dimanche 31 mars 2013

Filiamotsa / Sentier Des Roches




Sentier Des Roches est le troisième album de FILIAMOTSA, publié moins d’une année après l’album Filiamotsa Soufflant Rhodes et marquant un net passage à la vitesse supérieure de la part de ce groupe originaire de Nancy. On avait donc laissé Filiamotsa à l’état de quintet, désormais c’est avec un trio qu’il va falloir compter. Le line-up change et se resserre (deux violons très électriques, de la batterie, un peu de clavier et quelques voix) mais pourtant la musique ne s’appauvrit pas, bien au contraire, disons plutôt qu’elle se concentre désormais sur quelques fondamentaux mettant davantage de côté les préceptes de fusion progressive à la King Crimson qui faisaient la richesse de Filiamotsa Soufflant Rhodes mais qui avaient également pu en rebuter quelques uns.
Ici on pense parfois à The Ex comme sur le titre Montroyal qui résonne de quelques échos du groupe hollandais lorsqu’il était accompagné de Tom Cora et il y a même G.W. Sok qui chante sur le formidable 4QSO. Pourtant Filiamotsa emprunte des voies toutes personnelles, très imagées pour ne pas dire cinématographiques, des voies au long desquelles une belle énergie se fait sentir et n’est jamais ternie par l’ampoulement trop 70’s de toute démonstration instrumentale. Bien que certaines compositions soient parfois très longues (les tout à la fois mélancoliques puis sauvages et hardis Zittern et Cerveaux De Famille dépassent les huit minutes), Filiamotsa va droit au but sans jamais oublier d’épaissir son propos, entre énergie communicative et profondeur ; seul La Porte De La Fontaine (avec la participation de Chapelier Fou aux claviers) laisse un peu plus sceptique, du fait de trop de pathos, le même qui dominait justement sur Filiamotsa Soufflant Rhodes.
Pour finir, les voix sont davantage à l’honneur sur Sentier Des Roches : aux côtés de G.W. Sok on retrouve avec étonnement le batteur Anthony Laguerre qui par deux fois se lance dans la scansion d’histoires invraisemblables ; s’il n’est pas totalement convaincant sur Cerveaux De Famille parce que la « poésie » du texte parait un brin trop forcée, il est davantage à son affaire sur le nettement plus bruitiste et très bon Chiens Déguisés, s’embarrassant moins des mots qu’il jette en pâture comme s’il ne s’agissait que de sons abstraits. Filiamotsa est finalement un bien meilleur groupe lorsqu’il se contente d’afficher ses intentions et ses ambitions avec un tel mélange de fermeté et de désinvolture.

[s’il y a un seul véritable regret à exprimer à propos de Sentier Des Roches c’est d’y retrouver deux titres – les néanmoins excellents Montroyal et 4QSO – qui précédemment figuraient sur le très bon EP Rosemary Ks' Diaries Volume Trois publié à la fin de l’automne 2012 par les Disques De Plomb… c’est à nouveau Les Disques De Plomb en association avec Whosbrain records et Stylobrique qui publient Chemin Des Roches en vinyle et en CD]




Cette chronique – à l’exception de son dernier paragraphe informatif – vous pouvez également la retrouver dans le #15 de Noise mag, numéro en kiosque depuis quelques jours et (parait-il) avec que des groupes absolument formidables au sommaire. Bonne lecture.

samedi 30 mars 2013

Comme à la télé : Black Flag




Tu as toujours pensé que Black Flag était un groupe uniquement pour les vieux et extrêmement surestimé et qu’en plus Henri Rollins chantait vraiment comme une merde ? Alors fais-toi plaisir.



Ceci dit, tu as parfaitement tort et pour t’en convaincre il te suffit de regarder ce concert enregistré (vraiment à l’arrache) en juin 1982 à Philadelphie :



Un véritable moment d’anthologie, un groupe vraiment méchant et au taquet et un Henri Rollins qui n’hésite pas à faire le coup de poing lorsqu’un type du public monte sur scène pour s’en prendre à Greg Ginn – légendaire, quoi.

vendredi 29 mars 2013

Primitive Man / Scorn




Encore des types sortis de nulle part et dégottés par Throatruiner records pour notre plus grand plaisir : PRIMITIVE MAN c’est le nom du groupe et Scorn c’est le nom de ce premier album. Bon, mes indicateurs m’informent discrètement que Primtive Man est un trio américain et que dedans on trouve des bouts de Clinging To The Trees Of A Forest Fire (CTTTOAFF pour les intimes), un groupe qui ne faisait déjà pas dans la dentelle mais plutôt du côté de grind de la force obscure.
Primitive Man non plus ne s’embarrasse pas de détails et de trop de finesse, les seules choses qui semblent compter aux yeux de ces trois gaillards c’est que leur musique sente vraiment mauvais – voire qu’elle pue la mort, comme un rat crevé et enfoncé dans le trou du cul d’un cadavre abandonné dans une cave depuis quelque semaines –, qu’elle soit la plus lourde possible, la plus grasse possible également (bien sûr !) et qu’elle soit émaillée d’accélérations peu scrupuleuses et un peu approximatives, tendance charges de pachydermes poilus et gavés de speed dans une morne plaine dévastée. Tout un programme qui n’a rien d’original et qui fera illico rebrousser chemin aux amateurs de guitares dentelières, aux pacificateurs de l’harmonie pour tous, aux esthètes du metal gay friendly et j’en passe.
Non, Primitive Man ce n’est pas le truc le plus novateur du moment, ni même le plus bandant mais Scorn vaut largement son pesant de têtes coupées à la tronçonneuse et d’enfants violés avec le canon d’un fusil de chasse. On n’ira pas beaucoup plus loin dans le descriptif d’un metal bien gras, bien épais et bien nauséeux mais on lui refusera toutefois les qualificatifs trop précis de sludge – pas assez de grésillements grassouillets ici – ou ceux tout aussi normatifs de doom – parce que pas assez de lyrisme satanique non plus. Primitive Man choisit une troisième voie, un peu trop proprette question mise en pli et niveau de production, celle d’un hardcore métallisé, simple et lourd. Point barre. Scorn n’est pas un cauchemar ambulant, Scorn n’est pas un appel au meurtre, Scorn n’est pas un chef d’œuvre de neo blackened sludge (j’adore cette étiquette ridicule, sans doute imaginée par un branleur métallurgiste qui a déjà passé beaucoup trop de temps à classer sa discothèque)… Scorn est un bon disque de metal, assez confortablement sauvage et vicieux mais suffisamment barré pour qu’on l’écoute avec plaisir, sans se faire des films ni avoir mal à la tête. Et c’est bien là le principal.

[Scorn est publié en LP de ce côté-ci de l’Atlantique par le français Throatruiner records et le britannique Mordgrimm records]

jeudi 28 mars 2013

Report : Hatchet Kaput, Torticoli, Io Monade Stanca, Clot et Uzeda à Grrrnd Zero - 22/03/2013





Grosse soirée à Grrrnd Zero avec pas moins de quatre noms de (vrais) groupes sur l’affiche : les héros locaux de Torticoli, les clowns de Io Monade Stanca, les terroristes de Clot et surtout les vétérans et légendes vivantes d’Uzeda. Mais peut-être parce qu’il a le sentiment d’avoir eu les yeux plus gros que le ventre et les épaules pas assez larges pour supporter autant de responsabilités, le jeune Bambino Versailles, programmateur et producteur multitâches de la soirée, s’est acoquiné avec un homologue parisien, Viktor Crashtaz, gérant de Won 28 Entertainment, grand spécialiste des causes perdues et des concerts bouillabaisse.
... Et puis, comme si cela ne suffisait toujours pas avec les conneries, Antoine Bambino et Viktor Crashtaz ont également décidé de monter un groupe rien qu’à eux pour l’occasion, de se payer le luxe de jouer en première partie d’Uzeda, pour flamber au moins pendant les vingt prochaines années à venir et pour pouvoir dire à leur potes et à leurs enfants ouais on l’a fait et il y a même des gens qui ont assisté à ce concert légendairement merdique.




La légende est en marche et HATCHET KAPUT s’apprête à assurer la première apparition publique de sa courte existence. Les flyers et les affiches ont eu beau insister sur le fait que le concert devait démarrer à 20 heures pétantes, il n’y a pas grand monde lorsque Hatchet Kaput commence enfin à jouer devant un ramassis composite de curieux et membres honoraires de Grrrnd Zero, de musiciens (expérimentés) des autres groupes de la soirée et de rares crétins qui respectent toujours les horaires, à croire qu’ils s’emmerdent vraiment chez eux ou qu’ils n’ont rien de mieux à faire dans la vie.
Autant dire que les dix-sept minutes du concert d’Hatchet Kaput furent une terrible souffrance pour les oreilles mais également un plaisant moment de rigolade – à condition de connaitre un peu les deux olibrius en question – et il faut reconnaitre qu’après avoir répété trois fois seulement en quatre jours ces deux là ne pouvaient pas non plus mentir plus que ça sur leurs capacités d’instrumentistes. Cela ne devait pas non plus être facile de jouer sous l’œil d’Agostino Tilotta d’Uzeda, génie de la guitare s’il en est. Il fallait juste avoir les couilles de le faire et ils l’ont fait.




Place maintenant à de la vraie musique avec des vrais groupes. Les trois TORTICOLI n’ont pas joué ensemble depuis quelques temps et se retrouvent donc pour ce concert. L’absence, ça (re)donne des envies, ça fait aussi naitre des idées nouvelles et ça boosterait n’importe quel musicien qui passe son temps à jouer uniquement pour le plaisir et la beauté du geste tout en sachant qu’il devra se démerder autrement pour bouffer le lendemain.
Ils sont donc en forme les Torticoli, les deux guitaristes s’aiguillonnent l’un l’autre, le batteur gère la confrontation et on remarque au passage quelques nouveautés dans la setlist du groupe. Un bon concert pendant lequel le trio apparait particulièrement soudé, carré et direct, pas de chis-chis ni de fanfreluches, de l’électricité et de l’incandescence avec une classe certaine et assurée.
Ajoutons que le prochain disque de Torticoli devrait enfin voir le jour dans les quelques semaines à venir : il s’agit d’un split en compagnie des affreux Chevignon, à paraitre sur le label des win-win lyonnais Bigoût records.




Après la tornade free noise/blues déviant de Torticoli, les IO MONADE STANCA arrivent largement à s’en sortir à force de pitreries incessantes. Adeptes de la grande école Muppets Show/Fraggle Rock/Monty Python et consorts, les trois italiens déchainés et loufoques enfilent les perles, les blagues, les vrais-faux quiproquos, les gags récurrents…
… On en oublierait presque la musique du groupe à force de rire aux éclats devant les grimaces du batteur Matteo Romano et surtout du guitariste Nicolas Joseph Roncea mais ce serait dommage de s’arrêter à ce seul aspect du trio : les groupes de clowns avérés sont souvent extrêmement pénibles à supporter sur la longueur d’un concert et deviennent finalement ennuyeux mais, tout au contraire, Io Monade Stanca se révèle être à la fois un groupe de guignols et un vrai groupe de musiciens et, plus que tout, Io Monade Stanca est un groupe dont les absurdités et autres facéties ne lui font pas oublier qu’il est sur une scène pour jouer de la musique.
Le trio en a donc profité pour présenter les titres de son prochain album – ma légendaire timidité m’a empêché après le concert d’aller demander à ces trois garçons quand et sur quel label devait sortir ce troisième album – et on peut estimer que les choses s’annoncent pas mal du tout pour ce nouveau disque, en tous les cas elles s’annoncent tout aussi convaincantes, folles à lier et encore plus barrées et pataphysiquement vôtre que sur The Impossible Story Of Bubu, le deuxième album de Io Monade Stanca (2009, déjà).




Quelques semaines auparavant, Pavel aka Klaus Legal et aka une moitié de Judas Donneger m’avait rafraichi la mémoire au sujet de CLOT, groupe dans lequel il joue également : « oublie complètement les cassettes que je t’ai refilées il y a quelques années, Clot ça n’a plus rien à voir avec ça ». OK, j’ai quand même réécouté les cassettes en question parce que je suis un peu du genre procédurier et psychorigide mais, évidemment, ça n’a servi à rien.
Clot, désormais, c’est l’association d’un batteur qui tape dans tous les sens ou presque et qui donnerait la nausée à Rashid Ali comme à Charlie Ondras et de monsieur Legal, installé devant une table à bidouilles supportant pédales d’effets, table de mixage et quelques autres trucs (un micro qui se retrouvera vite autour du cou de l’intéressé). Et on assiste à une grosse déferlante harsh mêlant stridences compulsives, sons éclatés, rythmes concassée, hurlements de garçon perdu dans le noir et viande avachie découpée au couteau électrique – une sorte de musique industrielle et bruitiste joué avec l’esprit de la no-wave, un vrai délice de cauchemar.




Il y a quelques années et j’imagine que c’est encore le cas, dès que l’on évoquait le nom d’UZEDA, les réactions étaient toujours les mêmes, souvent méprisantes : Uzeda n’était qu’un groupe de suiveurs, ayant pompé une bonne partie – voire la totalité – de sa musique sur Shellac et sur Steve Albini… il est indéniable qu’il y a de nombreux points communs entre les deux groupes mais, une fois de plus, il va falloir rétablir quelques vérités essentielles.
Albini était, est toujours, le plus grand fan d’Uzeda et sans doute considère-t-il que lui-même et la musique de Shellac doivent énormément aux italiens. Le grand escogriffe de Chicago a même fait le déplacement jusqu’en Sicile en avril 2006 pour assurer personnellement l’enregistrement de Stella, dernier album d’Uzeda à ce jour ; il avait fait de même pour ses prédécesseurs directs, le LP Different Section Wires, enregistré aux Black Box studios de Iain Burgess et Peter Deimel en novembre 1997 ainsi que pour le génial mini album 4, en 1995. Rappelons également que Shellac a enregistré le titre Agostino en hommage au guitariste d’Uzeda et qu’à chaque fois qu’on lui pose (encore) la question de son groupe favori, le binoclard répond qu’Uzeda reste le meilleur groupe du monde.




Le meilleur groupe du monde cela ne veut pas dire grand-chose, sauf dans la ferveur d’un concert, ce moment fulgurant qui vous transperce de part en part et vous donne des certitudes pour au moins toute une éternité. Le concert qu’à donné UZEDA ce soir là était de cette trempe et plus encore. Une leçon de noise-rock vous diraient certains, une leçon de musique tout court rajouteraient les autres ; un moment de vie avec tout ce que ce terme de « vie » peut à la fois comporter de magie et d’évidence.
Pour un soir et surement à chaque fois que l’on repensera à ce vendredi 22 mars 2013, Uzeda a donc bien été le meilleur groupe du monde, celui que l’on a toujours voulu voir et écouter en concert. De la musique jouée par des papys et des mamies (pour une fois les musiciens sur scène étaient plus vieux que moi), une musique forte, violente, crue mais tellement belle, symbiotique, parlant à l’intelligence du cœur, vous transperçant le corps en entier, vous mordant de l’intérieur et vous triturant la tripaille en une succession d’explosions de chaleur et de liberté.
Rendons hommage à la paire rythmique, Raffaele Gulisano à la basse et Davide Oliveri à la batterie, une rythmique qui instaure ce groove noise-rock sec et tendu ; rendons hommage au guitariste Agostino Tilotta, complètement possédé et s’embrasant à chaque instant, sortant des plans insensés mais si expressifs de son instrument, magique lui aussi ; enfin, rendons hommage à Giovanna Cacciola, la voix et la flamme d’Uzeda, une voix et une présence qui vous transforment tout comme elles se métamorphosent elles-mêmes, éclats ahurissants d’une beauté fugitive, généreuse et libératrice.

[les photos du concert c'est par ici]

mercredi 27 mars 2013

The Men / New Moon




On ne va pas éternellement casser du sucre sur le dos de THE MEN, ce gentil groupe de punk-rockers bien lisses qui ont en plus l’audace de publier leurs disques sur Sacred Bones, le label hype (de Brooklyn) par excellence. Non, on va même dire du bien de ce New Moon, quatrième album du groupe en quatre ans, alors que de nouveaux imprécateurs – secte dont le chroniqueur de 666rpm a déjà fait partie dans le passé – s’apprêtent, j’en suis sûr, à jeter l’opprobre sur New Moon bien qu’ils aient précédemment adulé Leave Home et Open Your Heart. Ici, on va faire très exactement le contraire : on a été déçus par Leave Home puis on a vraiment détesté Open Your Heart ; mais on clame haut et fort que ce New Moon est un bien meilleur disque, un bon album même, à l’exact opposé c’est vrai du petit chef d’œuvre Immaculada et si on avait l’esprit suffisamment mal tourné et surtout l’esprit de contradiction à outrances, on en rajouterait volontiers une couche supplémentaire avec une jubilation non feinte. Mais ce n’est vraiment pas le genre de la maison, non.
Gardons donc la tête froide pour parler de New Moon. Pour enregistrer ce disque le groupe a quitté son centre-ville chéri et gagné la verdure de la campagne. Il fallait donc s’y attendre, énormément d’autres groupes l’ont fait avant The Men, les new-yorkais en ont évidemment profité pour inclure de la musique de bouseux dans leur punk de garçons coiffeurs, appelons ça le syndrome Creedance Clearwater Revival. Oui il y a des relents fortement country ici, à commencer par le titre d’ouverture Open The Door dont les paroles parlent confusément de « countryside » et dont la musique évoque littéralement les Byrds en pleine période ma chérie d’amour fait du rodéo. L’ombre d’un certain chanteur canadien rode également sur New Moon, un chanteur que l’on déteste pourtant tout particulièrement ici (y compris et surtout lorsqu’il annone de sa voix de fausset que le rock’n’roll ne mourra jamais) or, justement, le chant (partagé) chez The Men est à la fois maladroit et patatesque mais jamais irritant : les bleuettes néo-campagnardes de The Men gardent ainsi une certaine fraicheur, surtout lorsqu’elles se payent le luxe d’une accélération finale un peu plus punk (I Saw Her Face)
The Men ne renoncent pourtant pas à toute véhémence : en ouverture de face B The Brass est un titre stoogien en diable (même le solo de guitare y est supportable) puis le single Electric en rajoute une couche question accélération du rythme cardiaque alors que I See No One fait lui penser à du Gun Club. Cette seconde face est nettement plus urbaine que la première, on oublie un peu la campagne, même si cette deuxième face comporte la plus belle chanson country/folk du disque, un Bird Song rehaussé au piano électrique et que l’on croirait avoir été composé par Bob Dylan à la fin des années 60.
Sur New Moon The Men laissent donc définitivement tomber les vapeurs shoegaze et les extravagances noisy, sans doute enfin conscients qu’il ne leur servait à rien de courir derrière la réussite alchimique d’Immaculada, leur meilleur album à ce jour. Au contraire, en s’exilant temporairement à la campagne et en prenant le taureau par les cornes, The Men ont fait ce qu’il fallait, c'est-à-dire muter et changer partiellement de peau pour enregistrer un album mâtiné de country folk un peu lo-fi sur les bords tout en gardant le côté punk rawk 70’s : en toute fin de disque, le très réverbéré Supermoon dont le but ultime est sûrement d’être l’une des pièces maitresse de New Moon, a lui aussi piqué son riff principal au vieux groupe zombifié d’Iggy Pop.

[New Moon  est publié en CD et en vinyle par Sacred Bones records]

mardi 26 mars 2013

Nod Off / EP1




A l’origine Nod Off est le projet solo de Fred, ex-guitariste des Bananas At The Audience, un garçon croisé il y a déjà plus d’une paire d’années avec une première démo et beaucoup plus récemment comme mercenaire/requin de studio pour Seb Radix/Seb And Rhââ Dicks.
Désormais NOD OFF est un vrai groupe et même un duo puisque Fred est accompagné de Gaëlle : lui joue de la guitare, de la basse, de la batterie et surement de quelques autres trucs encore et puis il chante ; elle s’occupe de presque tout le reste c'est-à-dire qu’elle chante aussi. On avait déjà pu entendre et goûter son chant sur un seul titre de la démo, bien trop court... l’idée d’une collaboration plus poussée et surtout l’idée d’inclure le chant comme élément central de la musique de Nod Off (car il n’y en avait presque pas sur la démo en question), qui plus est un chant mixte féminin/masculin se répondant et se complétant parfaitement, sont deux idées excellentes. Il fallait juste qu’elles fassent leur chemin.
Fini donc le temps des compositions instrumentales et place à des chansons acoustiques – la basse est acoustique, la guitare très peu électrifiée, il y a du violoncelle en mode grinçant, etc. – mais des chansons qui pourtant tirent la tension (l’attention) constamment vers le haut. La musique de Nod Off est à la fois crue, rustique, enregistrée de façon artisanale, à la maison et avec les moyens du bord mais ces moyens là sont utilisés avec toute l’imagination et le talent nécessaires pour que cela sonne vraiment et que l’on ait envie de rester.
Un vrai travail de composition qui n’aurait donc pas autant d’impact s’il n’y avait pas ce chant parfois faussement trainant/lascif, parfois énervé et profond, un chant curieusement déformé par des micros fatigués ou par l’acoustique de la salle de bains mais toujours convainquant car expressif, se foutant des gimmicks qui accrochent mais accrochant quand même. Le chant féminin de Gaëlle apporte vraiment un plus et tire bien souvent toute la couverture à lui tandis que sur l’enfumé Song#7 c’est pourtant le mâle qui domine, on croirait entendre rien de moins que Todd A en invité de luxe : il est ainsi heureux que monsieur Fred ait décidé de sauter le pas et de donner de la voix puisqu’il chante vraiment bien, lui aussi. Un EP qui tourne en boucle à la maison.

Cet EP#1 dont la jolie pochette est ornée de vraies traces de gras de doigts sales est publié sous la forme d’un 7’ par Rock'n'roll Masturbation et My Silly Dog records, label maison, là aussi.

lundi 25 mars 2013

Morse - Meat Mist / split


On a déjà évoqué Morse à propos du récent concert que le trio a donné en compagnie de Judas Donneger dans la cave de Buffet Froid mais cette fois-ci on va tenter d’approfondir un peu les choses au sujet d'une cassette partagée avec les américains de Meatmist et publiée par Pain Frites, le propre label de ces jeunes gens.




Oui, cela aurait été dommage de ne pas insister au sujet de MORSE car cet enregistrement des lyonnais a une classe certaine : Chrystie (Radio Signal) débaroule en premier, post punk en diable avec sa guitare aiguisée, son synthé aigrelet et son chant féminin/masculin alterné, un titre soigneusement mélodique et donc accrocheur, un côté épileptique mais racé et de quoi être immédiatement séduit.
Si ce premier titre est déjà excellent, les deux suivants sont encore meilleurs, du vrai tube de chez tube avec un Conquistador déhanché et surtout un Muted qui mériterait de tourner en boucle lors de ta prochaine soirée 80’s – ici le rythme est plus lent que pour Chrystie mais Morse en profite pour ouvrir discrètement la porte de l’insidieux ; la ligne de chant bégaie et reste dans la tête, les nappes de synthétiseur font des ronds dans le noir et mélodiquement c’est absolument imparable (avec en prime un final sur lequel la guitare monte en flèche).
Malheureusement Morse est un groupe qui galère comme tant d’autres pour publier ses enregistrements : le trio ne propose ici que quatre titres et, qui plus est, sur le support cheap entre tous, cette bonne vieille cassette. C’est mieux que rien, vous me direz.




De l’autre côté on découvre MEAT MIST. Et quand on parle de découverte c’en est assurément une : qui sont ces types ? Musicalement on est à des années lumières de Morse et c’est tant mieux, non pas que l’on n’aurait pas repris une petite louche de post punk/garage noise de plus mais le contraste c’est très bien aussi.
Donc Meat Mist joue du hardcore (?) bordélique, sale et bruyant, lorgnant aussi bien du côté du punk vicieux que du gras qui grésille. Il y a beaucoup de choses dans la musique de ce groupe absolument furieux et bien méchant comme il faut. Comment l’idée de faire un split entre ces américains originaires de Kansas City et Morse est-elle née ? On n’en sait rien mais voilà un petit miracle comme on les aime. Pour en finir au sujet de Meat Mist sachez que le groupe a mis en ligne une bonne demi-tonne d’enregistrements, régalade !

Et maintenant, une page de publicité, exclusivement à l’attention des lyonnais :




Premièrement Morse sera en concert au Sonic le jeudi 28 mars en première partie de Divorce, c’est un concert S’Etant Chaussée et c’est absolument inratable.




Deuxièmement, Pain Frites sort sous peu une nouvelle cassette/compilation Tu Veux Mon Kebab ? avec dedans une tripotée de groupes divers et variés (Tonnerre Mécanique !) dont certains sont également à l’affiche d’un concert organisé en guise de release party : donc The Dreams, Karcavul, Bonne Humeur Provisoire et Tucano joueront le 4 avril à Grrrnd Zero pour fêter ça. Inratable également.

dimanche 24 mars 2013

Comme à la radio : Sonic Youth à la BBC




Dans notre grande série SONIC YOUTH c’était mieux avant voici un enregistrement live des new-yorkais à la Brixton Academy et datant de 1992, un enregistrement diffusé par John Peel dans son émission pour Radio One/BBC.




La playlist est un mélange déséquilibré de titres de l’époque (Dirty Boots, Kool Thing ainsi que de larges extraits de l’album Dirty qui était alors le dernier album en date du groupe) et de vieux titres tels que l’inusable Schizophrenia ou Tom Violence. Ça dure une cinquantaine de minutes, le son est un peu métallique – sûrement enregistré sur une chaine hi-fi lors de la diffusion de l’émission de John Peel – et les plus vieux regretteront l’absence de vrais moments de bravoure (pas de Brother James, de Death Valley 69, d’Expressway To Your Skull, de Teenage Riot ou de Silver Rocket).

Pour certains 1992 marque le début de la fin de Sonic Youth – avec tout ce binz marketing n’ayant rien à voir avec la musique, notamment toutes les photos promotionnelles formatées pour OK Podium/Les Inrockuptibles – alors que pour les autres c’était seulement le début, la découverte bienheureuse du bruit dans une musique plus grand public. Chacun son truc.

samedi 23 mars 2013

Godflesh / Hymns




Hymns est le dernier album studio officiel de GODFLESH, initialement publié en 2001 par Music For Nations, quelques mois à peine avant que GC Green ne quitte le groupe – ce qui finira, au printemps 2002, par entrainer la dissolution définitive de celui-ci par un Justin Broadrick complètement déprimé et incapable d’assurer physiquement et psychologiquement une tournée américaine qui s’annonçait pourtant plus que prometteuse.
Aujourd’hui réédité en grandes pompes (en format digipak, avec un petit remastering et surtout avec un second CD comprenant sept bonus), Hymns est aussi un disque mal-aimé : beaucoup trop long et beaucoup trop produit ont affirmé les fans à l’époque et il est vrai qu’à la réécoute Hymns souffre toujours de ces défauts-là. Il y a pourtant de bonnes compositions mais – et c’est un comble pour un groupe dont le nom avait depuis toujours été synonyme de puissance et d’ampleur – les titres ont trop souvent cette tendance à s’essouffler, ne tiennent pas toutes leurs promesses, certains riffs sentent le réchauffé, la basse est définitivement sous-mixée, le son de la guitare lorgne trop du côté d’un Prong neurasthénique…
… Pourtant Hymns est intéressant et ce pour plus d’une raison. Premièrement, le duo de base est ici devenu trio et Godflesh comprend donc dans ses rangs le batteur Ted Parsons (Swans, Prong...) ; l’association avec un batteur de chair et de sang aurait pu être une expérience réellement positive – elle l’était lors des concerts, notamment grâce à l’interactivité/échanges entre batteur et machines – si, encore une fois, la production trop lisse d’Hymns n’avait pas aussi peu mis en valeur la frappe pourtant spectaculaire de Parsons.
Deuxièmement, Hymns est un disque varié à l’extrême, piochant dans beaucoup d’époques et d’aspects différents de la musique de Godflesh (à l’exception de la période Selfless), en témoignent Tyrant ou Antihuman qui n’auraient pas dépareillé sur Songs Of Love And Hate ou Defeated qui donne l’illusion de retrouver quelque accents à la Streetcleaner. Mais le plus important est que sur Hymns on découvre également quelques pistes que Justin Broadrick approfondira plus tard avec son nouveau projet, Jesu : Jesu est précisément le dernier titre d’Hymns et après celui-ci et une minute ou deux de silence apparait un ghost track qui est en quelque sorte le maitre-étalon du metal shoegaze pleurnichard de Jesu. On aime ou on n’aime pas mais, avec le recul des années, c’est encore plus flagrant.
Hymns reste donc un album testamentaire imparfait et finalement frustrant de Godflesh ; l’intérêt de cette réédition 2013 vient du deuxième disque qui propose sept titres issus des démos d’Hymns : on découvre alors ce que ce dernier enregistrement aurait pu être, tout simplement parce que ces sept inédits enfoncent tout – le son, bien qu’imparfait, a nettement plus de carnation et de profondeur que celui des sessions officielles de l’album et ces versions exaltent enfin un parfum de lourdeur et de noirceur.
Il n’empêche que l’on peut légitimement se demander quels impératifs président depuis deux ou trois ans aux rééditions successives de tous les albums de Godflesh : Hymns est seulement le deuxième disque du groupe a être réédité avec des bonus conséquents alors que la plupart des autres disques de Godflesh sont plus simplement combinés entre eux – par exemple le combo Pure/Slavestate/Cold World – et alors que le 15 mars dernier une réédition combinée du premier album éponyme, de Selfless et de Us And Them a vu le jour … or s’il y a bien des albums de Godflesh qui auraient mérité un traitement de faveur et être réédités en version deluxe/je sais pas quoi/avec plein de bonus, démos ou titres live ce sont bien Pure, Selfless et Us And Them

vendredi 22 mars 2013

Agathe Max / Dangerous Days




En 2009 AGATHE MAX avait réalisé un petit exploit en publiant son premier véritable album, le très beau This Silver String, sur le très prestigieux et sobrement arty label Table Of The Elements. This Silver String reste un disque qui propose une vision radicale, fulgurante et d’apparence instinctive de la pratique instrumentale du violon solo, pour faire simple il s’agissait de la transcription studio de l’épidermisme ardent défendu par Agathe Max lors de ses concerts toujours très impressionnants : empilements de boucles, reverb, delay, saturation, grésillements… l’émotion submergeait l’auditeur, raz de marée intrusif, déflagrations d’adrénaline et, en même temps, l’impression de se sentir capturé puis émerveillé par une telle force voire une telle violence et une puissance d’évocation génératrices de tant de beauté.
La beauté est toujours et plus que jamais au cœur de la musique d’Agathe Max qui pour son deuxième album intitulé Dangerous Days a choisi d’employer d’autres moyens et donc d’explorer d’autres voies. Déjà l’instrumentation change puisqu’au violon alto s’ajoute désormais de l’orgue, de la batterie/percussions sur deux titres et un piano qui désormais sert également de fil conducteur à une musique d’apparence adoucie, plus que jamais axée sur des mélodies envoutantes et dont toutes traces sismiques ont presque été éliminées – quelques exceptions comme sur l’introductif The Bird ou, de façon plus détournée, les contrepoints du violon opposé aux parties de piano sur Sonatine Satinée (au passage un hommage réussi à la musique d’Erik Satie). Rappelons qu’Agathe Max est une violoniste chevronnée, qu’elle a eu une éducation classique de la musique avec plus de dix années d’apprentissage et Dangerous Days apparait comme l’acceptation de cet apprentissage confronté au désir de liberté d’une musicienne qui a une époque a tout fait ou presque pour découvrir d’autres pratiques et d’autres horizons.
Plutôt que de nous imposer une vision musicale trop centrée, Dangerous Days est donc un album qui nous prend par la main, pas forcément en douceur et en tous les cas sans complaisance ni facilité ou démagogie, un disque qui préfère nous accompagner posément, qui prend son temps et dont les effets moins immédiats – et encore ! – sont par contre magiquement durables. Tundra et son délicat travail de boucles enchevêtrées comme Desert Metamorphosis, composition centrale du disque avec ses dix minutes de sensualité glacée tout en clair-obscurs captivants, sont les deux pièces maitresses de Dangerous Days : on y retrouve toute la vision renouvelée d’Agathe Max, son regard « musical » exigent et, finalement, généreux et ensorcelant. Un disque aussi lumineux que bienfaisant.

[Dangerous Days est publié en vinyle et en CD par Inglorious records, un tout nouveau label basé à Lyon mais également un studio d’enregistrement dont lequel toute la magie de ce disque a précisément été capturée]

jeudi 21 mars 2013

Art Of Burning Water / This Disgrace




This Disgrace est déjà le quatrième album de ART OF BURNING WATER est il serait donc bien temps que l’on s’occupe enfin ici du cas de ce trio londonien dont les tout premiers signes d’activité remontent au début des années 2000 (un split avec American Heritage en 2003). Art Of Burning Water possède exactement tous les ingrédients et arguments qu’il faut pour convaincre les ronchons blasés et fatigués des poussées métallurgistes/hardcore-noise issues de groupes tels que Deadguy et, plus particulièrement, This Disgrace est un monument de violence et d’obscurité. Sans doute le meilleur enregistrement à ce jour d’Art Of Burning Water qui pour ce faire a subtilement – « subtilement », si si, j’insiste – mis les petits plats dans les grands.
L’écoute du disque révèle immédiatement un son énorme, dantesque, terrifiant (tout ce que l’on voudra du moment que cela traduit l’idée de chaos tellurique et d’oppression pachydermique) mais, et c’est vraiment très important, ce son méga surpuissant de la mort qui tue tout le monde ou presque ne tombe pas pour autant dans les travers testostéronés de la plupart des productions/enregistrements estampillés Kurt Ballou et consort. Vous allez finir par croire que je lui en veux personnellement à Kurt mais non, je ne lui en veux pas particulièrement, si ce n’est que son travail de producteur a enfermé trop de bons groupes dans un cadre trop précis, trop formaté, trop lisse, trop prévisible et, finalement, trop acceptable. Des oreilles propres au service d’une musique prétendument sale.
Ça tombe bien, This Disgrace a été enregistré par un certain Wayne Pennel et avec ce disque Art Of Burning Water trouve le bon équilibre entre d’un côté efficacité et puissance et de l’autre crasse et noirceur. Et si le hardcore noise du trio a le bon goût de ne pas s’embarrasser de la production high-tech qui le fait bien, le groupe n’en rajoute pas non plus des kilotonnes du côté de la boue grésillante et de la marmite aux sorcières qui font peur ; autrement dit avec This Disgrace on n’entend ni un énième artefact ripoliné de violence en tubes ni un ersatz pure evil de pacotille maléfique mais finalement inoffensive. The Art Of Burning Water réunit pourtant toute les conditions pour faire (le) mal mais voilà bien un groupe dont les épanchements alambiqués, torturés et bruyants sauce hardcore lourd et vicieux imposent ce sentiment de respect attentionné et motivé par un mélange crédible de passion dévorante et de simple honnêteté.
Et en parlant de dévorer, on ne saurait trop insister sur ces riffs complètement dingues et ces rythmiques assassines qui émaillent This Disgrace, un niveau de composition tout simplement carnivore de la part d’Art Of Burning Water qui s’est donc littéralement surpassé sur ce coup là, aussi bien dans son élément lorsqu’il s’agit de tout terrasser dans la lenteur que lorsqu’il s’agit de tout incendier et de tout exploser, radicalement (sans oublier aussi l’utilisation de nombreux samples et des interludes indus/bruitistes du meilleur effet). On vous aura prévenus.

[This Disgrace est publié en vinyle uniquement par Riot Season, SuperFi records et Swarm Of Nails]

mercredi 20 mars 2013

Report : Grand Plateau, Pord et Poutre à la Triperie (15/03/2013)




Le grand dilemme lyonnais de cette fin d’hiver : alors que Gaffer records organise à Grrrnd Zero le troisième concert en un an des norvégiens de Staer (de retour à Lyon pour fêter la parution de leur deuxième album), Active Disorder préfère jouer la carte de la tradition à la Triperie avec une triple affiche de groupes à guitares et plus ou moins raffinés ; Grand Plateau, Pord et Poutre sont au programme et n’ayant jamais vu en concert ni les premiers ni les troisièmes, c’est vers la Croix-Rousse que je me dirige, le cœur rempli d’une frénésie presque juvénile (oui, des fois, ça me rassure).
Tant pis donc pour la Norvège et tant pis pour Black Packers et pour Neige Morte – en formation duo, guitare et batterie uniquement – qui accompagnaient Staer à Grrrnd… Les absents ont parait-il toujours tort mais j’aurais également eu tort de rater la triplette infernale qui ce soir là a entrepris de secouer la Triperie bien comme il faut.




Les GRAND PLATEAU sont en quelque sorte les régionaux de l’étape – même si le chanteur/guitariste du groupe est une banale importation nîmoise – et ils ont enregistré un premier EP prometteur, Casual Act. Après plusieurs occasions ratées de découvrir le trio en concert, cette fois est enfin la bonne.
Grand Plateau se démarque de la meute par plusieurs aspects non négligeables : d’abord une recherche mélodique poussée (dans le même genre d’optique je ne vois ici-bas que Stereozor que l’on pourrait rapprocher un peu de la démarche des lyonnais) ; ensuite un rythme général assez lent, les Grand Plateau ne sont pas les rois du perpétuel sprint tout à donf, ils savent et aiment prendre leur temps pour installer des compositions aux structures qui se moquent bien de l’éternel enchainement couplet/refrain (façon de faire pourtant trop souvent jugée comme indissociable voire obligatoire avec l’option mélodique mais Grand Plateau n’est pas un groupe de pop music, n’est-ce pas ?).
Grand Plateau ne pratique donc pas la frontalité brute ni le mur du son qui fracasse en quelques secondes seulement et le trio préfère manipuler soigneusement toute l’énergie vitale de sa musique, la détourner et l’envoyer dans des directions auxquelles on ne s’attend pas toujours : Grand Plateau est un groupe à voir et à écouter en concert, sortant vainqueur du grand jeu de massacre de la course à l’originalité.




Place aux lozériens de PORD qui en profitent ainsi pour honorer leurs obligations lyonnaises semestrielles : au moins deux concerts par an sinon rien ne va plus. En début de set le trio – pourtant plein de hargne et de volonté, comme à son habitude – pédale un peu dans la gadoue pour cause de rendu sonore pas vraiment en totale adéquation avec la fureur dévastatrice d’une musique toujours aussi prenante.
Mais, comme à leur habitude encore, les trois Pord font avec ce qu’ils ont, s’adaptent aux conditions, genre ouais c’est nous les plus forts, et effectivement ces trois garçons vont enfoncer à peu près tous les groupes connus et en activité question hardcore noise. Pord en profite pour jouer quatre nouvelles compositions (le groupe a opté pour le luxe de la réflexion au sujet d’un deuxième album prévu seulement et si tout va bien pour la fin de l’année 2013), des nouvelles compositions qui encore une fois font mourir d’impatience pour la suite.
Et puis il y a les éternels tubes du premier album Valparaiso avec en premier lieu Brenda’s Sheets et sa montée inexorable, ce genre de morceau de bravoure qui a pour principale conséquence, au lendemain du concert, de nous faire coller in extenso Valparaiso sur la platine disque et ce pour au moins toute la semaine suivante. Allez, prochain rendez-vous en septembre/octobre ?




Et enfin les POUTRE s’installent. Avant le concert le débat avait fait rage : qui allait jouer en dernier ? Pord ou Poutre ? Ceux-ci auraient semble-t-il préféré ne pas passer à la casserole à la fin mais, après tout, c’est une bonne chose qu’ils aient clôturé cette petite soirée festive.
Pressés par le manque de temps – il y a un horaire et un couvre-feu à respecter – les Poutre jouent donc très (très) vite, trop vite même de l’avis du bassiste qui râle un peu (les bassistes sont souvent un peu râleurs mais ça fait partie de leur charme, non ?), et ils déboitent en un tour de main les titres de leur prochain album, actuellement en phase de mix définitif**.
En tous les cas, grand bien a pris aux Poutre de se la jouer Ramones du noise rock et d’en rajouter constamment en intensité parce que le groupe a donné un concert juste dément, un concert mettant également en avant le groove impitoyable et addictif de son noise rock. Je ne les avais encore jamais vus en concert, voilà maintenant c’est fait et désormais il n’y plus qu’à attendre la suite d’Escalade (qui commence à dater un peu) et surtout espérer revoir ces garçons dès que possible.

[des photos du concert, par là]

* comme d’habitude dans ces cas-là : peut-être une chronique de Casual Act, un jour, on verra, demain il fera jour, etc…
** un album prévu chez Katatak, Boom Boom rikordz et quelques autres en plus, si affinités

mardi 19 mars 2013

The Catalyst - Aussitôt Mort / split




Pile ou face ? Comme je n’ai pas très envie de lancer ce disque en l’air pour voir de quel côté il va retomber et donc quel groupe écouter en premier je choisis lâchement de d’abord faire semblant de m’intéresser à la face occupée par La Bourse Ou La Vie d’AUSSITÔT MORT qui est un groupe que je n’ai jamais vraiment aimé. Personne n’est parfait et je n’ai jamais pu supporter le chant en français – sauf lorsqu’on ne comprend pas ce qui se raconte (éternel exemple : La Mâchoire) ou lorsque ce qui se raconte est vraiment dégueulasse (autre exemple, tout aussi éternel : Glu). Pour tout le reste, ça ne passe pas, c’est mon côté réactionnaire qui vous parle.
Lequel côté me fait de toute façon également détester l’emo-core et ce genre d’éternelles adolescenteries… Je reconnais toutefois que sur la longueur limité d’un 7 pouces la musique d’Aussitôt Mort passe à peu près la rampe, que tout ça est extrêmement bien foutu, même pas le temps de trop bailler aux corneilles, juste celui de siffler une bière avant de retourner la galette pour écouter l’autre face et l’autre groupe.
L’autre groupe en question s’appelle THE CATALYST, un combo américain originaire de Virginie et que par contre j’adore. Petite surprise, les deux titres de The Catalyst ont été enregistrés avec l’ancien line-up du groupe c'est-à-dire avec le guitariste et batteur Jamie Faulstich. Thumbsucker est pourtant une bonne petite bourrinade qui aurait dépareillé en rien sur Voyager, le dernier album en date du groupe. Et moi qui croyais que le départ de Jamie était précisément la cause principale de l’intensification métallique de Voyager… Heureusement Our Science Is Too Tight me donne enfin raison, The Catalyst y mâtinant son hardcore noise d’une couche insidieuse de psychédélisme rampant – enfin, tout est relatif, hein, parce que ce « psychédélisme » là a plutôt à voir avec la torture sonique d’un Today Is The Day de l’époque Supernova/Willpower. On reste donc entre gens civilisés et de bon goût et surtout entre noiseux ; les petits gars de The Catalyst prouvent une nouvelle fois avec ces deux titres furieux et étincelants qu’ils sont l’un des secrets les mieux gardés en matière de musique qui défouraille et qui fait pleurer les enfants. Allez, pour la peine je réécoute une dernière fois La Bourse Ou La Vie et qu’on n’en parle plus.

Ce split démontrant la suprématie indéniable du hardcore noise sur toutes autres formes de groupes à guitares plus ou moins énervées a été gravé dans un vinyle vert (tendance Malabar à la menthe), légèrement marbré sur les bords et emballé dans une pochette doté d’un artwork sombre mais très réussi et qui se déplie en trois volets (il y a des choses à lire à l’intérieur). Trois labels se sont ruinés pour parvenir à un tel résultat, vraiment chouette, qu’ils en soient donc chaudement remerciés : Aïnu records, Moment Of Collapse records et Sieve Sand records.

lundi 18 mars 2013

Micah Gaugh / The Blue Fairy Mermaid Princess





Ce type là, juste au dessus, qui vous regarde droit dans les yeux et qui tente avec une certaine réussite d’imiter Eugene Robinson déguisé en Jean-Michel Basquiat, c’est MICAH GAUGH, un chanteur/saxophoniste/poète basé à New-York. On ne sait pas trop ce qu’il a bien pu faire d'autre que The Blue Fairy Mermaid Princess*, sans doute plein de choses puisque ce disque est une sorte de compilation regroupant des enregistrements (souvent) live datant de 1994, 1996 et 1997. Tout ce que l’on a fini par découvrir c’est que Micah Gaugh a chanté occasionnellement sur les deux seuls albums de Storm And Stress – on ne peut que vous enjoindre à découvrir sans plus tarder et si ce n’est pas déjà fait le premier d’entre eux, sans titre, qui est de loin le meilleur des deux.
C’est à cette occasion que Micah Gaugh a sympathisé avec Kevin Shea, batteur de Storm And Stress et qui joue également sur The Blue Fairy Mermaid Princess (il est en outre responsable des enregistrements et des prises de son du disque). Daniel Bodwell complète le line-up du MICAH GAUGH TRIO : un groupe pas vraiment (free) jazz ou plutôt un groupe qui oscille merveilleusement entre le jazz et la chanson, ce dernier terme étant à prendre dans son acceptation la plus poétique du terme.
Qu’importe que Micah Gaugh ne chante pas toujours très juste ; qu’importe également qu’il ne joue pas très bien du saxophone alto : le plus important c’est la beauté violente et irrésistible qui s’échappe des douze compositions/chansons** de The Blue Fairy Mermaid Princess, un mélange de fragilité, de fébrilité, de lyrisme, de passion et même de sauvagerie. Il suffit que Micah Gaugh décide de castafiorer de tout son cœur comme une diva pour qu’il devienne effectivement une diva ; il suffit qu’il décide de chanter une berceuse pour qu’il se transforme en marchant de rêves ;  il suffit qu’il empoigne son alto pour en faire sortir de moments de vérité à la beauté bancale dignes d’un Albert Ayler (El Mar Rojo, absolument dément) ou d’une expressivité sèche évoquant Ornette Coleman (Hunger ou Cat Club Tree House).
Sur ces enregistrements Kevin Shea est égal lui-même c'est-à-dire qu’il joue complètement ailleurs mais qu’il réussit par on ne sait quel miracle à faire en sorte que ses parties de batterie collent parfaitement à l’ensemble*** ; pendant ce temps la contrebasse de Daniel Bodwell a l’intelligence de ne pas suivre coûte que coûte la batterie (en fait elle emboite très souvent le pas aux lignes de chant) et le trio semble constamment en état d’apesanteur, même lorsqu’il décide de ruer dans les brancards et de s’offrir une escapade réellement free.
The Blue Fairy Mermaid Princess est un vrai beau bordel mais en même temps ce disque restaure une certaine idée du jazz vocal en ce sens que l’émotion – le feeling si on veut – y prédomine sur les prouesses et autre exhibitionnisme chanté : vous avez toujours préféré le grain si particulier d’une Billie Holiday au côté beaucoup trop lisse d’une Ella Fitzgerald ? Vous aimez la fragilité ténue mais profonde d’un Johnny Hartmann ? Et bien The Blue Fairy Mermaid Princess est (peut-être) fait pour vous, non pas que ce disque ressemble à ces illustres exemples – parce que, rappelons-le, Micah Gaugh chante aussi bien comme une patate avinée que comme une grenouille émasculée – mais plutôt parce que comme eux il possède quelque chose d’unique et qui lui est réellement propre****. De la magie.

* The Blue Fairy Mermaid Princess est publié en CD digipak par Africantape
** les textes sont imprimés à l’intérieur du disque
*** chose que malheureusement il n’a pas toujours réussie dans le passé
**** le Micah Gaugh Trio sera en tournée européenne au printemps 2013 ; la bonne nouvelle pour les lyonnais c’est qu'ils auront la chance de voir et entendre le groupe lors d’une date au Périscope le 2 mai prochain

dimanche 17 mars 2013

Nazoranai / なぞらない et Ensemble Pearl / self titled


Il y n’y a que deux points communs entre Ensemble Pearl et Nazoranai mais on va quand même passer pas là pour expliquer le pourquoi de cette chronique double et lapidaire : voilà deux « super groupes » c'est-à-dire des groupes dont les line-ups respectifs alignent quelques célébrités de la musique expérimentale/dark/metal/etc. et – plus précisément – on compte Stephen O’Malley comme membre de chacun d’eux. La moitié de Sunn O))) comme fil conducteur ça vous parait un peu juste comme argument ? Et bien non. On veut juste illustrer par là qu’un musicien, aussi doué soit-il, peut aussi se fourvoyer à l’occasion.




Et on parlera effectivement de gros plantage à propos du premier album sans titre d’ENSEMBLE PEARL publié par Drag City (un double LP officiellement dans les bacs à partir du 19 mars). Lâchons tout de suite la liste de noms qui va bien : Ensemble Pearl est donc la réunion de O’Malley (Sunn O))), KTL, Lotus Eaters, Khanate, Burning Witch, etc.), d’Atsuo (batteur de Boris), de Michio Kurihara (Ghost) et de William Herzog (The Sweet Hereafter, le backing band de Jessie Sykes) ; ajoutons que sur un ou deux titres apparaissent également Eyvind Kang et Timba Harris (entre autres des affreux Secret Chiefs 3).
Cet album, gavé de bonnes intentions et d’expérimentations proprettes est l’archétype du disque paresseux et qui s’étire mollement, distillant du drone binoclard et de l’américana post Earth (le groupe de Dylan Carlson bien sûr) par boudins en paquets de douze. On peut un temps être séduits par Ghost Parade – on le sera à nouveau, vers la fin du disque, par Giant – mais dès Painting On A Corpse on ne peut que lever les yeux au ciel, attendant peut-être qu’il en tombe quelque chose. Mais il ne se passe rien, mis à part la démonstration qu’un « super groupe » est trop souvent synonyme de fausse bonne idée. A oublier.




Le cas de NAZORANAI est nettement plus intéressant. Le principal défaut (?) de なぞらない est qu’il donne à entendre un trio de remplacement : Nazoranai est en effet la réunion de Keiji Haino (guitare/chant/saturation), Oren Ambarchi (batterie) et de Stephen O’Malley (à la basse) c'est-à-dire que ce dernier vient suppléer à Jim O’Rourke – on rappellera le dernier enregistrement en date du trio initial, le très électrique Imikuzushi –, un Jim O’Rourke qui semble-t-il a abandonné la partie parce qu’il s’est définitivement installé au Japon pour y vivre et que depuis il refuse d’en sortir, même pour donner des concerts, ce qui peut être un inconvénient majeur lorsqu’on est un musicien de renommée internationale*.
なぞらない reprend donc les choses là où Imikuzushi les avaient laissées, réactivant le power trio sauce Keiji Haino et réveillant les fantômes de Fushitsusha, y compris dans leur formulation la plus atmosphérique et la plus inquiétante mais aussi la plus blues et psychédélique : rien de réellement neuf mais un motif de satisfaction évident pour les nombreux fans d’Haino qui n’en est plus à son coup d’essai en matière de réanimation/bouche-à-bouche thermonucléaire (plus précisément, il n’en est pas à sa première réincarnation du trio électrique post Fushitsusha, on se souvient par exemple de Purple Trap, groupe fondé avec Bill Laswell à la basse et Rashied Ali à la batterie). Dans le genre なぞらない est un excellent disque, mais dans le genre seulement c'est-à-dire pour les fans avertis du monsieur (なぞらない a été publié en CD et double vinyle par les Editions Mego).

* breaking news : le label Black Truffle annonce un nouvel album (live ?) du trio Keiji Haino/Jim O’Rourke/Oren Ambarchi à paraitre le 30 avril…