Pour commencer, quelques bonnes nouvelles en
provenance du Sonic : la
salle dont l’existence était clairement menacée suite à des décisions absurdes (concernant
notamment l’annulation sans motif très clair de son autorisation de fermeture
tardive) a soudainement assisté au réveil bienveillant des élus locaux –
normal c’est le printemps et la gauche libérale, ayant déjà remporté l’élection
présidentielle et s’apprêtant à faire de même pour les prochaines élections
législatives, se sent pousser des ailes, redevient magnanime et se préoccupe à
nouveau des modes de diffusion culturelle à la marge. Merci beaucoup.
Résultat, en plus de l’assurance du soutien
indéfectible et sincère des élus locaux (mais pour combien de
temps ? et quid de Grrrnd Zero ?), le Sonic a récupéré toutes ses
autorisations ce qui a permis à la salle de fêter enfin son sixième
anniversaire en organisant le samedi 2 juin une grosse fête/soirée, laquelle
s’est éternisée jusqu’à 4 heures du matin, ce qui a engendré une fatigue
notoire chez le petit
personnel du Sonic – moi je n’y étais pas, je suis beaucoup trop vieux pour
toutes ces conneries. Plus sérieusement on espère malgré tout que les promesses
données seront enfin tenues et que le Sonic pourra continuer à vivre et à
programmer de bons et beaux concerts. On croise les doigts mais rendez-vous est
donc pris pour une réouverture en septembre, après la trêve estivale…
Coproduit par Génération Spontanée au Sonic,
l’affiche du jour réunit les extraordinaires Extra Life et Happy Church. Happy Church c’est quatre filles et
un garçon (déjà aperçu sous le nom de Ludivine Cypher ou avec les Blondette’s).
De gauche à droite on compte une flutiste, une violoniste, une violoncelliste,
un guitariste et une joueuse de synthétiseur – sans compter que tout ce petit
monde chante dans le groupe.
Passé le constat admiratif du niveau de jeu des
violoniste et violoncelliste, je dois avouer que la musique d’Happy Church me
laisse totalement froid. Pire : mon caractère naturel de vieux grincheux
me pousse à honnir une musique aussi positive, gentiment lunée et bienveillante
bien que revendiquant un certain sens du rebrousse-poil. Je pars bouder dans
mon coin car je ne comprends pas grand-chose à un groupe qui ne m’interpelle
pas plus qu’il ne me séduit.
Par contre, s’il y a quelqu’un dans la salle qui
semble avoir réellement apprécié Happy Church, c’est Charlie Looker, le
chanteur/guitariste/synthé d’EXTRA LIFE.
Il ne manquera pas avant de commencer de jouer avec son propre groupe de
réclamer une ovation pour celui de première partie. Il recommencera à nouveau
vers la fin du concert, rebelote les applaudissements sur commande, évoquant
également le souvenir du festival
Africantape et le fait que Lyon a toujours réussi à Extra Life (c’est le
troisième passage du groupe ici, le deuxième au Sonic).
Ce concert d’Extra Life pour l’Africantape, je
l’avais au contraire moyennement apprécié. Sans doute regretterai-je pendant
encore longtemps l’ancien line-up du groupe (vu lors du premier concert au Sonic), avec une vraie section rythmique puisque incluant un bassiste
parti depuis mais aussi avec Caley Monahon-Ward au violon alors que désormais
il joue uniquement de la guitare et de multiples effets et s’occupe de toutes
les textures bruyantes (il est également aux côtés de
l’omniprésent Ben Greenberg l’un des principaux artisans de l’enregistrement de
Dream Seeds, dernier album en date d’Extra
Life).
Oui Extra Life c’est toujours le même groupe,
sensiblement la même musique mais pas tout à fait non plus – car si Charlie
Looker chante et chantera éternellement sur ce mode si particulier, il joue
beaucoup plus de synthétiseur qu’auparavant et se contente d’une guitare
acoustique sur environ un titre sur deux. Cette façon toute différente de
procéder, extraordinairement magnifiée sur Dream Seeds, pour l’instant et sans
contestation possible le plus bel album de cette année 2012, le plus lumineux
et le plus ensorcelant aussi, j’avais peur de ne pas en retrouver toute la
magie en live, comme ce fut malheureusement le cas lors de l’Africantape.
Pourtant, dès les premières notes de No Dreams Tonight, mes doutes se sont envolés
en même temps que Charlie Looker vocalisait, entre chant maniéré très 80’s et
inspiration baroque, et que Caley Monahon-Ward distillait avec finesse ses textures
aériennes. Le batteur Nick Podgurski est lui resté prostré derrière sa
batterie. Mais lorsqu’il est enfin entré en action, il est devenu à la fois
l’un des principaux pôles d’intérêt d’Extra Life en live mais surtout le pivot mécanique
et sensoriel du groupe – tel le géant Atlas soulevant un monde inconnu fait de
monts et merveilles.
Des bons batteurs qui tiennent la route on en
croise souvent mais un batteur comme celui-ci, à la fois doté d’une frappe
colossale mais aussi gracieux qu’un ange illuminé, cela tient de la
bénédiction. Le regarder jouer était un véritable plaisir, ne pas trop le mitrailler en photos était une chose difficile à tenir.
La setlist du concert a logiquement été basée sur
les compositions les plus récentes du groupe c'est-à-dire principalement celles
tirées de Dream Seeds mais aussi du
EP 12’ Ripped Heart. Extra Life a définitivement
tourné une page pour en ouvrir une nouvelle et l’utilisation soutenue des
synthétiseurs – en dehors du fait que ces synthétiseurs permettent également d’assurer
dans les basses des lignes rythmiques plutôt tonitruantes – donne un côté
toujours plus kitsch à la musique d’Extra Life. Sur nombre de titres Charlie
Looker ne fait donc que ça, il enluminure sa musique et lui donne un côté
toujours plus baroque, ce côté que certains détestent cordialement.
Pourtant tout le talent de Charlie Looker et
d’Extra Life c’est précisément de ne pas tomber dans la citation pure et simple
ni d’insuffler un vent douteux de nostalgie (ici il s’agirait de la nostalgie des
80’s). Extra Life, que l’on déteste ou que l’on adule sa musique, est
aujourd’hui le seul groupe qui arrive à proposer quelque chose d’enfin créatif,
une musique qui ne soit pas une redite stricto-sensu ni une posture
revivaliste. Sans affirmer qu’Extra Life joue la musique de demain – ce qui
serait aussi stupide que parfaitement inopportun – on peut par contre affirmer le trio joue une musique d’aujourd’hui : pas besoin d’une ou
plusieurs vies supplémentaires pour y prendre plaisir car après il sera trop
tard.
Juste avant le dernier titre Charlie Looker
prévient : nous allons jouer un morceau très long et ce sera le dernier.
L’intro du magnifique Blinded Beast,
chef-d’œuvre de Dream Seeds, retentit
alors. Un titre exalté, luxuriant, presque labyrinthique et pourtant d’un éclat
aveuglant. Le batteur Nick Podgurski fait à nouveau des merveilles (ce n’est
qu’à ce moment là que je remarque que sa grosse caisse est attachée de chaque
côté à son tabouret pour éliminer tout effet de recul) et Extra Life nous
emmène très loin, vraiment très loin. Ce concert est bien parti lui aussi pour
mériter la palme du plus beau concert de cette année.
[et effectivement il n’y aura pas de rappel]