Retour sur le label Touch et un joli CD emballé dans une pochette cartonnée (tout comme Mego le faisait à ses débuts pour ses premiers tirages mais c’est bien Touch qui a initié ce type de packaging, voir par exemple le très beau Kill The King de Hafler trio en 1991) contenant l’oeuvre maîtresse de Gavin Bryars : The Sinking Of The Titanic. Gavin Bryars a commencé sa carrière de musicien comme contrebassiste de free jazz rapidement passé à l’improvisation pure -le Joseph Holbrooke trio en compagnie de Derek Bailey et de Tony Oxley, une expérience qu’il finit par abandonner faute de satisfaction personnelle. Place à la composition avec comme premier coup d’éclat (1969) ce Sinking Of The Titanic qui, presque quarante années plus tard, risque bien de rester l’éternelle enseigne lumineuse et clignotante d’une postérité qui ne retiendra de Gavin Bryars que cette première oeuvre acclamée de toutes parts. Encore faut il pouvoir apprécier les motifs évanescents de cette composition basée sur le drame nautique que tout le monde connaît avec comme pitch l’orchestre du bateau réputé insubmersible et qui aurait continué à jouer encore et encore toujours le même air tandis que quelques centaines de voyageurs à destination de New York goûtaient aux joies du bain de minuit en plein océan arctique.
Dans l’absolu, il est difficile d’être fan de l’œuvre originelle dont la version la plus connue est celle publiée par Brian Eno en 1975 sur son label Obscure. On a beau savoir que c’est le sujet même de cette musique, la tonalité néo classique, un brin romantique avec une pointe de drame hollywoodien s’enfonçant dans une sorte de répétitivité évanescente, n’a rien de passionnante. La nature de cette composition était alors dans l’air du temps, en bon adepte de Cage, Bryars n’avait pas déterminé la durée de la pièce, ni le nombre d’exécutants.
Dans l’absolu, il est difficile d’être fan de l’œuvre originelle dont la version la plus connue est celle publiée par Brian Eno en 1975 sur son label Obscure. On a beau savoir que c’est le sujet même de cette musique, la tonalité néo classique, un brin romantique avec une pointe de drame hollywoodien s’enfonçant dans une sorte de répétitivité évanescente, n’a rien de passionnante. La nature de cette composition était alors dans l’air du temps, en bon adepte de Cage, Bryars n’avait pas déterminé la durée de la pièce, ni le nombre d’exécutants.
Il existe donc plein de versions de The Sinking Of The Titanic qui se définit comme une oeuvre inachevée, in progress, ce qui explique l’annotation (1969…) apposée après le titre. Celle qui nous intéresse a été orchestrée par le platiniste Philip Jeck et interprétée par l’ensemble Alter Ego en octobre 2005 lors du festival de musique contemporaine de Venise. Philip Jeck est du genre à faire du bruit avec des platines vinyles, plus que Janek Schaefer mais moins qu’Otomo Yoshihide ou Christian Marclay. Ses raclements de microsillons ont un côté froid qui plaisent à l’amateur d’electronica façon Ryoji Ikeda ou Alva Noto.
L’association des bidouilles parasitaires de Jeck avec les procédés d’ensevelissement de motifs nostalgiques de Bryars fonctionne plutôt bien. Cela commence avec une longue période de craquements, évoquant aussi bien la pluie qui ruisselle que le feu qui crépite avant que l’instrumentation classique n’intervienne, de façon ténue. L’auditeur est directement plongé dans le passé, effet renforcé par des extraits de témoignages de survivants du drame, des appels en morse et quelques paysages sonores qui n’ont rien à voir (est ce que ce sont bien des grillons qui apparaissent à la trentième minute ?) ou un peu trop évidents telle cette cloche qui résonne comme un glas.
Toute la première moitié du CD navigue en eaux troubles avant que la nostalgie musicale n’intervienne avec la partie composée proprement dite de Gavin Bryars. C’est le côté néo classique teinté sépia déjà évoqué et la partie la moins passionnante des soixante-douze minutes du disque, malgré quelques interventions discrètes de Jeck. Après un climax théâtral, la manipulation et l’effacement reprennent le dessus et cette interprétation de The Sinking Of The Titanic devient alors presque passionnante, le rendu sonore de l’engloutissement et de la disparition du bateau et de ses occupants est palpable, sensation physique, crescendo des violons et intervention d’un hautbois, avant une nouvelle sensation d’endormissement, des gargouillis d’une boite à musique qui se tait de façon très légèrement abrupte, un final donc forcément évocateur.
Tout ceci ressemble quand même fortement à une bande son et en lisant les notes du livret on s’aperçoit qu’il en s’agit effectivement d’une : lors de l’enregistrement public de l’oeuvre était diffusé un film d’un certain Andrew L. Hooker, également responsable du design du disque. Finalement, même si cette version longue de The Sinking Of The Titanic est bien faite, largement théorisée, ostensiblement construite, tout est joliment sans surprise, du papier peint lessivable pour salle de bains. Ce n’est pas tous les jours que l’on peut écouter une musique qui parle ouvertement de la mort sans tomber dans le côté morbide de la chose -étrange paradoxe que le remplacement de la violence d’un drame par la nostalgie de son illustration.