dimanche 17 février 2008

J'entends toujours les guitares

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Je me suis bien remis de la déception du concert de Lydia Lunch, merci. Par contre, je regrette encore d’avoir fait le mauvais choix : je ne suis pas allé au concert de Don Vito qui avait lieu le lendemain même (le mercredi 13) avec, qui plus est, deux premières parties locales de qualité -SoCRaTeS et The Rubiks- et d’après tout le bien que l’on m’en a raconté, je n’ai plus qu’à m’en mordre les doigts ou me faire fouetter en place publique. C’est qu’en plus, un bon concert de groupes à guitares, c’est exactement ce dont j’avais alors besoin -pas de guitares metal, post rock, post hard core, prépubère ou autres, non, de la guitare typée noise et sans graillon. Des piqûres d’aiguilles.
C’était bien sûr sans compter sur la venue, le vendredi 15, de Trumans Water : je sentais bien que j’allais enfin pouvoir obtenir ce que j’espérais, c'est-à-dire me faire laver l’intérieur des oreilles et le dessous du crâne par de la bonne six cordes plus équilibriste qu’haltérophile, dentellière et non pas bétonnière. Trumans Water fait parti de ces groupes américains du début des années 90, une époque où le génie et le talent étaient à chercher du côté de l’indie rock US à fortes consonances noisy et surtout pas dans la mélasse britpop alors fort en vogue. Trumans Water c’est encore un de ces groupes d’illustres inconnus, un groupe rare dans tous les sens du terme -d’une qualité jamais démentie et suffisamment dilettante pour que je ne réussisse à les voir en concert que toutes les deux (trois ?) années bissextiles.

















Pour cette tournée européenne, les gars de Portland ont emmené The Bugs dans leurs valises. Il s’agit d’un duo guitare/batterie qui, après un premier titre country très inquiétant pour la suite des évènements, se révèle pratiquer une musique garage pop avec une constance et un respect des canons à faire pâlir d’envie un académicien français bloqué sur la lettre Q. Détail amusant, les deux blondinets du groupe sont interchangeables, le binoclard abandonne sa guitare et le micro au bout de quelques titres pour s’installer derrière la batterie et inversement. Le changement sera effectué plusieurs fois pendant le set sans que cela n’empêche la bonne marche des évènements, The Bugs emballe son affaire sans prétention et avec efficacité, ça bouge et ça sourit dans le public clairsemé. Toutefois, c’est la premier formule qui fonctionne le mieux : le guitariste myope joue mieux que son petit camarade, surtout il se révèle un bien moins bon batteur donc lorsque les deux échangent leurs rôles, ce n’est pas toujours pour le meilleur. C’est amusant aussi de constater qu’ils ont un timbre de voix assez similaire, très aigu et nasillard.
Avant le début du concert, j’avais entendu dire que l’un de ces deux nerds jouait également dans Trumans Water mais comme je ne reconnais ni l’un ni l’autre j’opte un peu au hasard pour le porteur de lunettes mais sans trop savoir pourquoi, sûrement à cause de son air niais.


















Et bien je me suis trompé, c’est l’autre qui joue également dans Trumans Water, il y tient même la basse d’une façon discrète mais efficace, et oui il y a à nouveau un bassiste dans le groupe. Il y a aussi un énième nouveau batteur, qui se révèlera tout simplement fantastique. Les deux frères Branstetter -Kevin et Kirk- sont toujours aux commandes, après toutes ces années. Kevin parle très bien le français, puisqu’il habite ici depuis 1995 et il ne manquera pas d’en faire usage entre les titres -ça commence à sentir la transpiration ici, merci Kevin- pendant que les autres se lanceront dans des blagues à n’en plus finir, Trumans Water c’est le sens total de la décontraction.
De la décontraction mais pas du relâchement. Il y a deux types de morceaux de Trumans Water : ceux qui commencent directement avec leur sujet -rythmique punkoïde au taquet, guitares dissonantes et voix à côté de la plaque- avant de dévier dans un n’importe quoi apparent, de l’impro dont on ne sait pas où elle va mais que l’on suit avec bon cœur tellement c’est bon et toujours naturellement surprenant , et -type numéro deux- les titres qui naissent dans le bordel le plus total, on se demande alors si le groupe a encore réellement l’intention de jouer quelque chose, avant de prendre forme de façon plus ramassée et identifiable. Trumans Water est toujours à la hauteur de sa réputation, celle d’un groupe s’amusant constamment à niquer ses bases arrières, à saper ses fondements, à détruire l’équilibre de ses chansons, à partir en courant et à reculons dans la direction opposée juste pour que nous, public en transe, ne nous rendions pas compte qu’ils sont dans le bon sens. La fête.