lundi 13 avril 2009

Gutbucket / A Modest Proposal


Si je ne m’abuse, A Modest Proposal n’est que le quatrième album de Gutbucket, quartet typiquement new-yorkais (ils viennent de Brooklyn, c’est tout dire…) composé d’un saxophoniste, d’un guitariste, d’un bassiste -parfois électrique, parfois à la contrebasse- et d’un batteur. Gutbucket a ceci d’intéressant qu’il s’agit d’un groupe de jazz lorgnant vers le rock, mais pas le rock de papa et grand papa, plutôt un rock vindicatif et légèrement bruyant -encore une fois on est à Brooklyn. On trouve également dans le jazz de Gutbucket quelques touches klezmer, parfois des intonations spaghetti et un certain mordant qui toutefois ne dépasse que trop rarement les limites fixées par la politesse et les bonnes manières -un peu comme écouter un disque de Naked City (exception faite de Torture Garden, premier maxi 42 titres du gang de John Zorn publié en 1990 par Earache records et quasiment intégralement repris sur Grand Guignol deux ans plus tard) : la colère métallique est d’une propreté impeccable et n’échappe que d’un cheveux à l’étalage et à la dextérité.
Gutbucket est (était ?) essentiellement un excellent groupe de scène, voir ces quatre gugusses dévaler les pentes de leur musique, transpirer sans se chier dessus a un énorme côté jubilatoire. Affirmation valable si on aime le jazz. Bien sûr. Gutbucket est un groupe comme il en pullulait du côté de la Knitting Factory dans les années 90. Au passage, Insomniacs Dream, le premier album du quartet a été publié tardivement (en 2001) par Knitting Factory Works alors que les deux suivants -Dry Huming The American Dream (2003) et surtout Sludge Test (2006) sont toujours disponibles chez Cantaloupe Music.























Ça c’était bon pour les trois premiers disques du groupe. Avec A Modest Proposal Gutbucket change la donne. Ce nouvel enregistrement est nettement moins emporté et foutraque que ses prédécesseurs mais par un miraculeux effet de levier à rebrousse-poil, le groupe y gagne énormément en crédibilité. Le rythme est devenu plus lent, presque plus paresseux (les premiers titres Head Goes Head et A Little Anarchy Never Hurt Anyone ne sont pas une tromperie sur la marchandise) et si on reconnaît la patte Gutbucket on reste interloqué par le côté nouvellement serein et apaisé. Mais on s’accroche. D’abord parce que notre quatre new-yorkais ont gardé ce sens imparable de la mélodie et du break qui tombe à pic (on trouve sur les deux titres déjà mentionnés un final qui prend par surprise). Ensuite Ty Citerman a conservé ce son de guitare qui dans ses meilleurs moments renvoie directement à Sonny Sharrock. Quant au saxophoniste -principalement altiste, quelques fois et logiquement au Baryton mais également clarinettiste- il s’est définitivement débarrassé de ses tics trop colemaniens.
Ce qui ne va pas sur A Modest Proposal c’est la construction quasiment systématique des trois quarts des titres : dans un premier temps Gutbucket étale son pouvoir mélodique, son sens du grove moderne puis s’excite sur la fin, lâchant les fauves. Exceptions : More More Bigger Better Easter With Cheese dont la construction et le thème rappellent le meilleur des deux premiers albums du Jim Black’s Alas No Axis ou Lucy Ferment ?, sorte de polka klezmer traversée de stridulations punks. La fin du disque -en particulier Side Effects May Include- se laisse apprivoiser sans problème, A Modest Proposal apparaît alors comme un bon disque de jazz énergique, un peu barré par endroit mais laissant dorénavant son côté outrancier aux vestiaires.
Si les allers-retours entre fantaisies mélodiques et déchirements rock des premiers albums peuvent manquer, Gutbucket a gagné (au moins sur disque) davantage de souplesse, de cohérence et de brio. Le groupe nous a-t-il fait pour autant le fameux coup de l’album de la maturité (concept rock par et pour rock critics s’il en est) ? Et bien non. L’explication vient essentiellement du fait que Paul Chuffo, le batteur originel, a été remplacé par un certain Adam D. Gold au jeu radicalement différent, moins explosif et plus axé sur le groove. Paul Chuffo confessait pour sa part avoir commencé la batterie en autodidacte en s’émerveillant sur les roulements titanesques de Keith Moon. Comme le dit un vieux proverbe : changez le batteur et…