dimanche 5 juillet 2009

Lewis Karloff, Fat 32 et Secret Chiefs 3 live @Grrrnd Zero























Il est là, c’est le dernier concert de la saison. Tout le monde s’apprête à partir en vacances avec David et Jonathan, le désert des mois de juillet et d’août s’étale désormais à perte de vue (avec deux ou trois oasis tels que le Festival Expérience au Périscope du 23 au 25 juillet ou des concerts dans des squats divers et variés). Le Grrrnd Zero et l’Amicale Saint-Gérard finissent très fort au sprint avec la programmation de Secret Chiefs 3, groupe/hydre mené de main de maître par le fantasque guitariste -ses fans éternels disent génial- Trey Spruance, un bonhomme dont la longueur du curriculum vitae dépasse les limites de ma mémoire et est au moins proportionnelle à la taille de sa barbe grisonnante et broussailleuse. Secret Chiefs a ses fans hard core, ses inconditionnels capables de faire quelques centaines de kilomètres pour voir le groupe sur une scène, chose que personnellement je ne ferai jamais, surtout avec mon vélo agonisant. La poignée de kilomètres qui me séparent du Rail Théâtre où va se dérouler le concert de ce soir représente l’extrême limite que ma curiosité ne me laissera jamais dépasser pour un groupe pour lequel je n’éprouve aucune affection particulière, même si ce groupe a la réputation d’être un ramassis de freaks et de têtes brûlées. Allez Papy, on y va.


















Argument en faveur de la soirée : celle-ci débute par deux groupes locaux fort appréciés. Premières guest stars avec Lewis Karloff, trio guitare/basse/batterie (avec un soupçon de samples) dont il se murmure que ce sera là le dernier concert avant longtemps, le bassiste ayant parait il décidé de s’expatrier au pays de la bonne bière trappiste et de la patate frite. La géographie est parfois l’ennemi de la musique. Le groupe envisage tout de même d’enregistrer ses nouvelles compositions qui devraient sortir sur un split 10’ chez Gaffer records, label dont l’heureux propriétaire est également le guitariste de Lewis Karloff (l’autre groupe prévu pour ce split devrait être les énormes Ahleuchatistas).
Si le trio commence à jouer devant une assistance clairsemée, celle-ci va rapidement gonfler, il y a du monde qui se bouscule à l’entrée de la salle, oui c’est l’été et les gens arrivent encore plus tard que d’habitude aux concerts. Le free jazz rock de Lewis Karloff va ainsi récolter des applaudissements et des cris d’approbations nourris et mérités. Les nouveaux titres paraissant plus complexes, structures plus fouillées avec davantage de travail sur des rythmes où si tu comptes deux par deux tu as tout faux. Le fait que le bassiste ait l’air moins à l’aise que d’habitude et le fait que le batteur n’arrive décidément pas à se débarrasser d’une certaine rigidité empêchant la musique de Lewis Karloff de prendre le train du groove qui tue en marche n’enlèvent par contre rien à la qualité de ce concert. De très bons moments entre jazz et punk, syncope et illumination. J’espère donc revoir Lewis Karloff avant la fin de l’année prochaine.


















Autre groupe dont je ne me lasse pas en concert : Fat 32. Le duo claviers/batterie a quelques problèmes de matériel rapidement réglés (une enceinte qui fait des siennes) et c’est parti pour un set de zouk core, de nitendo punk et de movie metal. La musique de Fat 32 doit beaucoup aux enregistrements les plus grotesques de Naked City, à l’esprit cartoon d’un Tex Avery particulièrement déjanté -quelque chose proche de Mattioli et de son Squeak The Mouse. C’est très bien joué (le batteur est autant artiste que boucher et le claviériste le lui rend bien) mais avec une absence totale de prétention et d’exhibitionnisme rendue possible par un plaisir commun du jeu et de l’échange. Ce que l’on appelle une complicité sans faille.
Passage désormais traditionnel par ce titre qui reprend quelques mesures de chansons célèbres -pour donner une petite idée, la première de la liste n’est autre que l’ignoble A Whiter Shade Of Pale- avant de les passer au marteau-pilon et autres instruments de torture. L’abattage en règle du bon goût populaire sans tomber dans l’élitisme du second degré. Toujours aussi virevoltant et fantasque, Fat 32 ne se contente pas de survoler son sujet qu’il connaît fort bien, le duo fonce dedans tête baissée et explose règles et limites avec bonheur.
J’aimerais un jour voir ces deux garçons devant un public qui ne les connaît pas par coeur, ne frétille pas d’avance à tous leurs moments de bravoure. Les voir dans un contexte différent leur enlevant tout risque de passer pour des bêtes de foire (ce que fort heureusement le duo est jusqu’ici toujours parvenu à éviter) et leur ouvrirait la possibilité d’une interprétation encore plus absolutiste de leur bordel organisé. J’attends aussi un premier enregistrement, sûrement pour très bientôt et toujours sur Gaffer records.


















Avec Lewis Karloff et Fat 32 j’ai déjà plus que gagné ma soirée. Maintenant place à la curiosité. Sur la scène tout le matériel de Secret Chiefs 3 est déjà en place. Une très belle batterie en plastique bleu transparent (mais où ai-je déjà vu une telle batterie ?), des claviers à gauche, une trompette et un violon sur la droite. Un gugusse monte sur la scène et ce monsieur Loyal nous annonce avec force ironie -le petit groupe de merde qui va jouer juste après (sic)- que Secret Chiefs 3 va découper son concert en trois sets de colorations différentes et séparés d’une petite pause de cinq minutes. Soit. La salle se remplit de fans ultimes du groupe et que je sens prêts à tout pour passer le meilleur moment de leur vie.
Trey Spruance débarque avec ses musiciens, à l’exception de lui-même et de son bassiste aux pieds nus tout le monde est en costard-cravatte. Lunettes noires pour tous. Et là, c’est la grosse claque, Secret Chiefs 3 ayant choisi d’ouvrir le bal dans un registre surf and destroy jouissif et ultra dynamique. Le guitariste en chef pète une corde et pendant qu’il répare promptement, le reste de ses musiciens attend sagement au garde-à-vous… pour mieux repartir, sans temps mort, alignant riffs surf et mélodies morriconniennes (avec trompette et tout) avec une énergie punk as fuck. Je commence à m’avouer intérieurement que je me suis peut être trompé sur ce groupe dont je n’aime pas particulièrement les disques, mis à part Xaphan, alors que la première partie du concert s’achève déjà…


















Monsieur Loyal revient faire un tour sur la scène pour y installer une chaise. Lorsque les Secret Chiefs 3 reviennent à leur tour, ils sont tous encapuchonnés. Trey Spruance s’envoie une rasade de boisson énergisante et passe un temps fou à accorder son saz électrique. La deuxième partie sera donc consacrée au côté oriental de la musique du groupe. Trey Spruance joue avec une énorme dextérité de cet instrument au manche d’une finesse inappropriée pour n’importe quels gros doigts et surtout avec des cordes jumelées. Celles-ci sont maintenues par des clefs en bois, c’est dire la fragilité de l’instrument et de son accordage.
Le deuxième guitariste, celui qui avait déjà assuré à la trompette juste avant, prouve qu’il sait également se servir d’un violon et la coloration piquante de la musique n’a rien de désagréable. Comme le groupe prend plus son temps, joue moins hystérique quoique toujours aussi touffu (Trey Spruance est même confortablement assis, évidemment la chaise c’était pour lui), l’amateur a toute l’opportunité de décortiquer ce qui se passe sur scène. Le bassiste qui joue aux doigts et s’éclate tout seul, par exemple. Je réalise alors que derrière cette batterie bleu transparent top kitsch et qu’il me semblait bien reconnaître ce n’est autre que Ches Smith et sa petite gueule d’ange qui joue. Ce même batteur qui accompagnait Jamie Stewart dans Xiu Xiu l’année dernière exactement au même endroit. Un batteur vraiment extraordinaire et capable de jouer n’importe quoi.























Et c’est que là que je décroche. Tout le monde descend. Secret Chiefs 3 n’est pas ce groupe foutraque et follement imaginatif envoyant valdinguer dans le décor toutes ses influences/sources d’inspiration. Secret Chiefs 3 est un groupe de musiciens hyper pro qui sourient connement en s’écoutant jouer (mention spéciale au bassiste, oui, toujours le même) et faire des phrases musicales bien trop belles pour être vraies -vraies : caractère de ce qui ressemble à une vérité quelle qu’elle soit et donnant en matière de musique ce sentiment de bonheur que rien ne saurait expliquer.
Le deuxième set s’éternise et finit par ennuyer. Et lorsque le groupe revient pour la troisième fois sur scène, tout le monde est en bras de chemise. Pas de thématique apparente mais un mélange de l’énergie de la première partie et des bizarreries de la deuxième. Des passages ethniques collés à des passages presque hard core collés à des passages pop collés à des passages bossa-jazz collés à des passages country collés à des passages sixties. Le pire c’est l’impression que cela pourrait continuer encore longtemps comme ça. L’impression que Secret Chiefs 3 pourrait encore jouer pendant deux heures alors qu’il ne se passe plus rien de vraiment palpitant. Je pars avant la fin et sans aucun regret, lassé également par le crétin de service -il y en a toujours au moins un par concert- qui depuis le début ne fait que hurler San Franciso ! Surf !, les seuls deux mots qu’il semble connaître en américain. D’un autre côté, ces mots là, tout le monde les connaît aussi.