mercredi 26 mars 2008

Women As Lovers


Le problème avec Xiu Xiu c’est qu’il est très difficile d’en parler correctement, même lorsqu’on adore. Surtout, éviter l’analyse psychologique et la nomenclature catégorielle qui rassurent le nerd hétérosexuel ventripotent à défaut d’expliquer ce qui de toutes façons ne peut pas l’être : la bissexualité de Jamie Stewart, le suicide supposé de son père en 2002 -rien à foutre de tout ça. Qu’importe aussi que le titre du dernier album, Women As Lovers, soit tiré d’un bouquin d’Elfriede Jelinek à propos de la marchandisation des femmes (corps et âme) dans notre société contemporaine. Je n’ai jamais réussi à venir à bout de Lust, malgré plusieurs tentatives répétées et courageuses mais ça aussi c’est une toute autre histoire. On pourrait présumer que la douleur qui affleure de chaque disque de Xiu Xiu est jalonnée par une bonne partie de tout ça, Jamie Stewart se plaisant à écrire ses textes sur ses expériences passées et en particulier sur son histoire familiale, mais on s’en moque parce que cette douleur interpelle avant toute chose dans sa traduction musicale, est dépassé par elle, une forme devenue indépendante et autonome.
Recommençons : Xiu Xiu est un groupe à la fois pop et difficile, sucré et aride, mélodieux et bordélique, Jamie Stewart a toujours réussi à rendre palpables ses propres interrogations et ses propres questionnements sans tomber dans le plus effrayant des pathos, dans l’autocomplaisance, à tel point que l’on oublie vite la cause de tout ça pour ne plus focaliser que sur la musique en elle-même. Tout passe par l’instinct sans avoir besoin d’explications supplémentaires car il y a énormément de vie dans la musique de Xiu Xiu, c’est à la fois suffisant et en même temps ce n’est jamais assez, la vie c’est ce truc dont on veut toujours plus. L’attrait (ou le rejet catégorique) pour ce groupe provient évidemment de là, de cet effet miroir car il est très facile de se sentir physiquement concerné (ou pas) par une chanson de Xiu Xiu. Une musique qui parle au coeur et au corps, c’est quelque chose de vraiment très rare. Coupons la tête à tous les détracteurs de Jamie Stewart.






















 


Women As Lovers doit être le sixième ou septième album de Xiu Xiu (et on ne parle même pas de tous les singles parus entre temps). Outre notre play-boy chanteur de charme, la composition du groupe est assez floue, quoique la petite Caralee McElroy (également cousine de Jamie Stewart) semble s’accrocher aux branches de l’arbre, Sam Mickens et Jherek Bischoff sont eux partis depuis longtemps, trop occupés sans doute par The Dead Science. Il y a pourtant une constance dans la musique du groupe, son chanteur/leader veille au grain, les albums se suivant sans se ressembler mais possédant tous un caractère curieusement élaboré pour de la pop (certains parlent d’expérimental…) tout en restant d’une sobriété incroyable. C’est toute la magie du truc, comment réussir à faire tenir debout une chanson avec des rythmes plutôt vagues, en général une boite à rythmes, des synthés dont on aimerait pouvoir affirmer qu’ils sont désaccordés (mais un synthé, est ce que cela peut s’accorder ?), des guitares aigrelettes, des cloches, des cordes, des cuivres et une voix qui se partage entre le susurrement au creux de l’oreille et le hurlement lyrique, toujours au creux de l’oreille donc ça surprend toujours un peu, ces envolées ultra maniérées façon exorcismes.
Women As Lovers
est de très loin l’album le plus lisible et le moins atypique de Xiu Xiu. Il y a de vrais chansons (mais toujours arrangées avec humour, voir les synthés variétés 80’s de No Friends Oh !), des tentatives très rythmées (In Lust You Can Hear The Axe Fall ou You Are Pregnant You, You Are Dead), quelques balades tordues à l’acoustique minimal (Black Keybord), de la politique (Guantanamo Canto) et, puisque Xiu Xiu raffole autant de reprises, il y en a une d’Under Pressure de-qui-vous-savez avec Michael Gira en invité, une reprise moins désossée qu’à l’accoutumée, on aime ou on déteste, une chanson qui au final va bien au groupe. C’est vraiment curieux et inhabituel d’écouter un album de Xiu Xiu sans se demander ce dont il s’agit encore, sans avoir cette obligation consentie de l’effort d’écoute. Un album presque évident, certes souvent bancal, parfois vicieux, grinçant et décalé mais qui s’écoute d’une seule traite et si le besoin de l’écouter une deuxième fois d’affilée se fait ressentir ce n’est pas pour déchiffrer une musique difficile, non, c’est uniquement par pur plaisir.

[Au mois de mai, Xiu Xiu entamera une tournée européenne. A Lyon, c’est prévu pour le 11, c'est-à-dire exactement le même jour qu’Einsturzende Neubauten, c’est malin.]