samedi 28 novembre 2009

Mathématiques Modernes























Semaine de merde. C’est à peu près ce que je me suis répété tous les jours, sans interruption, jusqu’à la nausée, tout en me disant que la prochaine de semaine sera pire encore, etc. Les fins d’année ont toujours cette tendance à me rendre encore plus hargneux et réfractaire (plaisir d’offrir, joie de recevoir – mon cul, oui) et ça ne va pas s’arranger. Passons. Seule accalmie dans un océan de violence moderne, d’obligations coercitives et d’activité forcenée : le concert de Keelhaul – enfin ! je ne les ai encore jamais vus sur une scène alors qu’ils ont déjà tourné en Europe il y a à peu près cinq ans – avec en hors-d’œuvre de lux(ur)e Neige Morte, nouveau groupe/projet monté par quelques musiciens lyonnais resplendissants et sans complexes.
Oui, j’ai bien vu que le flyer mentionne également un troisième groupe mais à ce sujet je ne dirai absolument rien : Deadwood représente exactement tout ce que j’ai détesté et fui à grande vitesse pendant toutes les années 90, quelque chose que l’on a appelé de la fusion ou je ne sais trop quoi, quelque part entre Urban Dance Squad, Senser, FaceDeTaMort ou RageMachinTruc, jamais je n’aurais pensé pouvoir un jour mentionner ces noms là. J’ai donc passé presque toute cette première partie du concert dehors, non sans avoir insisté pendant les trois premiers titres, attendant que les mots noise ou industriel pourtant évoqués prennent enfin un sens, à fumer cigarettes sur cigarettes d’un air narquois et ne me sentant nullement concerné par une musique que je ne supporte pas. Au revoir et à jamais, c’est la formule consacrée que je ressors à chaque fois dans ces cas là.


















Neige Morte. Ne cherchez pas, ces garçons n’ont pas de site internet, pas de monospace, pas de fesse bouc, pas de démo enregistrée dans la cave à vous refiler et ce soir c’était même leur premier concert. A la guitare : Franck Gaffer (Sheik Anorak, SoCRaTeS, Hallux Valgus, Lewis Karloff, Kandinsky…). A la batterie : Hugues Pzzl (12XU). Ces deux là ce sont découverts pendant la pause syndicale au boulot une passion commune pour le black metal et le mal absolu. Le nom de leur groupe est un hommage à peine déguisé à Dead Snow, petite gâterie norvégienne de 2008 qui – hasard de l’actualité – vient tout juste de bénéficier d’une édition DVD grâce aux bons sons de Wild Side.
Au duo de base s’est ajouté un chanteur/grogneur invétéré récemment victime d’un plan social drastique au sein d’Overmars mais toujours désireux de faire de la musique et c’est tant mieux pour nous. Ce line-up réuni au grand complet n’a répété ensemble que trois fois mais le résultat est déjà bien satisfaisant voire impressionnant. Sauvage, cru, entrelardé de passages lents/atmosphériques, le black metal de Neige Morte est froid et sale, bien blasté là où il faut et comme il faut et on reconnaît dans les plans de guitare quelques réminiscences des influences noise et tordues habituelles de celui qui en joue. Surtout, le braillard en chef a toujours cette présence imposante et massive, Neige Morte ça rigole vraiment pas même si un sample final – quelque chose ressemblant à des cris de biquettes perdues dans une forêt inhospitalière – en dit long sur l’humour au second degré de ces jeunes gens. Pour un premier concert, c’était franchement prometteur.


















Arrive le gros morceau du programme. En débarquant au Sonic en début de soirée il y avait deux types assis au bord du quai qui fumaient un truc énorme et bien chargé juste à côté de l’endroit où j’ai pris l’habitude de garer mon vélo. Ces deux là, je vais les retrouver un peu plus tard pour le concert de Keelhaul : Aaron Dallison (basse et chant) et Chris Smith (guitare, chant et lunettes) sont le cerveau du groupe. Ils se sont installés à même le sol devant la scène tandis que dessus trônent Dana Embrose (guitare) et Will Scharf (batterie), la cheville ouvrière.
Un premier titre instrumental, rapide et très technique pour se mettre en jambe – c’est facile de s’en rendre compte : les musiciens de Keelhaul en profitent pour faire un concours de grimaces impossibles et décidemment c’est le batteur le plus fort – et le math metal du groupe semble déjà tourner à plein régime. Deuxième titre. Keelhaul balance un Glorious Car Activities, extrait mollasson du dernier album Keelhaul’s Triumphant Return To Obscurity. Ils voudraient déjà casser l’ambiance qu’ils ne s’y prendraient pas autrement sauf que cette complainte beuglée comme un chartier par Dallison (le concert sera encore plus chanté que ce à quoi je m’attendais, Keelhaul en 2009 n’est plus un groupe instrumental à 90 %), cette complainte disais-je se transforme très vite en tourbillon implacable. Mentalement je note qu’il faudrait peut être que je réécoute et réévalue cet album et je me laisse glisser dans une euphorie bourrée de notes métalliques, de mesures impaires et de breaks de malades.























Keelhaul en concert c’est donc – comme les jeunes se plaisent à le dire vulgairement – une grosse grosse claque. Un festival de prouesses jouées par des punks quarantenaires remplis de bonne humeur et de bière (Chris Smith fera même tout en continuant de jouer une démonstration de décapsulage de bouteille avec les dents, on appelle ça l’art et la manière). L’ensemble est d’une décontraction parfaite qui fait passer la pilule de la technicité, de la maîtrise instrumentale, de la complexité des compositions et de la recherche forcenée de la difficulté. Et surtout ça défouraille, ça envoie, ça pulse, ça tarte, ça blaste et ça troue (encore du teen language).
Lorsque Chris Smith s’aperçoit que son micro ne fonctionne pas, c’est Aaron Dallison qui prend immédiatement le relais, tout naturellement, et les deux comparses continueront pendant tout le concert de s’échanger le micro – y compris sur les titres à deux voix ce qui fera l’objet d’une petite chorégraphie assez amusante – sans se poser plus de questions ni faire de caprice ou exiger un deuxième micro. De la simplicité, du savoir-faire, du savoir-vivre, de la déconnade, de l’alcool et de la drogue : Keelhaul en concert apporte la seule définition de musique festive qui me paraisse supportable et acceptable.
Quelques titres plus anciens montrent cependant que le groupe était bien meilleur avant, plus violent aussi et plus vicieux. Qu’à cela ne tienne, le public réclame quand même et obtient un rappel conséquent. Et je ne suis pas très loin de mettre ce concert dans le peloton de tête de mon futur classement pour l’année 2009.