mercredi 13 juin 2012

Anne-James Chaton / Décade



Qu’est ce qu’un livre de poésie sonore ? Et d’ailleurs, un livre de poésie sonore est ce que cela existe vraiment ? On pourrait croire que non. Celui-ci, signé Anne-James Chaton, est comme d’habitude accompagné d’un CD. Et si on parcourt amusé ou plus simplement intrigué les quelques 128 pages de Décade, on n’en retient que le plaisir éventuel d’avoir tenu entre ses mains un drôle d’objet. Un objet rempli de mots, de phrases, de paragraphes, avec une typographie et une mise en page savamment pensées. Un livre qui ne peut pas se lire de façon classique mais qui semble dessiner des formes au gré de ses pages. Alors on pioche ici ou là, on pioche mais on n’y comprend rien parce qu’il n’y a peut être rien à comprendre.
Car les mots d’Anne-James Chaton sont impétueux. Ils noircissent les pages de Décade, à profusion. Là où cela ne marche donc pas forcément, c’est qu’à la « lecture » seule de Décade on ne sait trop quoi faire soi-même de ces formes. On n’a pas forcément envie de les lire à voix haute ou de les interpréter mais on comprend malgré tout que toutes ces pages imprimées sont faites pour cela. Si on ne sait pas ce qu’est la poésie sonore et si on ne connait pas déjà le travail d’Anne-James Chaton le mystère de ces pages noircies restera entier... jusqu’à ce que l’on écoute enfin le CD. Alors vous me direz : pourquoi ne pas avoir commencé par là, par écouter, tout simplement ? Je ne sais pas, sans doute la suprématie intimidante (à tort ?) de l’écrit, suprématie héritée d’une tradition éducative en passe de devenir, si ce n’est pas déjà le cas, complètement obsolète à notre époque. Et donc aussi pour vérifier qu’un livre de poésie sonore n’est pas un livre. C’est beaucoup mieux.




Un livre de poésie sonore n’est pas vraiment un livre mais ce n’est pas non plus un livret. C’est à peine un accompagnement parce cela semble idiot de suivre mot à mot sur papier tout ce que raconte un poète sonore sur un enregistrement connexe. On va plutôt de l’un à l’autre. On fait des allers-et-retours. Les deux sont indissociables et l’association des deux donne autre chose, quelque chose qui disons-le laisse peu d’opportunité à l’auditeur/lecteur de remplir les trous : ce n’est pas comme lorsque on écoute un disque seul et que des mots ou des images vous viennent à l’esprit ; ce n’est pas non plus comme lorsqu’on lit un livre et que d’autres images et sensations apparaissent.
Je fais partie de celles et de ceux qui sont très sensibles aux enregistrements d’Anne-James Chaton (oui j’ai menti en prétendant que je ne connaissais pas déjà son travail). Cette façon presque robotique et atone de débiter des mots et des sons à une vitesse à peine croyable et sans discontinuer. Certains jugeraient peut-être cela usant mais mois je trouve les créations d’Anne-James Chaton fascinantes. J’attends toujours avec impatience ses nouveaux disques, ses nouveaux livres. Une musique qui n’en est pas vraiment une et que je peux écouter très longtemps. Ce qui n’est pas le cas de nombreux autres poètes sonores dont le travail certes intéressant reste souvent trop ardu et dont l’écoute peut devenir rapidement fastidieuse, malgré tout l’intérêt porté. Des poètes sonores dont le travail s’apprécie infiniment plus de visu, dans le cadre d’une performance/concert.
Si Anne-James Chaton fait figure d’exception, si ses disques/livres passent le cap du home listening, c’est peut être aussi parce qu’il est rarement tout seul. De plus il a réussi à développer l’idée de poésie sonore vers quelque chose qui tient de plus en plus de la création musicale. Et à ce jour Décade est en effet son disque qui contient le plus de musique(s) – tout en préservant l’importance des mots, qu’ils soient compréhensibles ou non (on entend du français, de l’anglais, du japonais et des fois on ne sait pas ce que l’on entend).
Sur Décade Anne-James Chaton est ainsi accompagné d’Andy Moor (de The Ex) et d’Alva Noto. Les huit plages du disque sont donc également constellées de manipulations sonores à base de guitare et d’ondes digitales. Les mots deviennent des sons, les sons deviennent porteurs de sens et les 45 minutes et quelques de Décade sont chargées en sensations nouvelles. L’avantage est qu’Andy Moor comme Alva Noto prennent un peu de place et donc créent de nouveaux espaces, ces espaces laissés à l’auditeur pour qu’il y mette lui ce qu’il ressent et ce dont il a envie. Quand on rajoute de la musique, même minimale, on crée forcément de nouvelles résonnances.


Décade est officiellement un livre puisqu’il a été publié avec un ISBN – 978-3-9812-7602-2 – et il est édité par Raster-Noton, le label de Carsten Nicolai/Alva Noto.
Anne-James Chaton donne en outre des concerts, lectures, performances (appelez cela comme vous le voulez). Il sera au Sonic de Lyon le samedi 16 juin en compagnie d’Andy Moor (et en première partie il y aura la superbe Hama Yôko). Les deux hommes devraient jouer/interpréter Le Journaliste ainsi que Transfer d'où est tiré le désopilant Princess In A Mercedes Class S280... qu’on se le dise !

mardi 12 juin 2012

Quark / Le Chemin De Concombre



Nom du groupe : Quark ; nom de l’album : Le Chemin De Concombre ; format : CD ; label : nope ; pochette du disque : dessiné par un enfant de trois ans et demi maximum – et je me demande bien lequel des trois gamins pris en photo au dos du livret en train de jouer dans un parc pour enfants est de fait le responsable de ce pauvre gribouillis éjaculatoire.
Autant dire qu’avec Le Chemin De Concombre je m’attendais à un truc du genre musique expérimentale tendance physique quantique appliqué à la musique sérielle – pire encore : un disque de musique improvisée à base de vielle à roue, de manipulations sonores, de mixette en circuit fermé et de percussions sur tubes en pvc. Mais quelle erreur ! QUARK est un vrai groupe, avec des vrais musiciens dedans et qui jouent de la vraie musique pour de vrais gens. Si la voix du chanteur/guitariste rappelle quelque chose c’est aussi et surtout parce que ce garçon était le chanteur de Schoolbusdriver (still alive ?), oui on parle bien du même qui il n’y a pas très longtemps a été pris en flagrant délit de miction sur la voie publique. Mais les comparaisons s’arrêtent là, il n’y a aucun rapport entre la musique d’Urine et celle de Quark. Par contre on peut en trouver plus d’un entre Schoolbusdriver (dîtes les gars, quand est-ce que vous vous reformez ?) et Quark.




Quark est donc un vrai groupe à guitares doté d’une section rythmique qui ne fait pas semblant. Rock, punk, post punk ou noise, Quark l’est assurément. Et de manière brillante encore. Qu’à l’image d’Urine Quark soit un vieux groupe de potes plus que légèrement autarciques et ermites sur les bords (au point de n’avoir donné qu’une demi-douzaine de concerts au cours de quinze années d’existence et encore, la moitié de ces concerts étaient privés, dans le garage de tonton ou le salon de mamie) me rendrait presque malade. Comment cela est-il possible ?
On ne crie absolument pas au groupe de l’année ou même du trimestre ; non, on se réjouit plutôt de découvrir un groupe d’éternels teenagers qui jouent une musique plus que convaincante, parfois extrêmement touchante, bien branlée, avec de saines références (par exemple PiL sur So Much Fun) et qui vous hérisse le poil à de maintes occasions (on a toujours du mal à ce remettre de cette reprise des hostilités sur Real Killers Prefer Knives). Et lorsque Quark passe de façon surprenante en mode pop de luxe pour les deux derniers titres du Chemin De ConcombreWe Should Be Ashamed et surtout Become A Man (Become A Fan) et son banjo – on continue à adhérer de tout notre cœur.

Là encore, le meilleur moyen de se procurer Le Chemin De Concombre c’est de contacter directement l’un des coupables : dylanbendall[arobase]me[point]com

lundi 11 juin 2012

Report : Cheverny, Baton Rouge et Silent Front au Sonic - 06/06/2012





Les concerts de noise – pardon : de « noise rock », sinon les hippies amateurs de bordel bruitiste vont encore me tomber dessus et m’accuser de contre-sens complet – donc les concerts de noise rock se suivent et se ressemblent. La dream team de Bigoût records organisait ce mercredi 6 juin le concert semestriel de Silent Front à Lyon.  Encore Silent Front ? Oui, encore. La dernière fois ne remonte qu’au 30 novembre 2011. La fois d’avant encore au 19 mai 2011 (et c’était au regretté Grrrnd Zero). Etc. Etc.
Je pense que pour ma part c’est la cinquième sixième fois que je voyais le trio londonien sur une scène et encore, ces dernières années j’ai du rater au moins trois ou quatre fois le groupe de Phil Mann et Russel Whitehorn. Bon les gars, je vous aime bien quand-même et vous avez de la chance que votre dernier disque en date, un 10’ split avec Happy Kitchen, soit enfin à la hauteur de vos prestations scéniques enflammées et qu’il m’ait à nouveau donné envie de voir vos petites gueules transpirer en concert sinon je serais gentiment resté à la maison comme un honnête homme qui s’emmerde un peu dans la vraie vie.




Premier groupe de la soirée : Cheverny dont ce n’est que le deuxième concert. Pour mémoire dans Cheverny il y a deux anciens Kiruna (les deux intellos de la bande) et un Carne. La première fois j’avais pu regretter le trop plein de reverb sur le chant, une reverb dégueulasse pour ainsi dire, qui n’avait fait qu’écorcher mes petites oreilles délicates et sensibles (précisons tout de même que le système son du Tostaki était tout sauf performant). Cette fois-ci le sondier du Sonic a au contraire bien fait son boulot, remettant effectivement de la reverb sur la voix mais bien dosée et surtout d’une qualité appréciable – l’adjonction de cet effet vieux comme le monde fait semble-t-il partie de la marque de fabrique de Cheverny, c’est leur côté Young Widows me dira-t-on après.
Young Widows ? Ah oui, pourquoi pas… mais le Young Widows des débuts alors, plutôt celui de l’album Settle Down City parce que Cheverny envoie surtout du très gros grain, notamment grâce à ces lignes de basse bien épaisses et bien  grasses qui me fond trembler le gras-double non sans une certaine délectation. Donc, pour les désireux d’en savoir plus, disons qu’il y a aussi du Unsane chez Cheverny et que le groupe a encore gagné en efficacité et en rudesse. A la prochaine les gars.




Place ensuite à Baton Rouge. Je ne suis absolument pas fanatique des disques de ces quatre jeunes gens (ni de leur ancien groupe, Daïtro, ni de l’autre groupe de l’un des deux guitaristes et du bassiste, 12XU). Par contre, si je n’aime donc pas la musique de Baton Rouge – écoutez-la donc tous seuls comme des grands et faites-vous votre propre opinion par vous-mêmes –, je ne peux que reconnaitre que ce groupe a une certaine classe sur scène. Et en plus ils sont extrêmement photogéniques (beaucoup plus que Cheverny en tous les cas). OK, chacun ses goûts et je passe mon tour.




Tête d’affiche de la soirée, Silent Front n’aura pas déçu mais n’aura non plus créé la surprise. Et on constate avec plaisir que Gareth Thomas – il est également guitariste/chanteur au sein de Mayors Of Miyazaki – est toujours derrière la batterie : le groupe a définitivement trouvé son batteur après en avoir usé quelques-uns. Mais on peut affirmer également qu’un concert de Silent Front c’est toujours pareil, de bonnes déflagrations noise, une pointe d’emo made in D.C. et un groupe visuellement déséquilibré : d’un côté un chanteur/guitariste qui fait tout le spectacle, assure comme une bête mais aussi grimace comme un gros monstre et postillonne comme un patron de PMU (et inversement) ; de l’autre un bassiste pratiquement dos au public et qui regarde constamment le batteur avec un sourire souvent radieux et des yeux chargés d’amour.
Aucune nouveauté donc et sur l’échelle des concerts de Silent Front celui-ci a été légèrement en deçà des deux précédents. Un tout petit début de lassitude ? Oui, sûrement. Il y a finalement de bonnes chances pour que je fasse l’impasse lors du prochain passage du groupe ici (normalement, si tout ce passe comme il faut, ce sera à peu de choses près entre le 25 octobre et le 18 novembre 2012). Mais, malgré ces quelques réserves bien légères et non rédhibitoires, je dois également reconnaitre que lorsqu’on est en manque de concerts avec des groupes à guitares plus ou moins bruyantes, Silent Front reste un excellent remède contre la morosité et la fadeur.

dimanche 10 juin 2012

Comme à la télé : Unsane version octopode





Comme vous le savez peut être Vinny Signorelli, batteur d’Unsane, s’est blessé avant de partir pour la tournée américaine commune entre Unsane et les Melvins. Aussi ce sont les deux batteurs de ces derniers qui se sont relayés pour le remplacer.

Ci-dessous un premier extrait d’un concert d’Unsane enregistré le 23 avril 2012 à Orlando avec Coady Willis puis Dale Crover et enfin avec les deux en même temps.


  


Vous avez aimé ? La suite de ce concert se trouve ici et la fin se trouve .

Rappelons également à toutes fins utiles qu’Unsane est de retour en Europe et en France en ce mois de juin pour toute une nouvelle tournée en compagnie de Big Business : une date lyonnaise est prévue le dimanche 17 juin à l’Epicerie Moderne de Feyzin.

vendredi 8 juin 2012

Horseback / Half Blood





HORSEBACK est une une sorte d’ovni métallisé et arty lancé à la face du petit monde des hipsters et des branleurs pour lesquels les termes de black metal, de doom et de drone sont synonymes de nec plus ultra en matière d’ésotérisme musical à vocation expérimentale. The Invisible Mountain était plus qu’une bonne surprise, presque un choc ; The Gordon Tongue, jouant la carte de la différence avec son prédécesseur, confirmait malgré tout tout le bien que l’on pensait du groupe de Jenks Miller ; seul A Throne Without A King en collaboration avec les affreux Pyramids est apparu comme une impardonnable zone d’ombre entachant un parcours encore limité mais que l’on osait jusque là espérer sans faute de goût.
Alors la seule chose dont on peut être certain au sujet de Horseback/Jenks Miller c’est que le bonhomme a cette volonté de ne pas se répéter à tout prix. Les trois premiers disques de Horseback ne sont réellement liés entre eux que par le nom du groupe imprimé sur la pochette et l’engouement arty-prout qu’ils suscitent toujours. Il en va de même avec Half Blood, nouvel enregistrement d’Horseback publié par Relapse records au début du mois de mai 2012. Un album qui plus que jamais plaira aux métalleux à mèche et à lunettes.
Half Blood se divise distinctement en deux parties. La première, composée de quatre titres, dévoile une inspiration bluesy/americana/roots un rien apprêtée ; la seconde, clairement définie comme telle sous l’appellation d’Hallucigenia, est plus difficile à cerner et plus ambient/expé. Si on aime Half Blood c’est d’abord pour cette première partie et les titres Mithras, Ahriman et Arjuna tous calqués sur à peu près le même modèle c'est-à-dire un riff tournoyant, une rythmique mid-tempo et inamovible, quelques soli de guitare façon tronçonneuse au clair de lune et un chant de troll shooté au sirop expectorant et au suppositoire à la codéine – une démarche minimaliste et répétitive qui n’est pas sans rappeler celle qu’Hallowed Butchery avait tenté avec le titre Hexagram : The God Of Self sur le split Songs Of Self Reliance And Solitude As Performed By The Austrasian Goat And Hallowed Butchery. La musique de Horseback se révèle toutefois beaucoup plus mélancolique que malsaine et le semi instrumental Inheritance (The Changeling) fait souffler un très agréable vent post tempête dans les forêts du grand nord. Que la lumière soit.
La lumière, ce pourrait être les trois parties d’Hallucigenia, longue suite très cinématographique et spectrale qui ne fera vraiment peur qu’aux aficionados du Seigneur Des Anneaux et autres diableries préadolescentes. Sur cette seconde partie Half Blood déçoit un peu, d’autant plus que l’on pressent que Jenks Miller aurait voulu que celle-ci soit la pièce centrale de son nouveau disque. On apprécie le tour de main, on se rappelle nos plus belles années gothiques et/ou nos premiers émois kraut mais on n’est pas plus emballés que ça, comme si on regardait un film de vampires marketé pour jeunes gens beaucoup trop romantiques et dans lequel les créatures de la nuit seraient tout sauf sanguinaires, violentes, sexuelles, sadiques, torturées, ambivalentes et destructrices quoiqu’il arrive. Keine Schönheit Ohne Gefahr murmurait Blixa Bargeld sur l’un des plus beaux titres d’Einsturzende Neubauten : « pas de beauté sans danger », c’est très exactement le gros problème du triptyque  Hallucigenia. Tant pis.

jeudi 7 juin 2012

Report : Extra Life au Sonic - 03/06/2012





Pour commencer, quelques bonnes nouvelles en provenance du Sonic : la salle dont l’existence était clairement menacée suite à des décisions absurdes (concernant notamment l’annulation sans motif très clair de son autorisation de fermeture tardive) a soudainement assisté au réveil bienveillant des élus locaux – normal c’est le printemps et la gauche libérale, ayant déjà remporté l’élection présidentielle et s’apprêtant à faire de même pour les prochaines élections législatives, se sent pousser des ailes, redevient magnanime et se préoccupe à nouveau des modes de diffusion culturelle à la marge. Merci beaucoup.
Résultat, en plus de l’assurance du soutien indéfectible et sincère des élus locaux (mais pour combien de temps ? et quid de Grrrnd Zero ?), le Sonic a récupéré toutes ses autorisations ce qui a permis à la salle de fêter enfin son sixième anniversaire en organisant le samedi 2 juin une grosse fête/soirée, laquelle s’est éternisée jusqu’à 4 heures du matin, ce qui a engendré une fatigue notoire chez le petit personnel du Sonic – moi je n’y étais pas, je suis beaucoup trop vieux pour toutes ces conneries. Plus sérieusement on espère malgré tout que les promesses données seront enfin tenues et que le Sonic pourra continuer à vivre et à programmer de bons et beaux concerts. On croise les doigts mais rendez-vous est donc pris pour une réouverture en septembre, après la trêve estivale…




Coproduit par Génération Spontanée au Sonic, l’affiche du jour réunit les extraordinaires Extra Life et Happy Church. Happy Church c’est quatre filles et un garçon (déjà aperçu sous le nom de Ludivine Cypher ou avec les Blondette’s). De gauche à droite on compte une flutiste, une violoniste, une violoncelliste, un guitariste et une joueuse de synthétiseur – sans compter que tout ce petit monde chante dans le groupe.
Passé le constat admiratif du niveau de jeu des violoniste et violoncelliste, je dois avouer que la musique d’Happy Church me laisse totalement froid. Pire : mon caractère naturel de vieux grincheux me pousse à honnir une musique aussi positive, gentiment lunée et bienveillante bien que revendiquant un certain sens du rebrousse-poil. Je pars bouder dans mon coin car je ne comprends pas grand-chose à un groupe qui ne m’interpelle pas plus qu’il ne me séduit.




Par contre, s’il y a quelqu’un dans la salle qui semble avoir réellement apprécié Happy Church, c’est Charlie Looker, le chanteur/guitariste/synthé d’EXTRA LIFE. Il ne manquera pas avant de commencer de jouer avec son propre groupe de réclamer une ovation pour celui de première partie. Il recommencera à nouveau vers la fin du concert, rebelote les applaudissements sur commande, évoquant également le souvenir du festival Africantape et le fait que Lyon a toujours réussi à Extra Life (c’est le troisième passage du groupe ici, le deuxième au Sonic).
Ce concert d’Extra Life pour l’Africantape, je l’avais au contraire moyennement apprécié. Sans doute regretterai-je pendant encore longtemps l’ancien line-up du groupe (vu lors du premier concert au Sonic), avec une vraie section rythmique puisque incluant un bassiste parti depuis mais aussi avec Caley Monahon-Ward au violon alors que désormais il joue uniquement de la guitare et de multiples effets et s’occupe de toutes les textures bruyantes (il est également aux côtés de l’omniprésent Ben Greenberg l’un des principaux artisans de l’enregistrement de Dream Seeds, dernier album en date d’Extra Life).




Oui Extra Life c’est toujours le même groupe, sensiblement la même musique mais pas tout à fait non plus – car si Charlie Looker chante et chantera éternellement sur ce mode si particulier, il joue beaucoup plus de synthétiseur qu’auparavant et se contente d’une guitare acoustique sur environ un titre sur deux. Cette façon toute différente de procéder, extraordinairement magnifiée sur Dream Seeds, pour l’instant et sans contestation possible le plus bel album de cette année 2012, le plus lumineux et le plus ensorcelant aussi, j’avais peur de ne pas en retrouver toute la magie en live, comme ce fut malheureusement le cas lors de l’Africantape.
Pourtant, dès les premières notes de No Dreams Tonight, mes doutes se sont envolés en même temps que Charlie Looker vocalisait, entre chant maniéré très 80’s et inspiration baroque, et que Caley Monahon-Ward distillait avec finesse ses textures aériennes. Le batteur Nick Podgurski est lui resté prostré derrière sa batterie. Mais lorsqu’il est enfin entré en action, il est devenu à la fois l’un des principaux pôles d’intérêt d’Extra Life en live mais surtout le pivot mécanique et sensoriel du groupe – tel le géant Atlas soulevant un monde inconnu fait de monts et merveilles.
Des bons batteurs qui tiennent la route on en croise souvent mais un batteur comme celui-ci, à la fois doté d’une frappe colossale mais aussi gracieux qu’un ange illuminé, cela tient de la bénédiction. Le regarder jouer était un véritable plaisir, ne pas trop le mitrailler en photos était une chose difficile à tenir.




La setlist du concert a logiquement été basée sur les compositions les plus récentes du groupe c'est-à-dire principalement celles tirées de Dream Seeds mais aussi du EP 12’ Ripped Heart. Extra Life a définitivement tourné une page pour en ouvrir une nouvelle et l’utilisation soutenue des synthétiseurs – en dehors du fait que ces synthétiseurs permettent également d’assurer dans les basses des lignes rythmiques plutôt tonitruantes – donne un côté toujours plus kitsch à la musique d’Extra Life. Sur nombre de titres Charlie Looker ne fait donc que ça, il enluminure sa musique et lui donne un côté toujours plus baroque, ce côté que certains détestent cordialement.
Pourtant tout le talent de Charlie Looker et d’Extra Life c’est précisément de ne pas tomber dans la citation pure et simple ni d’insuffler un vent douteux de nostalgie (ici il s’agirait de la nostalgie des 80’s). Extra Life, que l’on déteste ou que l’on adule sa musique, est aujourd’hui le seul groupe qui arrive à proposer quelque chose d’enfin créatif, une musique qui ne soit pas une redite stricto-sensu ni une posture revivaliste. Sans affirmer qu’Extra Life joue la musique de demain – ce qui serait aussi stupide que parfaitement inopportun – on peut par contre affirmer le trio joue une musique d’aujourd’hui : pas besoin d’une ou plusieurs vies supplémentaires pour y prendre plaisir car après il sera trop tard.




Juste avant le dernier titre Charlie Looker prévient : nous allons jouer un morceau très long et ce sera le dernier. L’intro du magnifique Blinded Beast, chef-d’œuvre de Dream Seeds, retentit alors. Un titre exalté, luxuriant, presque labyrinthique et pourtant d’un éclat aveuglant. Le batteur Nick Podgurski fait à nouveau des merveilles (ce n’est qu’à ce moment là que je remarque que sa grosse caisse est attachée de chaque côté à son tabouret pour éliminer tout effet de recul) et Extra Life nous emmène très loin, vraiment très loin. Ce concert est bien parti lui aussi pour mériter la palme du plus beau concert de cette année.

[et effectivement il n’y aura pas de rappel]