jeudi 8 novembre 2007

Scorn / Stealth


Stealth, le premier album de Mick Harris sous le nom de SCORN depuis cinq ans, est disponible depuis la mi-octobre. Véritable évènement, ce disque ne suscite pas moins quelques angoissantes interrogations chez moi : en faisant écouter Stripped Back Hinge, le premier titre de cet album, j’ai récolté cette savante remarque -tiens, Scorn, il a beaucoup écouté de dubstep. Ah bon ? J’ai récupéré un joli exemplaire promo du disque (merci au label) mais en faisant récemment le tour des magasins de la ville j’ai pu constater qu’un sticker avait été accolé sur les exemplaires mis en vente, un sticker qui (en gros) dit ceci : le nouvel album du père fondateur involontaire de la scène dubstep. C’en est beaucoup trop pour moi, je n’accepte pas mon ignorance en la matière, je fais une crise aigue de fierté orgueilleuse et c’est bien simple, je ne supporte pas que l’on me parle d’un truc que j’ignore surtout lorsque cela concerne un musicien/groupe que j’adore. Donc, voilà, dubstep : qu’est ce que c’est ? Hein ?
Renseignements pris (pas beaucoup, je n’ai pas que ça à foutre) il s’agit dès le départ d’une étiquette de plus balancée par un concepteur trop fort en marketing et rapidement reprise sur le titre d’une compilation : Dubstep Allstars Vol. 1. Le terme désigne avant tout une scène issue du sud de Londres avec des influences dub et 2-step, entre autres et d’où le nom. Surtout, j’apprends qu’il y a un webzine français entièrement consacré au genre et en parcourant un peu ce site je me rends compte que Burial a pour beaucoup contribué à la récente et plus large diffusion du dubstep -je me transforme aussitôt en monsieur Jourdain parce que le premier album de Burial, publié l’année dernière chez Hyperdub, est l’un de mes disques electro préférés de 2006 (il avait d’ailleurs été fort brillamment chroniqué chez Kubik) et c’est donc que j’aimais le dubstep sans le savoir, Mein Got. Burial est l’oeuvre d’un parfait anonyme, un mystère de plus, et en attendant de pouvoir écouter Untrue, son très attendu deuxième album dans les bacs depuis le 5 novembre, on peut toujours lire cette interview (en anglais mais avec plein de mp3 en fin de parcours), un jeu de questions/réponses plutôt déconcertant.






















Toujours à propos de dubstep, j’ai entendu les mots ou expressions suivantes : urbain, basses fréquences, minimalisme, down tempo et même haché menu. Que des qualificatifs pas toujours vrais mais qui conviennent parfaitement à la musique actuelle de Scorn. Toutefois il faut préciser de suite qu’après réécoute, il n’y a que peu de rapport entre le premier album de Burial et Stealth. Scorn base toute sa musique sur le couple basse/rythme -peut être devais je même dire bourdonnement et pulsation tellement les vibrations lâchées par la musique de Scorn semblent provenir de l’intérieur- et agrémente ses structures de motifs tellement lointains (mais aiguisés) qu’ils en paraîtraient subliminaux. En écoutant attentivement Stealth -au passage, tout autre mode d’écoute serait insuffisant et inacceptable- la séduction paradoxale des sonorités et des rythmes inventés par Mick Harris est réellement envoûtante, les échos rythmiques étouffés dans l’oeuf, les gargouillis des basses, tout est systématiquement et savamment en opposition avec ce qui pourrait être l’aspect musical (à défaut de mélodique) de cette musique -les nappes élastiques, les zébrures fugitives, quelques guillemets et accolades au premier abord anecdotiques- mais qui, au-delà de la trame rythmique, est l’autre marque de fabrique de Scorn et se retrouve pour ainsi dire mis en exergue par le processus d’opposition. Ainsi, deux univers parallèles et complémentaires se font face, s’alimentent mutuellement sans jamais se mélanger : la musique de Scorn est fondamentalement et intrinsèquement schizophrène avant d’être dépressive et sombre -qui sont les deux qualificatifs les plus couramment employés à son propos. Cette façon de faire est tellement ancrée en profondeur, comme chargée d’une motivation que nul ne peut saisir, que l’on peut même affirmer que Stealth est une oeuvre caractérielle. Et en tous les cas largement plus fascinante que le précédent Plan B (chez Hymen records) où l’alchimie spécifique entre base rythmique et bruitages de décorum ne parvenait pas à prendre. Cinq années, pendant lesquelles Mick Harris a passé le plus clair de son temps à pécher le brochet, n’ont donc pas été de trop : cela valait bien le coup d’attendre que l’homme de Birmingham lâche enfin ses cannes à pèche et reprenne les manettes de son laptop et de sa table de mixage.