Enfin un livre digne de ce nom sur l’un des groupes de musique expérimentale les plus importants de ces trente dernières années. Il était temps. Max Dax et Robert Defcon ont appliqué à Pas De Beauté Sans Danger (Keine Schönheit Ohne Gefahr est aussi l’un des titres de l’album Fuenf Auf Der Nach Oben Offenen Richterskala de Neubauten) la même méthode que l’on retrouve sur le Please Kill Me de Legs McNell et de Gillian McCain ou sur le plus récent Manchester Music City de John Robb : procéder par interviews des principaux acteurs de l’histoire que l’on souhaite raconter, enlever les questions, ne garder que les réponses et laisser ainsi apparaitre un récit croisé et parfois contradictoire qui va au fond des choses sans tomber dans le didactisme soporifique ou le fanatisme révérencieux. Il y a en effet trop de livres trop complètement acquis à la cause de leur sujet et pontifiant jusqu’à l’absurde – bien que comme nous allons le voir le propos de Pas De Beauté Sans Danger est finalement clairement orienté mais ça c’est aussi le droit le plus strict de ses auteurs.
Il y a deux façons de voir et apprécier Einstürzende Neubauten. La première est de considérer que le groupe a eu deux vies distinctes : la première de 1980 jusqu’en 1993, année de sortie de l’album Tabula Rasa, le dernier avec le line-up constitué de Blixa Bargeld, FM Einheit, NU Unruh, Alexander Hacke et Mark Chung, et la seconde de 1994 à nos jours. L’autre façon de considérer Einstürzende Neubauten est de dire que toute l’histoire du groupe est pertinente, suit un cheminement logique qui a amené Neubauten d’une ère d’autodestruction et de bruits à celle d’une maîtrise toujours plus grande du chaos sonore mais aussi du silence tout en formalisant et structurant des compositions toujours plus abouties. Mise à part l’intervention un peu dépitée d’un FM Einheit qui prétend qu’après son départ et celui de Mark Chung Einstürzende Neubauten aurait mieux fait de changer de nom, Pas De Beauté Sans Danger privilégie la vision au long cours de l’esprit créatif et bouillonnant du groupe. On a le droit de ne pas être tout à fait d’accord mais on doit également reconnaitre que toute l’évocation de la « deuxième vie » d’Einstürzende Neubauten est pour les auteurs du livre l’occasion d’une réelle analyse musicale des plus passionnantes. Ainsi, alors que le groupe de Blixa Bargeld lâchait peu à peu les amphétamines et le marteau-piqueur pour les résidences d’artistes et la composition sérieuse, le livre passe du registre historique et sociologique – les années 80, les excès, Berlin ville prison, etc – à celui presque scientifique d’une histoire de l’art et de l’apparition des nouvelles technologies.
C’est que non content d’avoir su massacrer le béton des murs et bruler les scènes des salles de concert qui les accueillaient, les Einstürzende Neubauten ont également été parmi les tous premiers à comprendre le rôle d’internet et du multimédia en musique grâce à des programmes exclusifs de souscription sur le net, la retransmission en direct de séances d’enregistrement, l’interactivité entre fans et groupe, les premiers étant invités à donner leur avis sur le travail en cours des seconds, la gravure quasi instantanée puis la vente de CD des concerts auxquels les fans venaient tout juste d’assister, bref toutes ces choses qui désormais pourraient presque nous sembler banales ou récupérées. Blixa Bargeld avait également mis au point un jeu de cartes qui, tirées au hasard, servaient de base à l’écriture de nouveaux titres (et qui a abouti à l’album The Jewels). Toutes ces innovations ainsi que la remontée qualitative des disques d’Einstürzende Neubauten – le petit dernier, Alles Wieder Offen, étant une pure merveille – sauvent donc le point de vue des auteurs du livre. Lire Pas De Beauté Sans Danger tout en écoutant les différents volumes des compilations Strategies Against Architecture se révèle d’ailleurs des plus pertinents car cette écoute illustre parfaitement les interventions parfois très descriptives et techniques des musiciens et permet aussi de se rendre compte que le volume III de la série marque un sacré creux créatif (sur son deuxième CD) alors que le volume IV qui vient tout juste de paraître chez Mute records est celui du renouveau.
Quel que soit le point de vue où l’on se place, on ne peut donc que reconnaitre que si le Einstürzende Neubauten de Let’s Do It A Dada n’est pas le même que celui de Abfackeln! ou de Seele Brent, on finira par s’accorder sur le fait que les deux sont finalement tout aussi passionnants. Les Neubauten ont su transmuter, se métamorphoser et il est vrai que l’expérimentation et la recherche d’un ailleurs ont toujours été la raison d’être d’un groupe aussi inclassable qu’essentiel. Pas De Beauté Sans Danger a été publié par les éditions du Camion Blanc.
[cette chronique peut également être lue dans le n°2 de (new) Noise qui vient tout juste de paraître]
Il y a deux façons de voir et apprécier Einstürzende Neubauten. La première est de considérer que le groupe a eu deux vies distinctes : la première de 1980 jusqu’en 1993, année de sortie de l’album Tabula Rasa, le dernier avec le line-up constitué de Blixa Bargeld, FM Einheit, NU Unruh, Alexander Hacke et Mark Chung, et la seconde de 1994 à nos jours. L’autre façon de considérer Einstürzende Neubauten est de dire que toute l’histoire du groupe est pertinente, suit un cheminement logique qui a amené Neubauten d’une ère d’autodestruction et de bruits à celle d’une maîtrise toujours plus grande du chaos sonore mais aussi du silence tout en formalisant et structurant des compositions toujours plus abouties. Mise à part l’intervention un peu dépitée d’un FM Einheit qui prétend qu’après son départ et celui de Mark Chung Einstürzende Neubauten aurait mieux fait de changer de nom, Pas De Beauté Sans Danger privilégie la vision au long cours de l’esprit créatif et bouillonnant du groupe. On a le droit de ne pas être tout à fait d’accord mais on doit également reconnaitre que toute l’évocation de la « deuxième vie » d’Einstürzende Neubauten est pour les auteurs du livre l’occasion d’une réelle analyse musicale des plus passionnantes. Ainsi, alors que le groupe de Blixa Bargeld lâchait peu à peu les amphétamines et le marteau-piqueur pour les résidences d’artistes et la composition sérieuse, le livre passe du registre historique et sociologique – les années 80, les excès, Berlin ville prison, etc – à celui presque scientifique d’une histoire de l’art et de l’apparition des nouvelles technologies.
C’est que non content d’avoir su massacrer le béton des murs et bruler les scènes des salles de concert qui les accueillaient, les Einstürzende Neubauten ont également été parmi les tous premiers à comprendre le rôle d’internet et du multimédia en musique grâce à des programmes exclusifs de souscription sur le net, la retransmission en direct de séances d’enregistrement, l’interactivité entre fans et groupe, les premiers étant invités à donner leur avis sur le travail en cours des seconds, la gravure quasi instantanée puis la vente de CD des concerts auxquels les fans venaient tout juste d’assister, bref toutes ces choses qui désormais pourraient presque nous sembler banales ou récupérées. Blixa Bargeld avait également mis au point un jeu de cartes qui, tirées au hasard, servaient de base à l’écriture de nouveaux titres (et qui a abouti à l’album The Jewels). Toutes ces innovations ainsi que la remontée qualitative des disques d’Einstürzende Neubauten – le petit dernier, Alles Wieder Offen, étant une pure merveille – sauvent donc le point de vue des auteurs du livre. Lire Pas De Beauté Sans Danger tout en écoutant les différents volumes des compilations Strategies Against Architecture se révèle d’ailleurs des plus pertinents car cette écoute illustre parfaitement les interventions parfois très descriptives et techniques des musiciens et permet aussi de se rendre compte que le volume III de la série marque un sacré creux créatif (sur son deuxième CD) alors que le volume IV qui vient tout juste de paraître chez Mute records est celui du renouveau.
Quel que soit le point de vue où l’on se place, on ne peut donc que reconnaitre que si le Einstürzende Neubauten de Let’s Do It A Dada n’est pas le même que celui de Abfackeln! ou de Seele Brent, on finira par s’accorder sur le fait que les deux sont finalement tout aussi passionnants. Les Neubauten ont su transmuter, se métamorphoser et il est vrai que l’expérimentation et la recherche d’un ailleurs ont toujours été la raison d’être d’un groupe aussi inclassable qu’essentiel. Pas De Beauté Sans Danger a été publié par les éditions du Camion Blanc.
[cette chronique peut également être lue dans le n°2 de (new) Noise qui vient tout juste de paraître]