mardi 9 février 2010

Shane Perlowin / The Vacancy Of Every Verse

















Ah ! Un disque en solo de Shane Perlowin ! Qui ça ? Shane Perlowin, le guitariste d’Ahleuchatistas. Ce n’est pas parce que Of The Body Prone, le dernier album en date du trio est un (gros) poil décevant qu’il faudrait bouder ce The Vacancy Of Every Verse. Un disque radicalement différent des expérimentations math-prog-noise-punk-jazz auxquelles nous a habitués un guitariste sinon atypique du moins saisissant et tout bonnement incroyable lorsqu’il évolue avec son groupe habituel dans des stratosphères improbables et infinies à rendre jaloux n’importe quel groupe de mathématiciens émérites, y compris le Don Caballero de la grande époque, tout comme les néo-progueux bruitistes, au hasard les japonnais de Ruins (un groupe de néo-progueux de plus de vinq cinq ans d’âge quand même…).
Sur The Vacancy Of Every Verse c’est bien un autre Shane Perlowin que nous pouvons écouter et apprécier, un Shane Perlowin encore plus fin guitariste que nous ne le pensions déjà, un Shane Perlowin expert dès qu’il s’agit de sortir des petites mélodies de son instrument, un Shane Perlowin amoureux de son art mais jamais complaisant.
Il y a trois grand types de morceaux, tous instrumentaux, sur The Vacancy Of Every Verse. Ceux sur lesquels le guitariste joue tout seul sur sa guitare électrique et s’amuse avec sa loop station ou autres effets (Touching Bent Antennae, Long Shadows, The Vacancy Of Every Verse), ceux où il ne joue que de la guitare acoustique (Owls, Gummed Works, We Meet In Sleep) et ceux sur lesquels il joue en trio, accompagné de Joseph Burkett à la contrebasse et de Ryan Oslance, le nouveau batteur d’Ahleuchatistas, à la batterie (Toppling Obelisks, Expo No, Apostasy et Seduction). Tout ça est judicieusement mélangé, on passe d’un style à l’autre sans transition, l’effet n’est pas désagréable ou déstabilisant pour autant, au contraire on ne risque pas de s’ennuyer avec un disque aussi varié dans les genres abordés mais restant d’une grande unité de ton. Cette unité est à chercher du côté du jeu tout en finesse d’un instrumentiste dont le moindre des talents n’est pas de s’effacer devant l’excellence de son niveau ni de laisser parler une sensibilité indéniable. Même sur les parties les plus expérimentales – celles sur lesquelles Shane Perlowin joue seul à la guitare électrique – on trouve cette approche toute en délicatesse d’une musique de laborantin.
Les titres en trio ravivent et démontrent un goût certain de Perlowin pour le jazz, un jazz funambule et plein de légèreté pouvant éventuellement déboucher vers quelque chose de plus dissonant et bruyant (le final de Toppling Obelisks et Seduction, presque noise). Les titres à la guitare acoustique sont d’une limpidité et d’une délicatesse de toucher à tomber, une musique aussi cristalline que les égrenages d’un Tim Sparks ou même d’un Bill Frisell. Plus globalement, The Vacancy Of Every Verse est un disque qui allie hardiesse du propos et repos de l’écoute, tour de passe-passe que l’on aurait jugé improbable, trop habitués que nous sommes à devoir choisir entre guitaristes lénifiants et mous et guitaristes terroristes et vides. Shane Perlowin ne nous force pas à choisir, il possède ce jeu plein de relief et cette imagination de poète qui le rendent unique. Une belle confirmation.