaît même à travers le plastique sans âme d’un disque digital, des titres courts qui ont le bon goût de s’arrêter avant que l’ennui ne gagne plus de terrain. Ajoutons une guitare qui sonne très bien et une basse qui claque elle aussi - pas de gras qui enrobe les notes (même lorsqu’il y a trop de notes...), aridité et tension permanente. Inutile de préciser aussi que le batteur n’est bien sûr jamais en reste.
Cet album ne date que de 2004. Depuis, Ahleuchatistas en a déjà publié deux autres, What You Will (2006) et le très bon Even In The Midst (2007), ce dernier arrivant parfaitement à réunir l’urgence explosive de The Same And The Other avec une production limpide et franche. Un must disponible chez Cuneiform records, un label dont le catalogue très disparate est toutefois à prendre avec des pincettes (ou des moufles).