mardi 26 février 2008

Dan Burke/Illusion Of Safety

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C’est la soirée culturelle du week-end : de la performance puis de la musique, euh, électro-acoustique avec Marie-Claire Cordat et surtout (en ce qui me concerne) Illusion Of Safety. Je suis étonné d’entendre des gens se demander qui est le gugusse qui jouera en second, qu’est ce qu’il fait comme musique -MC Cordat a son petit public, ses performances ont toujours attiré un peu de monde, certaines ont d’ailleurs été mises en pages accompagnées de textes sous la forme d’un livre, Induration, publié par Eclectik Lab, et c’est vrai qu’une personne capable de se faire payer par la Biennale d’Art Contemporain de Lyon uniquement pour picoler de la bière et se pisser dessus (éventuellement aussi pisser sur quelques officiels dont madame la ministre de la Culture) mérite une attention soutenue.
Mais n’exagérons rien, il n’y aura pas non plus foule et comme l’a si bien résumé un amateur éclairé arrivé un peu tôt en début de soirée : à croire qu’Illusion Of Safety cela n’intéresse plus grand monde. Et pourtant…




















 



La première fois que j’ai vu une performance de Marie-Claire Cordat remonte à une époque si lointaine que le pauvre petit garçon tout gentil et innocent que j’étais alors n’en croyait pas ses yeux qu’il puisse exister une fille assez folle pour hurler dans un micro, se foutre à poils en moins de cinq minutes, se tartouiller de ketchup (plus pratique et moins cher que du vrai sang, même de porc) et se branler la chatte avec un cadavre de lapin dépecé. Je ne me souviens pas du sujet exact de cette performance là, ni de celui des suivantes auxquelles j’ai pu assister au cours des années (parce que sujet il y a, je n’en doute pas) et l’héritage revendiqué par Marie Claire Cordat de trucs genre actionnistes viennois jouant avec leur chair et leur caca ou son intérêt porté à Antonin Artaud sont des thématiques qui ne m’ont jamais interpellé et encore moins intéressé. Réflexe de petit bourgeois de sexe mâle je veux bien en convenir.
Je passe rapidement sur la musique catapultée par Antropik, bidouille sonore à fort volume qui tient aussi bien du harsh japonais que du breakcore (parfois on arrive à discerner un semblant de rythme concassé) passé à la moulinette et à la distorsion. La surprise vient de la présence de Tit’o, guitariste de Picore et de Uzul Prod, qui n’aura de cesse d’en rajouter plusieurs couches en maltraitant son instrument favori et en tourneboulant à l’envie les boutons de ses pédales d’effets. La voix de Marie-Claire Cordat a un peu de mal à passer par-dessus tout ça, de plus elle est malade, mais elle braille ses né en France, élevé en France, abattu en France avec conviction tout en cinglant l’atmosphère d’une bonne vieille baguette de pain. Si elle était arrivée sur scène déguisée en mouton, elle se retrouve déjà toute nue, tente de s’enfiler je ne sais quoi avant de dévorer la carcasse crue d’un poulet et d’en recracher des bouts de partout.



















 



Tout est placé sur le mode de la dérision et peut être pour la première fois je ne ressens aucune agression ni aucun dégoût -je n’ai pas l’impression d’assister à un spectacle dont le but serait simplement de me couper les couilles. Je ne peux toujours pas dire que j’aime, mais, malgré le simplisme du propos et de son illustration parodique, je sens le côté humain : ou bien j’ai vieilli, ou bien c’est elle.
Si c’est elle, elle arrive encore à s’épargner toute forme de ridicule et de pathétique, son engagement est total. J’en arrive donc à éprouver une certaine admiration qui n’a rien à voir avec de quelconques critères esthétiques. Mention spéciale pour le final sur fond de Papayou du défunt Carlos (trois jours après, je me réveille encore avec cette satanée chanson dans la tête) : Marie Claire Cordat s’est alors dotée d’un gros ventre, d’une barbe, d’un gode et sodomise une carcasse de poulet (le même que tout à l’heure) en rythme -papayou/papayou/papayou papayoulélé, c’est grandiose.

















Dan Burke, unique membre d’Illusion Of Safety (même si cela n’a pas toujours été le cas), ne jouera pas sa musique depuis la scène mais a installé tout son dispositif sur le côté, là où d’ordinaire se tient le stand de marchandising des groupes. Un écran est déployé au fond de la salle, il y aura des projections tout du long, les personnes étant restées pour assister au set d’Illusion Of Safety regardant une scène vide tapissée de vidéos par forcément très intéressantes, même si j’ai bien apprécié le long passage avec les yeux.
J’hésite un peu sur l’endroit où je dois me mettre, après quelques allers et retours je m’assois par terre à mi distance des enceintes, le son est parfait, riche, scintillant, fourmillant d’une multitude de détails qui jamais ne semblent être le fruit d’une superposition ou d’une greffe. Construite ni sous forme de blocs ni sous forme de flux, la musique d’Illusion Of Safety est l’une des plus belles que je connaisse, déjouant les facilités des montées en puissance, se moquant des conventions types surlignages ostentatoires -basses fréquences en tir de barrage, sons aigrelet et vaguement irritant en première ligne- et sans aucun recours à un schéma rythmique. Pourtant de rythme (vital ?), il en est bien question avec la musique d’Illusion Of Safety, ce fourmillement actif de détails dont j’ai déjà parlé et qui efface toutes considérations visant à créer des distinguos entre le fond et la forme.

















Je finis par fermer les yeux -après, justement, la séquence vidéo remplie de globes oculaires-, la tête appuyé sur les mains et c’est comme si je dormais, peut être ai-je même réellement dormi. L’une des caractéristiques de cette musique c’est de rejeter toute utilisation de l’étouffement -que ce soit par écrasement comme chez les bruitistes ou par asphyxie comme chez les tenants des musiques dites de l’effacement- mais de jouer sur la dualité née de ces deux façons de procéder : il n’y a jamais véritablement de silence chez Illusion Of Safety, comme il n’y a pas plus d’assourdissement, on peut juste respirer tout en ne sachant jamais ce que l’on va respirer l’instant d’après. Ce n’est même pas une question de fluidité, d’élasticité ou de souplesse mais de liberté, totale et donc contrainte -une contrainte endogène, naturelle, expiatoire.
Lorsque les sons se font plus ténus, la conversation de personnes qui apparemment s’ennuient au bar vient un peu trop perturber l’écoute. Et comme malheureusement toute la fin du set d’Illusion Of Safety est de plus en plus aérée, il faut se concentrer pour faire fi de ces conversations et c’est dommage, cela gâche une bonne partie du plaisir. Cette musique n’est pas, comme je l’ai entendu alors, un bon moyen de redescendre après un bon week-end de teuf. Imperturbable, Dan Burke poursuit lui sa progression musicale quelques instant encore, puis tout finit par s’effacer dans le silence de la même façon dont tout s’était construit auparavant, presque inexplicablement. Magique.