jeudi 3 avril 2008

Moha! c'est plus fort que toi


Il a fait beau toute la journée et le soir venu il se met à pleuvoir, exactement ce qu’il faut pour être découragé de se rendre jusqu’au quartier général de Grrrnd Zero, sis au beau milieu de l’un des trous du cul industrieux et sportif de la ville de Lyon : le quartier de Gerland. D’autant plus qu’une fois sur place, l’entrée est fermée et bien fermée, il y a trois rasés et deux barbus qui attendent déjà en se les gelant -la musique ça se mérite bordel, etc. Arrive un des membres du collectif du Grrrnd, une dizaine de coups de téléphone lui seront nécessaires avant que l’un de ses petits camarades -alors en pleine réunion/brainstorming depuis plus de trois heures, ça ne rigole pas chez les activistes- ne daigne répondre et descendre au rez-de-chaussée pour nous ouvrir. Notre Sauveur. C’est la fin des balances et j’entends du gros son qui s’échappe de l’étage, pas longtemps mais largement suffisamment pour vraiment faire envie. Ça discute avant le début du concert, étude comparative de ceux écoulés depuis la dernière quinzaine et supputations diverses et variées sur ceux à venir. Et puis aussi : les concerts à prix libres ont ils un effet incitatif ? Ne vaudrait il pas mieux également proposer la bière à prix libre ? Qui aurait une voiture avec des places de disponibles pour aller jusqu’à Saint Etienne le samedi 12 avril et assister ainsi à la dernière soirée de l’édition 2008 du festival Avatarium (avec Double Nelson, Gerda et Magik Markers) ?… On peut toujours rêver.


















Je suis vraiment curieux d’entendre ce que va donner -1, duo all-stars lyonnais composé de Damien Chewbacca et de Frank Gaffer. Le premier s’installe dans la pénombre (il se plaira à y rester tout le temps du concert, ce qui n’est guère pratique pour le prendre en photo mais je crois qu’il le fait exprès), il se place derrière un micro et endosse une basse. Le second s’assoit derrière sa batterie avec sa guitare à côté de lui ainsi qu’une demi tonne de pédales d’effets avec de très jolies couleurs mais dont je suis incapable de dire ce à quoi elles vont servir. En fait si : faire des boucles et du bruit, triturer et tambouiller.
J’apprendrai par la suite que le préposé au chant et à la basse n’était ni très content de sa voix ni du son de son instrument au début du concert. Cela tombe mal parce qu’il s’agit exactement de ce qui m’a plu d’emblée, un côté martelé et cannibale, vociférant (des onomatopées peut être…) et appuyé. Le son de basse, métallique comme lorsque on récure une vieille casserole en fer blanc avec un couteau émoussé et que ça donne envie de rétracter les orteils jusqu’au fin fond des chaussures, me ravit particulièrement. La prestation du duo est une réelle surprise car elle privilégie une énergie somme toute assez binaire -un ou deux passages bruitistes au milieu, les fameuses pédales multicolores, un soupçon de free quand même juste après- avec un jeu de batterie rapide et choisissant l’efficacité, des boucles de guitares comme Franck sait si bien en faire pour son projet solo Sheik Anorak, une basse jouée aux doigts (cela me fait mal aux miens rien que de regarder) puis avec diverses baguettes. Il y a plein de bonnes idées dans -1, du boulot aussi.


















Tout le matériel de Moha! est déjà tout installé, le premier groupe n’a qu’à enlever le sien pour permettre au public de s’installer plus confortablement et ce qui se remarque tout de suite c’est qu’en matière de technologies et d’appareillages mystérieux les norvégiens battent les français sans aucune pitié : une batterie, un laptop, un synthé, une guitare, des racks en veux tu en voilà, des pads, une baguette magique qui fait des drôles de grésillements (on dirait un de ces trucs luminescents de fêtes foraines que les gosses réclament à leurs parents désespérés et démissionnaires sauf que là il est tout noir et qu’il ne brille pas, c’est nul comme comparaison) ; il y a en a vraiment de partout. Il y a aussi une magnifique hache dans le plus pur style viking (?) et des lampes halogènes braquées vers le public mais éteintes pour l’instant.
Réussir à décrire la musique de Moha! signifierait que l’on arrive à suivre le duo dans ses cavalcades frénétiques : il joue très très vite, très précisément mais avec une décontraction et un ludisme bienvenus. Il y a de la double pédale, pas vraiment des blasts mais pas très loin alors je baisse les yeux, cherchant la grosse caisse -tiens, c’est vrai ça, où est la grosse caisse ? Et bien il n’y en a pas. Le double pédalier agit sur un mini caisson numérique caché derrière la hache, cela explique donc l’aspect très net et très froid des frappes. De même, les toms et les cymbales sont amplifiés, le son de toutes les percussions semble retravaillé par le laptop.



















De son côté le guitariste blondinet (qui fait également partie d’Ultralyd et de Noxagt) utilise plus son clavier que sa guitare mais il arrive à alterner les deux avec une facilité déconcertante. Moha! ça joue vraiment, et en toute simplicité, une musique tarabiscotée et complexe. Au début du set les morceaux interprétés semblent être totalement composés, une mécanique parfaite et qui va aller en se huilant de plus en plus ce qui fait qu’au milieu du concert, on peut penser l’exact opposé : Moha! a l’air d’improviser librement et totalement. Nous sommes en train d’assister à une formidable déflagration. Parfois le batteur allume à fond les lampes halogènes, alors le public s’en reprend plein la gueule pour le même prix.
Quelques rares moments d’accalmies, mon voisin en profite pour terminer un plat surgelé de lasagnes en plastique, un passage atmosphérique pendant lequel Moha! joue dans le noir absolu (mais cela ne va pas durer…) et un rappel, réclamé à corps et à cris. A mon grand étonnement le groupe revient en remettre une (très) bonne couche, ce qui est plutôt rare pour ce genre de groupe. Un concert vraiment magnifique et époustouflant.