mardi 20 octobre 2009

The Thing / Bag It !























The Thing est le plus grand groupe actuel de free jazz. The Thing est le trio emmené par Mats Gustaffson, improvisateur parmi les improvisateurs, jouant principalement du saxophone baryton, parfois de l’alto (presque jamais du ténor, et sur l’album qui nous occupe ici pas du tout) et digne héritier de la scène free européenne des années 70 et des pionniers américains des années 60, Albert Ayler en tête. Difficile aussi de ne pas comparer la texture de son son de saxophone à celui de Peter Brötzmann, même sensation de dureté granulaire et abrasive mais à la différence du grand ancêtre allemand, Mats Gustaffson sous-entend toujours un minimum syndical mélodique, notre homme aime la pop music et le rock’n’roll. Un trio c’est forcément trois personnes : on retrouve à la contrebasse Ingebrigt Håker Flaten (jouant également avec les très hypeux Atomic et le très dispensable Scorch Trio) et surtout le batteur Paal Nilssen-Love au jeu très dynamique, percussif et rentre-dedans.
Bag It ! est le dernier-né d’une discographie accumulant déjà une dizaine de références, un album publié par Smalltown Superjazz et explorant un spectre très large de styles, d’expériences. Mats Gustafsson reste toujours dans le bouillonnement de la freeture et l’incandescence de l’impro libre - au contraire de son confrère et ami Ken Vandermark qui lui n’hésite jamais à dépoussiérer le be-bop d’antan ou à redynamiser le jazz modal - mais ses sources d’inspirations sont multiples et parfois surprenantes. Sur l’album She Knows… de 2001 enregistré avec Joe McPhee, The Thing s’était fendu d’une reprise de To Bring You My Love de PJ Harvey. Sur Bag It ! on compte une reprise de The Ex et une autre de 54 Nude Honeys. Au milieu de tout ça, un hommage à Duke Ellington - Mystery Song avec l’exposition de son thème principal traité de façon très colemanienne (rappelons encore une fois que The Thing est aussi le titre d’une composition de Don Cherry, sur son album Where Is Brooklyn ? de 1966) - et une magnifique version d’Angels (d’Albert Ayler) toute en raclements, frottements, grésillements avec sa partie de saxophone fragile, ténue et particulièrement émouvante… si un ange passe il pourra dire au fantôme du grand Albert que des musiciens pensent encore très fort à lui. Pour compléter le tracklisting ajoutons une composition de Gustafsson et une composition collective de The Thing.
La principale innovation de Bag It! reste l’utilisation de l’électronique. Pas question de rythmiques fiévreuses avec boite à rythmes incorporée ou d’enluminures cosmiques au synthé, non les effets sont utilisés dans une optique uniquement bruitiste : le solo imitant la guitare sur Drop The Gun des 54 Nude Honey et finissant en cacophonie ou les atmosphères frôlées sur Angel. Surtout, cette évolution technique ne parait pas artificielle - on connaît trop bien les effets pervers d’une démarche qui consisterait à évoluer coûte que coûte, comme par obligation -, une évolution qui procède naturellement donc et l’électronique fait déjà partie du paysage sonore de The Thing comme si elle avait toujours été présente. N’étant pas fanatique des incursions technologiques dans un free jazz que je préfère forcément toujours brut(al) et acoustique, cette innovation aux résultats probants est une bonne surprise.

[à noter que les premières versions de Bag It ! sont accompagnées d’un CD bonus comprenant une longue impro collective d’une demi heure et à forte tendance die hard]