Il n’aura échappé à personne qu’en cette belle année 2007 nous fêtions le trentième anniversaire de la mort d’Elvis Aaron Presley : nouvelles éditions de compilations, tous les nanars du king en tête de gondole (et les B.O. avec), albums remasterisés, le 68 Comeback Special en 3 DVDs mais surtout une abondante littérature digne de l’évènement et de sa célébration.
Il était également difficile d’échapper à la parodie religieuse développée lors de cet anniversaire puisqu’on va à Graceland comme on va à La Mecque, à Jérusalem ou Saint Jacques de Compostelle, puisque on se recueille en écoutant la musique de Presley comme on laisse abdiquer son libre arbitre devant parole d’évangile. Surtout Elvis fait un excellent prophète, sa mère Gladys est une parfaite sainte vierge castratrice, le frère jumeau mort-né (Jesse Garon Presley) fait office de saint esprit, Priscilla est cette pute de Marie Madeleine, le colonel Parker remplit à la fois les rôles de Saint pierre et de Judas, il ne manque que dieu le père mais non où ai-je la tête, dieu c’est le rock’n’roll bien évidemment, ouf.
Le rock est mort, c’est à la fois tant mieux et regrettable. Tant mieux parce qu’ainsi il a permis et permet encore toutes les parodies et/ou toutes les déviances (sans ordre chronologique et comme ça me vient : Captain Beefheart, les Cramps, Gun Club, The Fall, Birthday Party, Venom, Turbonegro, Pere Ubu, Hasil Adkins, les Cows, Black Sabbath, Oxbow, Marilyn Manson, les Damned, Melt Banana, Lubrificated goat, etc) pouvant certes parfois très mal finir lorsque elles se transforment en mission de vérité prise avec le plus grand sérieux (encore Black Sabbath et Marilyn Manson, au départ de simples plaisanteries). Regrettable parce que comme pour toutes les morts magnifiques le rock a aussi engendré un culte mystique qui n’a plus rien à voir avec l’écho mystérieux inventé par Sam Phillips dans les studios Sun : il faut toujours formater le mystère et/ou réduire à néant le non désir de son élucidation, c’est le boulot de la religion du rock et de ses directeurs en marketing contre la révolte et la poésie (option romantisme exacerbé). De faire du rock on est passé à faire rock et pour le commun des mortels avoir une double vie devient alors possible : la vie rêvée et donc accessible que par l’entremise du cérémonial et du sacré (le rock’n’roll), et la vie de la pratique quotidienne, celle où on en chie mais que l’on supporte grâce à la première. Le rock’n’roll a ainsi gagné à la fois sa fonction religieuse de soumission et sa fonction consumériste de déculpabilisation.
Les Cramps justement, puisque un petit malin a eu la bonne idée il y a quelques années de publier cette compilation bootleg intitulée Songs The Cramps Taught Us qui regroupe tous les titres repris, pillés ou pompés par le groupe de Poison Ivy et Lux Interior. Il existe en tout trois volumes avec des illustrations toutes aussi classes ( numéro deux et numéro trois) et on y trouve aussi bien Red Crayola que André Williams, The Standels que Roy Orbison mais aussi les Trashmen (bien sûr), Count Five, Jimmy Lloyd, Bo Diddley, Johnny Burnette, les Sonics… plus tout un ramassis de formations trash rock’n’roll et garage parfois obscures, souvent délirantes. Les livrets sont bien documentés et drôles et ces trois disques traînent toujours ça et là dans les bacs, je les ai vus il n’y a encore pas très longtemps. Aux deux extrêmes se trouvent une reprise hyper violente de Jailhouse Rock par Dean Carter (rien à voir avec la famille country du même nom) et l’humiliation du king en personne avec ce Do The Clam (extrait de la B.O. de Girl Happy en 1965) où Presley invente une nouvelle danse et invite tout le monde à faire la palourde (sic). Ces deux titres représentent toute l’histoire de cette musique, de la fracture à l’entertainment, toute son ambivalence aussi et ce qu’elle est devenue : l’accompagnement d’une nouvelle liturgie qui ne vaut pas mieux que les autres.