jeudi 12 août 2010

Eleh / Location Momentum





















Eleh poursuit la suite de ses aventures discographiques sur Touch records avec Location Momentum, son premier véritable album après une dizaine de 12 pouces et surtout son premier disque en format CD : cinq titres et une heure de musique. Le format vinyle allait plus que bien à la musique de Eleh, tant pour des questions de durée (vingt minutes maximum) que pour des questions de rendu (la chaleur du son, etc, toutes ces conneries de geeks snobinards qui font comme les autres une fois qu’ils sont sortis de chez eux : ils écoutent leurs disques préférés du moment sur des formats mp3 limités et avec l’aide d’un baladeur aussi pourri que leur casque audio).
Le premier titre, Heleneleh, se veut plutôt rassurant : c’est du Eleh pur jus c'est-à-dire du pompage intégral de La Monte Young (encore et toujours) avec des superpositions d’ondes/drones joués sur du vieux matos analogique. Bien. Comme on l’a dit, les puristes iront regretter la profondeur du son vinyle, les craquements inhérents au sillon, le souffle même. Il est vrai que le magma argonique habituel de Eleh est quelque peu tempéré par la froideur et la distance imposées par le support numérique et que l’envie de s’y immerger devient moins spontanée. Là où Heleneleh finit par poser problème c’est lorsque, vers la fin du morceau, les sons sont soudainement et volontairement déformés, resserrés, comme si notre homme/femme (Eleh, quoi) avait soudainement laissé les commandes de son vieux synthé à un jeune technoman soudain très intrigué par un bouton de la machine dont il n’avait pas encore testé l’utilité – en fait il s’agit d’un changement tout bête de tonalité mais il se produit à une vitesse telle, à l’opposé de la lenteur habituelle et rassurante de Eleh, que l’effet en devient catastrophique : en laissant se produire quelque chose de tangible dans sa musique, Eleh ne fait que souligner que jusqu’ici il ne se passait rien et réveille l’auditeur de sa douce torpeur – j’imagine que l’effet recherché était le même que celui du gong de Slow Fade for Hard Sync (le précédent et premier disque de Eleh pour Touch) mais cette fois ci cela ne fonctionne absolument pas, l’intervention parasitaire ressemblant plus à une déformation accidentelle qu’à un couperet soyeux. Un titre en forme de palindrome était dans ce cas précis plutôt bien trouvé puisque Heleneleh finit surtout par sembler n’avoir ni queue ni tête.
Linear To Circular/Vertical Axis
a tout de l’intermède : deux minutes et demi de sons qui se contractent et se rétractent comme une respiration hachée. Circle One : Summer Transcience est une (longue) tentative de la part d’Eleh de faire évoluer son drone ambient : voilà un assortiment de fréquences – du sifflement aigu jusqu’au grondement grave – qui se mélangent à la perfection et non sans une certaine dynamique insufflée par un bruit étouffé de salle des machines. Observation Wheel, exactement dans la même veine, celle d’une musique industrielle atmosphérique très années 80 (en gros tout ce qui suit le In The Shadow Of The Sun de Throbbing Gristle), est plus réussi encore et tempère définitivement la semi déception de l’entrée en matière poussive de Heleneleh. Le jeu des fréquences complémentaires est toujours aussi prenant, les sonorités indus encore plus présentes – jets de vapeurs, cliquetis grippés, etc – et Observation Wheel est la vraie réussite de cet album, s’achevant dans un intense bourgeonnement de basses/infrabasses avec bruits de tectonique des plaques, on pense forcément au Heresy de Lustmord tout en gardant à l’esprit l’héritage toujours bien présent de La Monte Young (on ne se refait pas). Rotational Change For Windmill est la conclusion de cet album. Une conclusion qui avec son tintement métallique servant de métronome aux ondes sinusoïdales reste dans la lignée des deux titres précédents. Puis, ce repère temporel s’effaçant et laissant les ondes maléfiques seules maîtresses à bord, Rotational Change For Windmill opère un retour à la pureté formelle des premiers 12’ de Eleh avant de reprendre la respiration saccadée de Linear To Circular/Vertical Axis (l’intermède dont au départ on pensait à tort qu’il ne servait à rien).
Sur Location Momentum Eleh a donc cherché à faire évoluer quelque peu sa musique, pari gagné bien que le résultat atterrisse à nouveau en terrain connu. Il n’en demeure pas moins que question musique ambient on n’avait pas entendu un album aussi réussi depuis longtemps. Comme quoi il ne faut pas toujours se fier à ses premières impressions… Et on en finit presque par excuser les quelques facilités et faiblesses de Heleneleh.