vendredi 17 août 2007

Asmodeus/Marc Ribot


Quelques années en arrière, dix ans peut être, le festival de Rive de Giers -qui défendait encore une programmation couillue et parfois décalée en invitant des gens comme Elliot Sharp ou Peter Brötzmann- avait fait venir Marc Ribot pour un concert solo. La mode étant aux lieux mutiples, Ribot avait été programmé dans l’amphithéâtre de l’opéra de la ville de Lyon et un journal local avait sournoisement titré en une : Marc Ribot à l’opéra ! Je me rappelle surtout que ce soir là les organisateurs du concert étaient bloqués dans des embouteillages sur l’autoroute et que les personnes de l’accueil à l’opéra ne savaient pas quoi faire, chaque nouveau venu pouvait prétendre être sur la liste des invités mais la fameuse liste étant encore dans une voiture il était facile de rentrer gratuitement, une hôtesse notait simplement les noms des soi-disant invités, grandiose.
Ce soir là Marc Ribot avait interprété quelques extraits du Book Of Heads de John Zorn (initialement composé pour Eugene Chadbourne), des morceaux de ses groupes Shrek ou Rootless Cosmopolitans (dont je n’ai jamais écouté les disques) et des reprises figurant sur son merveilleux album solo Don’t Blame Me. Tout d’un coup Ribot devenait pour moi autre chose qu’un musicien de sessions de luxe pour Alain Bashung et Tom Waits ou un guignolo de la six cordes pour le compte de Zorn. J’avais devant moi un type qui racontait les histoires de la musique qu’il interprétait tout de suite après, possédait un son incroyablement pur (pas forcément très électrique) et dont la sensibilité submergeait tout l’auditoire.
Surtout, pour moi qui venais de passer les dernières années à me persuader qu’un guitariste faisant autre chose que de la rythmique (même un peu élaborée) n’était rien d’autre qu’un poseur exhibitionniste, je découvrais justement un guitariste hors paire qui pouvait m’émouvoir autant qu’un Coltrane ou qu’un Glenn Gould, je ratisse large avec les noms exprès. Après, avec Marc on s’est un peu perdu de vue -je n’ai jamais osé écouter ses disques avec sa formation cubaine dont j’ai tout fait pour oublier le nom et pour cause, je suis allergique aux Caraïbes- mais j’écoute toujours le même disque de lui, le déjà nommé Don’t Blame Me.
De temps à autres il fait une réapparition chez Zorn, via le catalogue de son label Tzadik, genre hey Marc we need a guitarist for a new project and it’s a goog job et hop je peux réentendre Ribot dans le rôle de l’invité de luxe. Des projets, Zorn en a justement toujours plein et l’un des derniers est le Book Of Angels, c'est-à-dire tout un cahier de compositions inédites de Masada qu’il fait interpréter par d’autres. Après Jamie Saft, Marc Feldman, Erik Friedlander, Greg Cohen, Sylvie Courvoisier, Koby Israelite, le Cracow Klezmer Band et Uri Caine c’est donc au tour de Marc Ribot, accompagné d’une section rythmique qui balaie tout sur son passage, à savoir Trevor Dunn et G. Calvin Weston.
Malgré sa courte durée ce disque est le plus souvent laborieux même si Marc Ribot développe des trésors d’ingéniosité pendant que derrière ses petits camarades ramassent à la pelle. Seulement il y a aussi du bavardage inutile sur ce disque et les thèmes composés par Zorn sont ici de très moyenne facture, je veux bien admettre que peut être est-ce parce que Klezmer rime très très mal avec guitare électrique : auparavant Koby Israelite a failli s’y casser les dents et surtout il y a Rashanim qui n’y est pas arrivé du tout non plus. Il y a de ci de là quelques moment en suspension où je retrouve le son du guitariste, celui qui m’avait fait chavirer, mais j’ai surtout l’impression de manger du pudding (sans fruits dedans) -en dépit de l’excellence de la rythmique, un enregistrement en solo et avec moins de pétarades aurait été sans aucun doute plus approprié. Là, ça sent le bâclé, le non concerté et peut être était-ce le but de ce disque que de faire dans le 1, 2, 3, 4 mais vraiment, vraiment, l’urgence ultra électrique n’est pas appropriée à cette musique.