dimanche 1 août 2010

Un dernier pour la route























Cette fois ci, en ce qui me concerne, c’est réellement le dernier concert de la saison, il n’y aura strictement rien à faire au mois d’août – mis à part glander à la belle étoile, boire des coups à des horaires pourtant interdits pour de soi-disant et évidentes raisons d’hygiène personnelle et d’hygiénisme social (mais on s’en fout) et nourrir les chats des potes partis pendant ce temps là en vacances à l’autre bout de la planète. C’est le dernier concert de la saison et c’est le Grrrnd Zero qui a le dernier mot avec une splendide affiche réunissant L’Ocelle Mare et Zs.
La rentrée à venir s’annonce déjà belle elle aussi avec la quadruplette Marvin/Papier Tigre/Pneu/Electric Electric et Melt Banana à ce même Grrrnd Zero ainsi que Raymonde Howard, Liturgy ou Souvaris au Sonic. Sans compter la venue annoncée des Swans récemment reformés, celle de The Thing (avec Mats Gustafsson), à l’heure actuelle le meilleur groupe de free jazz du monde et qui partagera l’affiche avec Otomo Yohihide, ou le retour en novembre ou décembre d’Extra Life, le groupe de Charlie Looker, un ancien Zs justement. En attendant tout ça on va essayer de se reposer un peu…
Ce vendredi soir la motivation des troupes ne semble pas au rendez-vous. Il est presque 21 heures lorsque j’arrive et je compte qu’il y a presque plus de musiciens que de spectateurs potentiels qui glandent dehors devant la salle. Beau temps + fin du mois de juillet + promo sur les barbecues vegans + obscurantisme arty new-yorkais = la grenouille pour les organisateurs ? Comme dans le plus beau des rêves d’ascension sociale et de réussite pécuniaire le public finira par arriver, tardivement donc, et il aura bien eu raison ce public d’arriver autant en retard parce que cela lui aura permis de ne pas avoir à supporter le premier groupe de la soirée.
















Super Fédor est un trio de Chambéry (ils n’arrêteront pas de le répéter de tout le concert, trouvant que l’on est triste à Lyon et, ceci dit, ils n’ont pas tout à fait tort), un trio déguisé et jouant un rock festif – un gros mot – à base de rythmiques assez rapides, de synthétiseurs agaçants, de guitare au rendu plat et de chant navrant. L’humour est le crédo de ces trois garçons mais je rappelle que je n’ai aucun humour. Mais alors là vraiment pas. Dans le meilleur des cas Super Fédor rappellerait les heures sombres de l’alternatif français des années 80, lorsque certains esprits supérieurs arrivaient à penser que la franchouillardise pouvait enfin sonner arty et que le Professeur Choron était le roi des punks français, à la droite de GG Allin mais toujours sous le haut patronage de la tartiflette, du litron de jaja et de la gaudriole. Totalement affligeant
Mais de telles différences de vue – je rappelle également encore une fois que je suis musicalement psychorigide et totalement intolérant – ne seraient rien si en plus la musique de Super Fédor ne s’était révélée aussi inepte. Sa stupidité, pour réussir à la rendre géniale, faut la travailler un peu plus que ça. Ou alors avoir la fulgurance de l’instinct. Rien de tout ça avec Super Fédor, groupe uniquement bas du front et finalement bas en couleurs. Tant mieux pour celles et ceux qui on aimé (il y en avait ce soir là au Grrrnd Zero). Faute de goût définitive et rédhibitoire : annoncer une reprise de Metallica et dans la foulée massacrer Père Ubu sans aucune hésitation. A la poubelle les gars.
















Suit Cogne & Foutre soit un garçon croisé régulièrement dans le public des concerts à Lyon et qui derrière ce patronyme de bon goût et d’une élégance folle va nettement relever le niveau. Trois écrans tv lui font face et durant son (très) court set il va s’ingénier à balancer des sons aussi désagréables que stridents, modifiant en même temps la neige et les parasites défilant sur les trois écrans et modulant ses interventions en se servant de l’activité de ces mêmes écrans comme repères – à tout bien y réfléchir il aurait aussi pu faire l’inverse : tirer ses sons de l’activité des écrans, donc jouer sur les images parasites pour générer du bruit, un peu comme les Voice Crack extirpaient des fréquences de l’activité électrique et des champs magnétiques de leurs cracked everyday electronics.
Musicalement Cogne & Foutre cela ressemble à du pipo bimbo ultra corrosif et visuellement on nage en pleine installation vidéo contemporaine sauf que le cheap et la brutalité y règnent en maître. Un petit rigolo, sûrement un ami d’enfance de notre apprenti terroriste sonore, s’amuse en même temps à allumer des pétards et fort à propos ce dernier profitera d’une dernière explosion pour couper court c'est-à-dire couper l’alimentation du courant électrique. Fin du concert. C’est qu’il avait du faire aussi le tour des possibilités de son installation.























La partie la plus intéressante de la soirée arrive enfin. C’est sous le nom de L'Ocelle Mare que le funambule Thomas Bonvalet a donné une suite à ses aventures musicales après la débandade de Cheval De Frise. Il vient de sortir un troisième enregistrement – absolument magnifique – intitulé Engourdissement et sur lequel il va encore plus loin dans la poésie des sons.
Véritables vignettes aux résonnances incommensurables, les compositions de L’Ocelle Mare offrent ces rares moments de vérité, là où fragilité et beauté se rejoignent, des moments qui étourdissent autant qu’ils émerveillent. Voir Thomas interpréter sa musique juste devant soi est un miracle, ses formats courts sont constamment placés sous le signe de l’atemporalité et s’il ne ponctuait pas chaque fin de titre d’un merci retentissant et sincèrement vibrant on resterait collé tout là haut au milieu des notes qu’il distille avec son banjo à six cordes, un orgue à bouche chinois et ses micro-rythmiques assurées à l’aide d’un métronome affolé ou ses pieds frappant un bout de carton ou une vielle cymbale. Un grand et rare moment de pureté et de beauté brute.
















L’Ocelle Mare/Thomas Bonvalet s’est taillé un franc succès. Les applaudissements s’accélèrent et l’enthousiasme redouble. Pourtant la vraie grosse curiosité arrive juste après en la personne de Zs, quartet basé à Brooklyn et précédé d’une réputation aussi flatteuse qu’incendiaire. L’album New Slaves est l’un des meilleurs du groupe – qui a déjà une solide discographie derrière lui –, en tous les cas c’est l’un de ses disques les mieux enregistrés, les plus puissants et les plus homogènes malgré la présence dessus de compositions exécutées en solo par chacun de ses membres.
Cela tombe bien, New Slaves, le titre dantesque de vingt minutes et qui a donné son nom à cet album, constituera également le corps du concert de ce soir, dans une version rallongée. Sorte de synthèse de la musique de Zs – laquelle navigue, pour simplifier les choses, entre free jazz robotique et musique contemporaine décomplexée – New Slaves sur scène est une longue transe hypnotique et tribale, noise et échevelée, oscillant entre kraut industriel et harsh acoustique. Le jeu des deux guitaristes est très complémentaire (il y a même de nombreuses parties jouées à l’unisson) tandis que Sam Hillmer, bien confortablement installé dans rôle de gourou, ne souffre aucun concurrence.























L’exécution est impeccable, si les quatre Zs jouent assis et presque en cercle mais de manière remuante une composition écrite dans un local de répétition, ils se passent pourtant sur scène des fameuses partitions qui faisaient beaucoup pour leur réputation et cela ne les empêche pas non plus de développer davantage encore New Slaves, visant toujours plus de paroxysme, ce que l’écoute du disque, malgré toute ses qualités, ne permet malheureusement pas. A la fin du titre les deux guitaristes n’ont plus qu’à remplacer les cordes cassées de leurs guitares avec manche en alu – tu connais Shellac ? – s’ils veulent continuer à jouer. Zs enchaine alors avec l’excellent Acres Of Skin, un deuxième titre beaucoup plus court du dernier album, basé sur la dissonance des guitares et un rythme très marqué et presque chaloupé. Excellent également.
Malheureusement le public – ou ce qu’il en reste parce que la musique de Zs comme l’horaire du dernier métro auront eu raison des moins résistants – en redemande et le groupe remontera sur scène pour un dernier titre tout juste passable, ternissant la très bonne impression du concert mais constituant également une très bonne méthode pour dégouter son petit monde et arrêter définitivement de jouer malgré l’épaisseur d’un cachet qui aurait permis à une veuve de guerre bosniaque de nourrir six enfants faméliques pendant la moitié de l’année. Quelques commentaires acerbes – ouais Zs ça se touche bien quand même –, commentaires que justifie sans peine ce dernier titre joué, ne m’empêchent pas de rester sur un petit nuage.
















Petit nuage que même Mein Sohn William ne parviendra pas à dissiper. Encore un gentil garçon qui s’affuble d’un couvre-chef ridicule (mais c’est fait exprès) et qui joue au pitre. Il a disposé son synthétiseur, son ampli, une caisse claire et deux micros en cercle : il court de l’un à l’autre comme un zouave, avec sa guitare autour du cou. Bon, je ne vais pas ressortir les mêmes propos bilieux voire haineux que pour Super Fédor, après tout Mein Sohn William leur était nettement supérieur mais une nouvelle fois je trouve toujours les andouilleries festives profondément indigestes même lorsqu’elles se veulent décalées et désaxées. Inutile donc de s’attarder sur une prestation à laquelle je n’entends pas grand-chose, au propre comme au figuré.
Malheureusement pour lui, Mein Sohn William jouait en dernier, en toute fin de programme pour les ivrognes, personne n’était donc obligé de rester pour voir s’il arrivait ou non à supporter les simagrées du garçon en attendant que les groupes d’après jouent à leur tour. Je quitte alors le Grrrrnd Zero sans aucun regret, il est deux heures du matin, pour une fois j’ai même une voiture à disposition et pour une fois également j’en profite pour dépanner un pauvre spectateur également cycliste qui sans ça aurait été obligé de rentrer dans la nuit noire sur son vélo. Une grande victoire sur moi-même. J’en éprouve encore aujourd’hui un certain sentiment finalement assez semblable à de la fierté mal placée. Oui le progrès technique ça rend con.