mercredi 30 novembre 2011

Neptune / Silent Partner


Neptune, le groupe arty par excellence, est de retour avec Silent Partner, sur Northern Spy records. Fait nouveau, les Neptune sont quatre pour ce nouvel enregistrement – Daniel Boucher ayant quitté le groupe alors que Farhad Ebrahimi et Kevin Micka arrivaient. Le premier est totalement inconnu de nos services (quoi qu’il aurait participé un moment à Magic People, le groupe fondé par John Manson après son départ de Neptune et l’album Intimate Lightning en 2004*) mais le second n’est autre que le bonhomme œuvrant sous l’alias d’Animal Hospital, il a d’ailleurs plusieurs fois occupé le poste d’ingénieur du son sur les enregistrements passés de Neptune. Sinon le line-up comprend toujours Jason Sanford ainsi que Mark Pearson mais, à l’heure où on vous parle, il semblerait bien que ce dernier ait également quitté le navire**.
Sur disque Neptune a souvent été en deçà de ses performances scéniques, exception faite de l’album Gong Lake (publié chez Table Of The Elements en 2008) qui peut apparaitre comme une sorte d’aboutissement du groupe dans sa version Sanford/Person/Boucher, en tous les cas le disque sur lequel Neptune arrive presque à se passer de tout délayage expérimental et/ou de morceaux trop faiblards et bouche-trous***. Il faut dire que Neptune en concert c’est quand même quelque chose, avec ces guitares fabriquées maison et entièrement en métal, ces percussions insensées et ces boites à bidouilles dont les composants électroniques d’un autre âge – on veut dire avant l’invention du PC pour tous – semblent avoir été assemblés entre eux avec des bouts de chewing-gums usagés. Enfin bref, malgré tout le bien que l’on a pu dire de Gong Lake, rien de peut remplacer un concert de Neptune.




Malheureusement ce n’est pas ce nouveau Silent Partner qui va nous prouver le contraire. On est même très loin du compte et il n’y a pas de mystère : Silent Partner est un disque faiblard. Un rapide coup d’œil aux photos illustrant le verso du disque nous met un peu sur la voie : quatre vues plongeantes sur le matériel utilisé par chaque musicien… On compte pas moins de trois kits de percussions bricolés et accompagnés de boites à bordel sonore tout aussi bricolées alors que les deux photos du haut nous montrent, pour la première, toujours de la bidouille incompréhensible mais aussi une des fameuses guitares métalliques, et, en ce qui concerne la seconde, on ne sait encore quelle autre diablerie électromagnétique et une basse (enfin… une sorte de guitare trafiquée en fil de fer et avec quatre cordes). On refait les comptes et donc on obtient un groupe dont le lin-up est apparemment dominé par des utilisateurs de percussions et de sons électrobidules. Et l’écoute de Silent Partner le confirme avec une absence de fracas assez désolante : il n’y a presque plus de guitares sur ce nouvel album.
Les percussions ont toujours eu un rôle prépondérant dans la musique de Neptune et ce n’est pas la première fois non plus qu’un disque du groupe est largement basé sur leur utilisation extensive – pour mémoire, faisons encore une fois référence à l’album Intimate Lightning et ses deux batteurs/percussionnistes : Daniel Boucher et John Manson – mais, dans le cas de Silent Partner, on a beaucoup de mal à trouver quelque chose derrière. La musique est comme dégrossie (alors qu’elle n’était pas non plus à la base un modèle de foisonnement progressif), réduite à sa plus simple expression et tournant dans le vide laissé par les arrangements et instruments que l’on aurait bien imaginés à la place. Cash Mattress se traîne beaucoup trop en longueur, comme la plupart des compositions du disque (il y en a sept en tout), compositions qui provoquent un ennui certain avant de laisser de marbre.
Triple Your Money arrive à tirer son épingle du jeu car on y entend un peu de cette guitare dégénérée que l’on aimait tant et parce que les bidouilles électroniques ressemblent à autre chose qu’à une partie de Simon™ en réseau. Les vocaux sont volontairement trainants et irritants et – alliés au minimalisme percussif et répétitif – feraient passer le Drum’s Not Dead des affreux Liars pour un pur monument de musique baroque. Les passages instrumentaux tels que la longue première partie de Collection Plate s’en sortent à peine mieux tant ils révèlent un manque d’inspiration certain.
Mais le pire ce sont ces trois titres (#35, #36 et #37) qui parsèment Silent Partner et ne servent strictement à rien sinon à documenter une nouvelle fois les expérimentations des musiciens de Neptune en matière d’utilisation du langage binaire ou d’encodage en morse de leurs pannes artistiques. On en vient à se demander si le groupe est réellement arrivé à trouver à un moment ou à un autre un quelconque intérêt à la musique qu’il enregistrait alors et pour la première fois Neptune est ainsi terriblement décevant et ennuyeux.

* est ce que tout le monde suit ?
** c’est pourtant pas bien compliqué
*** mais on ne saurait trop vous conseiller aussi le non moins excellent et susnommé Intimate Lightning, enregistré à quatre, à une époque où Mark Pearson tenait encore la basse dans le groupe alors que John Manson faisait office de batteur/chanteur

mardi 29 novembre 2011

Zoft / Electrically Haunted





Zoft est un duo belge (Bruxellois même) qui traîne derrière lui une aura un rien précieuse pour ne pas dire arty. Et une réputation d’exigence ? Oui, également. Aussi est-ce assez amusant de constater que le premier titre d’Electrically Haunted, le tout premier album de Zoft, s’intitule Exit – une toute petite provocation car s’il y a bien quelque chose à laquelle ce titre incite l’auditeur, c’est au contraire de rester pour écouter bien attentivement tout le reste du disque. Mais Exit permet surtout de déceler rapidement les intentions de Nicolas Gitto (guitare) et de Damien Magnette (batterie). Ces intentions sont aussi claires qu’appuyées, sorte de math rock certes un brin sérieux mais finalement très volumineux et très imagé et surtout parcouru de manipulations sonores qui font toute la différence. Cette différence ne servirait à rien si Zoft ne s’en servait que comme d’un gimmick de plus mais le duo démontre tout au long de cet Electrically Haunted qu’il déborde d’idées parfois fulgurantes et toutes plus intéressantes que les autres.
Après l’éloge des groupes trigonométriques qui respectent scrupuleusement le cahier des charges et les tables de la loi, après les groupes pratiquant le math rock instrumental boosté à l’énergie punk ainsi qu’aux fulgurances noise, voici donc l’un des premiers cas avérés de groupe œuvrant dans les eaux claires et limpides de l’algèbre contemporaine (sérielle ?) appliquée au rock instrumental. Pour vraiment faire plaisir à tout le monde rajoutons une pointe de physique quantique pour ce sens du détail moléculaire et le maniement des rayons électromagnétiques, disciplines dans lesquelles Zoft excelle apparemment.
Ceci posé, on aurait pu craindre un résultat trop glacial et trop millimétré or le duo, malgré une maîtrise quasiment parfaite d’un langage compliqué et stylisé à outrance (ou alors est-ce le résultat d’un gros travail à l’enregistrement ?), dégaine rapidement un second argument de taille : l’ensemble d’Electrically Haunted est emballé avec une énergie confinant même à la rudesse et qui laisse pantois. On n’en demandait pas tant. On finit également par s’apercevoir qu’il y a quelque chose à voir avec Brise Glace ou même Laddio Bolocko dans la musique de Zoft, non pas au niveau de l’abus de répétitions hypnotiques mais dans cette façon de dévoyer et de perturber des compositions à l’aide de manipulations de textures et rajouts de perturbations sonores. Tiens et puis parfois j’y ajouterais aussi une pincée de prog, dans le sens magmatique du terme, pour cette façon de monter des architectures musicales complexes. Dommage toutefois que la toute fin d’Electrically Haunted ne nous épargne pas quelques facilités et/ou faiblesses (qui deviennent alors longueurs) ni un remix complètement inutile d’un titre des copains de Vitas Guerulaïtis.

Electrically Haunted est publié en vinyle et CD par Humpty Dumpty records – il n’aura donc pas échappé aux plus perspicaces que Zoft est désormais voisin de pallier des non moins excellents K-Branding. Un nouvel argument en faveur d’un exode massif en direction de Bruxelles en 2012.

lundi 28 novembre 2011

Tarwater / Inside The Ships



Tarwater est un groupe très étrange. Bernd Jestram et Ronald Lippok – ce dernier étant également membre de To Rococo Rot – viennent de Berlin et ont été régulièrement affiliés au renouveau kraut ayant émergé dans les années 90’s, « courant » existant d’ailleurs à peine plus que son modèle et inspiration des années 60 et 70. Ce que l’on veut dire par là – on laisse à celles et ceux qui le souhaitent le plaisir et le choix des étiquettes qu’il leur semble bon d’apposer sur telle ou telle musique – c’est que Tarwater reste, des années après son premier album publié en 1995, complètement unique et inclassable.
La seule chose de sûr à propos du duo, c’est que l’on peut parler de musique électronique. De pop également. De synthétiseurs, d’un art subtil et très personnel du sampling. D’un chant dispersant de la retenue et de la distance tout en se montrant chaleureusement présent, comme lorsqu’on susurre des mots du bout des lèvres pour ne pas être entendu de tous tout en prenant soin d’articuler distinctement pour être compris quand même.




On ne compte plus les bons voire les grands albums de Tarwater – pour cela on vous conseille plus que tout de vous intéresser au coffret A Collection 1996 - 2002 chez Gusstaff records – mais le duo n’appartient pas au passé pour autant : malgré un The Needle Was Traveling moins bon que la moyenne en 2005, Tarwater a continué de nous séduire et de nous enchanter avec Spider Smile en 2007 et surtout le groupe est de retour avec Inside The Ships, son huitième album à ce jour, publié par Bureau B.
Inside The Ships est tout simplement un grand disque de Tarwater. Et on affirme même que le groupe y côtoie à nouveau et sans aucune difficulté les sommets qu’il avait déjà tutoyés avec Silur, Dwellers On The Threshold et Spider Smile. Tarwater semble même aller encore plus loin dans ses techniques de sampling qui sont l’une des marques de fabrique essentielles du duo et dans cette façon unique et jamais artificielle de mélanger sons électroniques et sons organiques – Sato Sato (une reprise de D.A.F.) et ses cuivres péteurs est même très drôle. D’autant plus que le groupe maîtrise réellement l’art de varier les atmosphères (en dehors du fait qu’en général Inside The Ships est comme ses prédécesseurs une alternance d’instrumentaux plus expérimentaux et de titres chantés plus immédiats et même plus pop) et de se faire succéder des compositions à la fois lumineuses, sophistiquées, très travaillées, finement arrangées mais toujours accessibles à la première écoute. Tarwater c’est vraiment ça, une certaine idée de l’exigence alliée à une mélancolie certaine, une délicatesse parfaite et à une immédiateté jamais trompeuse. On tient sûrement là l’un des meilleurs groupes « pop » de ces quinze dernières années, toutes catégories confondues.



Tarwater est un outre en tournée pour défendre ce magnifique Inside The Ships. Il y a plusieurs dates en France à commencer par celle au Sonic de Lyon le 29 novembre avec Blackthread en première partie.

dimanche 27 novembre 2011

Neurosis / Sovereign






Exceptions faites des deux premiers albums de Neurosis qui n’ont strictement rien à voir avec la suite des évènements – que ce soit qualitativement que stylistiquement – Sovereign est, du côté des fans et des aficionados, le disque le plus mal aimé de toute la discographie pourtant bien remplie du groupe. Initialement publié en 2000, première référence du tout nouveau Neurot recordings, cet EP de quatre titres (cinq pour la présente édition) est en effet considéré comme un rebus de chutes de studio de Time Of Grace, monstrueux album paru juste un an auparavant. Techniquement tout cela est on ne peut plus vrai : les titres de Sovereign ont effectivement été enregistrés (de mains de maître) par Steve Albini lors des mêmes sessions que Time Of Grace.
Mais il est temps de remettre ce mini album – quarante minutes de musique tout de même – à sa très juste place, c'est-à-dire celle d’un disque qui définit l’aspect le plus atmosphérique du courant post hard core, une brèche dans laquelle vont s’engouffrer nombre de suiveurs les années suivantes, avec plus ou moins de réussite. Car Neurosis est le seul inventeur du genre et ce à plus d’un titre. Si avec Sovereign on est très loin de la lourdeur malsaine et plombée des géniaux Soul At Zero et Enemy Of The Sun, le groupe en n’a pourtant pas fini avec les innovations. Moins spectaculaire c’est vrai que Time Of Grace, ne serait parce qu’il débute par un Prayer plus poussif que d’habitude (mais très loin d’être mauvais comme on l’a trop souvent dit ou écrit ailleurs), Sovereign dévoile un Neurosis que faute de mieux on qualifiera de plus expérimental mais tout aussi épique que précédemment. On note le passage avec percussions tribales qui était alors le gimmick obligé de tout nouvel enregistrement de Neurosis mais aussi la présence renforcée de nappes électroniques ainsi que l’utilisation de cordes et celle – très réussie – d’instruments à vent sur le morceau-titre.
L’édition 2011 de Sovereign présente peu voire pas de différence de mix et de masterisation par rapport aux éditions précédentes. Par contre le packaging a été quelque peu refondu, un élégant fourreau ayant été rajouté et le livret ayant été repensé. En guise de bonus un cinquième titre a été rajouté mais il ne s’agit pas réellement d’un inédit, puisqu’il figurerait déjà sur l’édition japonaise originale du disque. Ce Misgiven purement instrumental et très dub-indus est d’ailleurs fort dispensable, ne dépassant pas le stade de l’anecdotique avec son instrumentation répétitive, saturée de basses lourdes et très marquée par l’électronique. Mais c’est une façon assez confortable de terminer l’écoute d’un EP beaucoup plus rigoureux et exigent que sa réputation le laisse croire d’ordinaire.





[cette chronique, très légèrement remaniée, est également disponible dans les pages du n° 7 de (new) Noise, en kiosque depuis quelques jours et que vous allez vous empresser de lire puisque aujourd’hui c’est dimanche et que le dimanche on s’emmerde]

vendredi 25 novembre 2011

Racebannon / Six Sik Sisters



Au cours des années, la musique de Racebannon a eu à subir deux mutations, pas forcément aussi contradictoires que les apparences pourraient le laisser croire : premièrement la musique de ces quatre frappadingues s’est resserrée, les titres longs et labyrinthiques ont disparu et les albums ont fini par passer en dessous de la barre de la demi-heure (on se rappelle très bien du génial Satan Is Kickin’ Your Dick In, sorte de monstrueux et déviant opéra-rock transgenre tendance noise et destroy qui ne comportait que cinq plages, ou de l’album d’après, le méga-fleuve et totalement épuisant In The Grips Of The Light, qui était carrément un double LP) ; deuxièmement le son de Racebannon a viré de la noise schizophrène pour débiles congénitaux au metal psychopathe pour attardés mentaux.
Nous voilà donc confrontés avec Six Sik Sisters, sixième album du groupe depuis le rendez-vous manqué avec l’apocalypse de l’an 2000, un album publié cette fois-ci par le label Tizona records. Son prédécesseur, Acid Or Blood apparait désormais comme un album de transition et une tentative – c’est vrai pas toujours totalement convaincante mais finalement satisfaisante – de remettre le pied à l’étrier : Racebannon n’avait alors pas publié de disque depuis près de six années et voulait visiblement épaissir sa musique tout en gardant le côté violement psychopathe et tordu. Ce pari est aujourd’hui réalisé avec Six Sik Sisters, un disque encore plus ramassé sur lui-même avec neuf titres seulement (dont deux interludes et un solo de batterie complètement idiot), presque un mini album dépassant à peine les 25 minutes.




Le voyage est donc de courte durée mais il sera mouvementé. Thee Plea représente tout à fait ce dont Racebannon est capable de mettre en oeuvre pour nous faire souffrir terriblement : un gros riff bien crado trempé dans le bouillon purulent d’un antique thrash metal, une rythmique méchamment furieuse et on s’attendrait presque alors à entendre débarquer un hurleur poilu et testostéroné… mais c’est bien Mike Anderson qui se trouve éternellement et une nouvelle fois derrière le micro, une tronçonneuse ou un hachoir électrique à la main.
Mike Anderson est le « chanteur » le plus énervant du monde. Parce qu’il n’arrête pas de débiter toutes ses conneries avec un flow intarissable qui laisserait pantois de jalousie et de rancœur un toaster sous méthamphétamine et qu’il a – lorsqu’il ne hurle pas de trop, oui cela lui arrive – un timbre extrêmement nasillard qui rappellerait presque Jello Biafra à l’époque où ce dernier bouffait du curé dollarisé ou de la pouffiasse siliconée avec les Dead Kennedys. Sacré mélange, hein… mais un sacré mélange qui est la première marque de fabrique de Racebannon. L’autre c’est donc cette noise métallique et concassée, visiblement jouée par des fous à lier, aussi puissante dans des sprints de très courte durée que dans des breaks hallucinants de folie dépravée. Le fait que Racebannon ait choisi de ne plus s’éterniser en cours de route tout en continuant à vriller dans tous les sens apparait au final comme un bienfait : si la séance de torture est beaucoup plus intense, au moins elle ne dure pas.

Six Sik Sisters a été publié en vinyle bleu avec un insert comprenant les paroles des six titres chantés, un poster reprenant le visuel de la pochette et un coupon de téléchargement incluant tout l’album plus quatorze remixes (dont on ne sait quoi dire puisque ni téléchargé ni donc écouté). Il y a également une version CD de disponible et peut être même des mp3 – ou ce genre de saloperies – sur des plateformes de téléchargement payant dont je préfère taire le nom.

jeudi 24 novembre 2011

Jowjo / Ancora Nessun Messaggero





Le label Africantape aime les objets qui ne servent à rien. Mais les objets qui ne servent à rien définissent également le charme irrévocable de l’inutile et de l'acte (presque) gratuit, celui que l’on s’offre uniquement pour le plaisir, justement, et uniquement pour celui-ci. Deuxième single monoface du catalogue Africantape après le Anthem Of Hearts de Peter Kernel, ce Ancora Nessun Messaggero de Jowjo fait plus qu’intriguer : qui c’est cet affreux Jowjo ? Le demi-chauve au sourire sarcastique de la pochette ? Un mécano d’astreinte réveillé en pleine nuit par une nouvelle alerte de service ? Jowjo, plus simplement, c’est le pseudo de Sergio Carlini, ci-devant guitariste émérite au sein des excellents Three Second Kiss. Ce single est en quelque sorte le teaser alléchant d’un album entier qui vient de paraitre chez Riff records.
On pense d’emblée à Gastr Del Sol pour le côté tordu mais aérien, pour l’élégance pointue et les mélodies de travers qui se déversent d’Ancora Nessun Messaggero. Unique capitaine du projet, Sergio Carlini s’est pour ce titre fait aider de Julien Fernandez à la batterie mais aussi de Giovanni Fiderio de Tapso II aux claviers. Une fine équipe pour une belle mécanique, précise là où il le faut et subtilement déréglée si nécessaire et aboutissant à un free rock qui relève plus de la circonvolution et de l’arabesque que de la fulgurance pied au plancher. Mais, attention, voilà un titre qui reste toujours d’une justesse très touchante – avec ce leitmotiv à la guitare qui revient sans cesse et presque sans prévenir, un véritable délice – et ne s’épargnant pas quelques beaux pas chassés.
Ancora Nessun Messaggero atteint donc son but, en plus de mériter de figurer en mode exposition pleins phares sur les étagères à disques, but qui est de faire monter de quelques crans supplémentaires l’impatience au sujet de l’album. D’autant plus que celui-ci a été enregistré avec plein d’autres invités, entre autres Stefano Pilia des géniaux 3/4HadBeenEliminated, et toujours Julien Fernandez. On en reparle.

mercredi 23 novembre 2011

Nitkowski / Stay In The Home You Love





Nitkowski est enfin de retour avec un nouvel album, Stay In The Home You Love sur Function records. Un deuxième disque, dit-on, ce n’est pas toujours une étape très facile à franchir pour n’importe quel groupe et deux ans après un excellent Chauffeurs, Nitkowski a sereinement et sans doute intelligemment choisi de ne pas prendre beaucoup de risques. Si vouliez du réellement neuf de la part de ces jeunes anglais plutôt énervés et chatouilleux il va donc falloir aller gratouiller ailleurs. Par contre Nitkowski démontre une nouvelle fois qu’Albion est plus que jamais le pays à prendre en compte question rock tendu du slip et musiques affiliées, option guitares au taquet qui tranchent dans le vif, laissant seulement quelques bouts de gras et un peu de blues dégénéré à leurs congénères américains.
Nitkowski est même le champion toutes catégories de la sécheresse et de l’aridité musicale. Tout comme Chauffeurs donc, mais en appuyant encore plus là où ça fait mal, Stay In The Home You Love pratique le désossage et le démembrement avec une précision qui fait dire à certains exégètes ou fins connaisseurs que Nitkowski fait plus que flirter avec le math rock. Certes, on veut bien en convenir et aller dans ce sens là mais on ne saurait se contenter d’une appellation qui induit une certaine logique pour ne pas dire une certaine rigueur formelle. Or Nitkowski c’est aussi et surtout du gros bordel et le groupe sait se passer de toute démonstration (« no feckin tappin or slappin » disent-ils).
Des guitares aigrelettes qui explosent en fragmentation, des lignes mélodiques qui perforent les crânes et les intestins, des parties de batterie alliant précision de l’acupuncture et violence du marteau-piqueur. Derrière son aspect éclaté et désordonné, Stay In The Home You Love est un petit monstre vrombissant, nerveux, racé et teigneux. Presque du vrai noise rock comme diraient les anciens non sans une certaine exagération (« ah quand j’écoute Competent Adults ou Small Pin Hands j’ai l’impression d’entendre les Dazzling Killmen repris par U.S. Maple », ce genre de conneries*), du noise rock qui aurait pu être franchement arty/prout-prout et un rien pénible s’il avait été froidement exécuté mais qui au contraire pue la transpiration et les joies partagées de l’effort collectif. Comme un seul homme le trio s’adonne à ses plus grands plaisirs, se roule par terre, s’ébroue, s’ébat et se relève d’un bon coup de rein, s’élance en l’air et distribue les mandales à qui veut bien tendre l’autre joue. Et ce n’est pas la trompette sur Strike The Last Flare qui me fera changer d’avis.



[clic]

Stay In The Home You Love a été publié par Function records en format LP + CD (pochette gatefold), en CD tout seul et en version dématérialisée pour toutes celles et tous ceux qui n’ont rien compris.
Nitkowski et leurs excellents copains de Silent Frontest sont également en tournée vers chez nous, le pays des libertés et des droits de l’homme : le 24 novembre à Reims (Excalibur), le 29 à Metz (avec Le Singe Blanc au Coco Cabana), le 30 à Lyon (au Sonic, c’est un concert Bygoût records), le 1er décembre à la Miroiterie à Paris (avec Revok, une date organisée par l'affreux Won 28), le 2 à Amiens (Grand Wazoo) et enfin le 3 décembre à L'Oreille Qui Traîne de Rouen en compagnie de Pneu.

* et pourquoi pas l’inverse, pendant qu’on y est ?

mardi 22 novembre 2011

Report : Gunkanjima à l'Ecole Nationale de Musique






Elle est terrible et terrifiante l’histoire de Gunkanjima, petite crotte de terre oubliée au large des côtes du Japon, du côté du sud de l’archipel, pas très loin de la grande ile de Kyushu. Et quand on parle de « petite crotte » c’est vraiment ça : imaginez une ile de seulement 480 mètres de long par 160 de large et bétonnée de toutes parts, au point de la faire ressembler à un immense bateau – l’ile s’appelle en fait Hashima mais a été surnommée Gunkanjima qui littéralement signifie « navire de guerre » car un croiseur américain l’avait prise pour telle et l’avait ainsi canardée lors de la seconde guerre mondiale.
Gunkanjima a été transformée en monstre de béton suite à la découverte d’un filon de houille vers 1830 : pas beaucoup de place, beaucoup d’argent à se faire, l’île est devenue une mine, perdue au beau milieu de la mer d’Amakusa, une défiguration malheureusement typique de la frénésie industrielle, un dortoir géant/prison pour les mineurs qui y suaient sang et eau (on dit que Gunkanjima est même devenue un temps l’endroit sur terre où la densité de population était la plus grande).
Comme toujours, dès que toutes les possibilités de profits ont été épuisées, l’ile est tombée en désuétude puis a été totalement abandonnée dans les années 70. Les infrastructures de béton, les clapiers à mineurs, les installations de la mine sont restés tels quels, avant que la nature ne tente enfin de reprendre ses droits.




Cette histoire, enfant monstrueux du totalitarisme industriel et du capitalisme le plus débridé, c’est celle qu’a choisi de nous raconter le projet Gunkanjima. Plus exactement cette formation évoque les fantômes du passé, ce qu’est devenue cette île abandonnée, le chaos des blocs de bétons, le vent qui s’engouffre dans les fenêtres brisés, les cris de la mer qui tape incessamment sur les digues… Un magnifique concert donné dans la salle Antoine Duhamel de l’Ecole Nationale de Musique de Villeurbanne les jeudi 17 et vendredi 18 novembre dernier.
Gunkanjima est une formation composée – par ordre alphabétique – de Takumi Fukushima (violon et chant), Laurent Grappe (dispositif électroacoustique)*, Yoko Higashi (machines et voix), Gilles Laval (guitare et direction artistique), Yuko Oshima (batterie) et Marc Siffert (basse et contrebasse).  Sans oublier un réel travail sur le visuel et les lumières, Gunkanjima jouant d’ailleurs derrière un écran semi transparent** sur lequel seront projetées lumières et formes abstraites. C’est ainsi que commence le concert alors que la salle est plongée dans le noir, que les spectateurs assis dans des fauteuils se demandent ce qu’il va bien pouvoir leur arriver : des éclairs de lumière violents projetés depuis la scène et aveuglant l’écran d’un blanc tyrannique.




Une entrée en matière qui permet de découvrir ensuite le dispositif sur scène, la place de chaque musicienne ou musicien. Entre musique bruyante (on va dire « rock », tendance Canterbury), free, musique électroacoustique ou musique contemporaine, le concert a alterné moments d’ensemble d’un fracas saisissant, dialogues à deux ou trois musiciens et parties sur lesquelles l’un des protagonistes se détachait davantage des autres – je pense notamment à Takumi Fukushima, merveilleuse musicienne, aussi bien au violon qu’au chant.
Belle idée également que ces « interludes » ou chaque musicien prenait une guitare électrique pour jouer tous ensemble avec une belle unité, comme ce passage répétitif et fort entre Glenn Branca et Fred Frith ou cette accalmie finale sur fond de lumières bleues et d’une sérénité apaisante. La musique comme le spectacle (il faut bien employer ce mot parce qu’on en prenait plein les yeux) était d’une richesse fulgurante : pas un instant on ne pouvait se demander où les musiciens de Gunkanjima voulaient en venir, pas un instant on ne pouvait prévoir ce qui allait suivre. Les sensations, les émotions submergeaient l’espace et le temps avec une ampleur toujours renouvelée.




Après le concert, Yoko Higashi a non sans émotion évoqué la catastrophe nucléaire de Fukushima « puisque les journaux n’en parlent même plus ». Va-t-on abandonner toute cette région irradiée et infectée du Japon comme on l’a fait il y a 40 années avec l’ile de Gunkanjima ? Pour soutenir et aider les enfants des populations de Fukushima abandonnées de tous et que visiblement personne ne souhaite emmener loin des zones contaminées, la musicienne a monté une association d’entre-aide et a indiqué qu’elle vendait des badges au profit de cette cause à la sortie de la salle. On ne peut que soutenir et on veut croire que la somme d’actions dérisoires finira bien par enrayer un jour la bêtise et la crasse dont on nous impose les lois et la gouvernance.

* en remplacement de Bérangère Maximin, de celui-ci je ne peux que vous inciter à (re)découvrir le magnifique Luxe De La Réflexion (édité par Sonoris et Metamkine)
** quelle ne fut d’ailleurs pas ma surprise en découvrant ce dispositif, dispositif magnifique de visu mais ayant occasionné les pires photos prises depuis longtemps

lundi 21 novembre 2011

Lettre à Monsieur le Maire d'Oullins





Lyon, ville maudite : après Grrrnd Zero et le Sonic, c’est au tour du Clacson de souffrir. Comme le demande l’équipe du lieu à qui veut bien le faire, j’ai écrit la lettre ci-dessous au maire d’Oullins, municipalité où se trouve le Clacson. Je vous invite à faire de même : monsieur-le-maire[at]ville-oullins.fr. On peut aussi lire les explications données par les principaux intéressés sur la page F******ck qui est dédiée à cette lamentable histoire.

[…]

Monsieur le Maire,

Ce n’est pas sans une certaine stupéfaction que j’apprends les déboires du Clacson, salle de concerts bien connue de l’agglomération lyonnaise et se situant dans votre ville, Oullins.

On m’explique que la salle devrait arrêter toute activité de résidences d’artistes, que les répétitions in situ n’y seraient plus autorisées et qu’un limiteur de son réglé sur 97 dB doit y être impérativement installé.

Monsieur le maire, je ne comprends pas. Et plutôt que «  stupéfaction » c’est le mot colère que j’aurais du employer. Vous n’êtes pas sans savoir que les résidences d’artistes font partie intégrantes du projet culturel défendu par le Clacson. Qu’à ce titre cette structure a toute la confiance – et touche des subsides – de collectivités territoriales ou d’organisme tels que le Département du Rhône, la Région Rhône-Alpes ou la DRAC. Votre décision va complètement à l’encontre d’une politique culturelle ouverte, axée sur la diversité, s’intéressant aux différences et supportant un vivier underground et parallèle au sein duquel se révèleront peut être les artistes de demain.

Monsieur le Maire, mépriser ainsi les cultures souterraines et décalées c’est mépriser toutes celles et tous ceux qui les soutiennent, les aiment, vont assister à des concerts au Clacson, vivent des moments forts, font des découvertes, rencontrent des gens. Le but ultime de la création artistique, notamment de la création musicale, est le rapprochement et/ou le partage. Toute vision artistique est bonne à prendre, la question de son éventuelle acceptation ou de son rejet – pourquoi pas ? – ne relève que de considérations philosophiques sur le « beau » (pour cela je vous renvoie à ce cher Emmanuel Kant et à son célèbre « est beau ce qui plait universellement sans concept » lié au sujet individuel ressentant une sensation devenant alors certitude universelle).

Alors on m’explique à nouveau qu’il n’y a rien à faire : il faut absolument clarifier la situation du bâtiment dans lequel se trouve le Clacson et où cohabitent nombre d’associations et de structures différentes. La promiscuité et l’inconfort liés aux problèmes acoustiques du lieu seraient désormais trop prégnants pour qu’une telle situation dure encore davantage.
Mais j’entends aussi que l’équipe gérant le Clacson a plus d’une fois au cours des dernières années alerté votre municipalité à ce sujet et demandé que des travaux soient effectués pour le confort de tous, le Clacson comme les autres associations et le personnel municipal, hébergés dans le même bâtiment : dois-je en déduire que vous et vos collègues élus avez sciemment joué le pourrissement ? J’en suis en effet persuadé et le dédain intolérable que vous affichez à l’égard des groupes et artistes ayant joué au Clacson, à l’égard du public qui a assisté nombreux à moult concerts depuis près de 30 ans et enfin et surtout à l’égard de l’équipe du lieu est tout simplement inacceptable et malheureusement symptomatique de la tendance actuelle du nivellement culturel par le bas, de l’hygiénisme sociétal généralisé et d’un repli sur soi qui – puisqu’en France comme ailleurs il ne s’applique malheureusement pas qu’à la culture mais aussi à toutes formes de rapports sociaux en général – ne peut que conduire à la faillite d’un modèle de société que vous prétendez défendre.

J’imagine que vous saviez également que la Clacson allait fêter son trentième anniversaire au mois de décembre prochain. Qu’un disque – un vrai, en vinyle et qui tourne en 33rpm – devait paraitre pour l’occasion. Maintenant la fête est tout simplement gâchée.

J’ose espérer que cette lettre et toutes les autres que vous avez déjà reçues et que vous recevrez bientôt vous feront changer d’avis. J’appuie ainsi les demandes de l’équipe du Clacson qui réclame des travaux pérennisant l’activité de concerts telle que le lieu la menait jusqu'à maintenant, la poursuite des résidences d’artistes et musiciens, la poursuite également des répétitions en salle et, enfin, l’abandon pur et simple de ce limiteur bloqué sur 97 dB – au passage dois-je réellement vous rappeler qu’au contraire la législation du spectacle définit le plafond maximum à 105 dB ? 105dB voilà un niveau bien plus adéquat et nécessaire à des musiques électriques et à l’esthétique marquée.

Copie est faite de ce courrier au Clacson – contact[at]clacson.fr – de même qu’il sera mis en ligne sur mon propre blog – http://666rpm.blogspot.com – dont je vous conseille éventuellement la lecture : celle-ci ne pourra qu’ouvrir vos horizons et élargir votre façon de voir.

Je vous laisse là-dessus, Monsieur le Maire.


Hazam Modoff, amateur autodidacte et passionné de musiques amplifiées – hazam[at]orange.fr.

dimanche 20 novembre 2011

ISaAC / Herpès Maker






C’est dimanche et on s’emmerde. Alors on écoute ISaAC, groupe au nom assez improbable, et son premier album complètement autoproduit au titre encore plus étonnant (on dira comme ça), Herpès Maker. Moi aussi sur le coup ça m’a bien donné envie de rigoler. Mais je n’ai pas ri très longtemps non plus : ISaAC joue du noise rock instrumental bien foutu et enlevé, suffisamment en tous les cas pour ne pas méchamment crasher avec mépris les mp3 dans la poubelle de l’ordi au bout d’une demi-écoute inattentive et à contrecœur.
ISaAC possède donc des qualités indéniables dont la plus flagrante est de tenir en haleine malgré un handicap certain pour tout groupe de noise qui se respecte : la stricte absence de chant. Mais c’est sûrement parce qu’ISaAC n’est pas un groupe de noise très classique, je trouve même sa musique plutôt aérienne et ciselée sans pour autant trop tomber dans l’axiome mathématique et autres circonvolutions de la trigonométrie appliquée. Alors, si au début on était bien content d’entendre quelques hurlements perdus dans le tout lointain du mix – sur MRD ou Epic par exemple – on finit par accepter l’absence de toutes traces de chant que l’on n’appelle donc plus de tous nos vœux.
Car un groupe qui sait allier saturation et puissance avec équilibrisme et virevolte et bien, ami lecteur, ça se respecte un minimum, malgré les quelques approximations que les grincheux à moustaches et autres gardiens du temple de manqueront peut être pas de relever à l’écoute d’Herpès Maker. ISaAC puise son originalité de cette formule un peu bancale, entre sueur et sophistication, et a su en tirer le meilleur des partis. Basse ronflante, guitare qui cisaille et batterie à la fois bien présente mais étonnamment funambule : le trio vise juste la plupart du temps et, puisque j’ai cru comprendre qu’il y avait des bouts des défunts 35000 Yens dans ISaAC, je ne m’en étonne guère, il y a finalement nombre de points communs entre ses deux groupes, à commencer par cette façon d’allier fureur et voltige.

Et si le service publicitaire de 666rpm a décidé de vous parler d’ISaAc et de Herpès Maker en ce dimanche aussi froid qu’automnal, c’est parce que le groupe a également annoncé la release party de son disque, release party qui aura lieu lors du festival Pacemaker Fest à Reims du 24 au 26 novembre prochain, on clique sur le flyer ci-dessous pour mieux arriver à le lire :



A l’affiche trois jours à la programmation impeccable avec nombre de groupes particulièrement apprécié par ici, on les cite juste pour le plaisir d’avoir la bave aux lèvres encore une fois : Silent Front, Nitkowski, Kourgane, Don Vito, Shield Your Eyes, Api Uiz, Pord, Poutre et quelques autres encore. Cela me ferait presque regretter de n’être qu’un pauvre lyonnais pantouflard (je vous rappelle qu’aujourd’hui c’est dimanche), d’être un pauvre chômeur (je vous rappelle également que c’est la crise mais voilà bien un faux argument car les prix des places sont très abordables) et de ne pas habiter beaucoup plus près de Reims. Toutes les infos pratiques concernant ce Pacemaker Fest se trouvent bien évidemment sur le site du festival.

samedi 19 novembre 2011

Submerged / Before Fire I Was Against Other People




 

Before Fire I Was Against Other People, troisième album de Submerged à proprement parler après Stars Light The End en 2007 et Violence As First Nature en 2008, semble directement s’adresser à un public restreint de connaisseurs patentés. On reconnait volontiers qu’il faut s’accrocher avec Submerged, que Kurt Gluck (le vrai nom du bonhomme), artificier monomaniaque, terroriste en chef ainsi qu’omniprésent et hyperactif patron du label Ohm Resistance, a une vision du monde actuel terriblement pessimiste et que cette vision nourrit une musique électronique très violente et d’une noirceur à nulle autre pareille – exception faite bien sûr de celle de Scorn, compagnon de label depuis 2007 – mais, en même temps, il y a un tel fourmillement d’idées dans Before Fire I Was Against Other People, une telle profusion de savoir-faire (mais sans ostentation) que ce disque ne peut que séduire et occuper l’une des premières places du palmarès des disques electro-bruististes/break core/machintruk/appelez-ça-comme-vous-le-voulez de l’année en cours.
Before Fire I Was Against Other People a été publié en mars 2011 par Ohm Resistance, quasiment en même temps que le Harvester de Gator Bait Ten, et il est le point culminant d’une frénésie créatrice de la part de Submerged qui, s’il n’avait pas publié de réel album depuis trois ans sous son propre nom, a multiplié les side projects et les collaborations. Collaborations qui traversent également ce disque, à commencer par le génial Nowhere To Hyde sur lequel Mick Harris/Scorn s’est occupé des beats et des textures pendant que Dr Israel toaste tel une ombre menaçante dans un brouillard industriel aussi épais que saturé. Sur No One Jason Selden de SST/Stepping Through  Shadows est venu jouer de la guitare alors que Joel Hamilton (Battle of Mice), à nouveau Jason Selden, Justin Broadrick, Balázs Pándi (déjà présent sur le disque de The Blood Of Heroes et collaborateur régulier en tant que live drummer de Venetian Snares ou Merzbow) et Ted Parsons sont venus donner des couleurs plus chaotiques encore à Dead, très éprouvant et ultime titre de l’album.
Pourtant les choses avaient commencé on ne peut plus étrangement avec un Space Arabs flirtant avec le chill-out et bientôt rehaussé d’une mélodie arabisante (procédé également employé – via quelques samples – sur l’excellent Borderguard). Transport est un pur moment de drum and bass, bolide affolé fonçant tout droit et à toute vitesse en direction d’un No One sur lequel une guitare méchamment saturée et concassée sert de pendant aux explosions des entrelacs rythmiques. Sur Death Sentence on sent nettement l’influence dubindus de Scorn mais Submerged aime les sons qui bavent et qui grésillent : sa version ressemble plus à une fraiseuse électrique qu’à un rouleau-compresseur.
Rorschach, Before Fire, Alive et évidemment l’apocalyptique Dead accélèrent considérablement le mouvement général vers plus de frénésie et de déconstruction. Une bonne partie du talent de Submerged consiste pourtant à refreiner la surenchère rythmique – en résumé : si les rythmes sont omniprésents, ils ne partent pas non plus dans tous les sens – alors qu’il travaille réellement sur les textures (basses et autres) de ses morceaux, ne se contentant pas de faire du remplissage. Mais toute la fin de Before Fire I Was Against Other People, particulièrement douloureuse, trop diraient même certains, allie déluge rythmique et hyper présence sonore : si on reconnait la qualité des agencements et des organisations des sons employés, on ne peut que remarquer la rage rythmique qui tente de tirer toute la couverture à elle. Une fin de disque que l’on aurait peut être aimée un peu plus nuancée mais qui vaut son pesant de frénésie hallucinée.

vendredi 18 novembre 2011

NLF3 / Beast Me





On ne pourra jamais m’enlever de la tête – ni de mon petit cœur d’artichaut matérialiste – que le format vinyle 10’ est l’un des plus beaux qui soit, si ce n’est LE plus beau. Beast Me est le premier disque de NLF3 à paraitre sous cette forme myth(olog)ique, après une flopée conséquente d’albums de la part du trio. Le groupe des frères Laureau a visiblement voulu se faire plaisir… et grand bien leur en a pris : Beast Me est en effet d’une élégance folle, son artwork est des plus réussis, à la fois morbide et drôle, et – il s’agit tout de même du principal – les quatre titres de Beast Me sont autant de petites pépites, ciselées et précises, magiques et mystérieuses.
On retrouve Sur The Golden Path et The Unseen (les deux titres qui ouvrent chacune des deux faces) toute la musique de NLF3 telle que le groupe l’a développée avec succès sur ses deux derniers albums en date – Ride On A Brand New Time (paru au printemps 2009) et Beautiful Is The Way To The World Beyond (automne 2010) : cocktail probant d’influences des plus diverses sous la houlette des lignes de basse tour à tour charpentées et mélodiques de Fabrice Laureau. Il est toujours aussi flagrant de constater que la musique de NLF3 peut être aussi fièrement résolue et visionnaire alors qu’elle semble puiser toute son inspiration dans des sources à la fois très balisées et archi-connues – afro beat, soleil mexicain, post rock, kraut rock, etc.
Là où Beast Me devient encore plus passionnant, c’est sur les deux autres compositions du disque : Rites Of Olympus et surtout Beast Me, chacune placée en fin de face. On y découvre un groupe bien plus sombre, inquiétant, grouillant et faussement introverti. Rites Of Olympus donne en quelque sorte le La, plante le décor d’un clair-obscur crépusculaire rehaussé de sonorités presque industrielles ou en tous les cas inusitées chez NLF3 (mais toujours avec le réconfort massif procuré par la basse en lead). Avec l’éponyme Beast Me, on plonge carrément à pieds joints dans un cauchemar répétitif et envoutant mais un cauchemar, si ce n’est agréable, du moins balsamique, chaud, organique et débordant semble-t-il de désirs humains… c’est ce que laisse entendre la voix féminine lointaine et égrainant quelques paroles en guise de formules magiques (et que l’on peut lire au dos de la pochette du disque), des paroles brûlantes voire fiévreuses. Cette ultime composition n’a ainsi rien de sinistre ou de malsaine… au contraire on y décèle comme autant d’interrogations, entre doutes et certitudes, un moteur de vie.

Evidemment Beast Me a été publié par Prohibited records. Un coupon mp3 a été joint au disque ainsi qu’un petit autocollant rond reprenant le visuel de l’artwork – ce qui ne simplifie pas la tâche du chroniqueur lorsqu’on a deux filles à la maison.

jeudi 17 novembre 2011

Gator Bait Ten / Harvester





Voilà qui pourrait bien s’apparenter à un « super groupe » : le line-up de Gator Bait Ten est en effet constitué de M. Gregor Filip (guitare et bruit), Kurt Gluck (basse), Ted Parsons (batterie) et Simon-John Smerdon (synthé et basse). On retrouve le premier sur le projet The Blood Of Heroes, le deuxième n’est autre que Submerged et le patron du label Ohm Resistance qui a publié ce premier album de Gator Bait Ten, le troisième a été le batteur des Swans, de Prong et même de Godflesh lorsqu’il prenait à Justin Broadrick l’envie d’y aller mollo sur la boite à rythmes et le quatrième est plus connu sous le nom de Mothboy, un épileptique notoire de l’écurie Ad Noiseam. On reconnait également l’illustration de ce Harvester comme étant une œuvre de Khomatech, ce qui est l’une des marques de fabrique essentielle d’Ohm Resistance.
Mais contrairement à nombre de groupes ou projets peuplant le catalogue de ce label, Gator Bait Ten n’est pas un énième ersatz drum & bass hystérique ou une nouvelle éjaculation break core thermonucléaire. Non, Gator Bait Ten joue dans le registre du lent et du lourd, du répétitif et de l’oppressant mais surtout Gator Bait Ten joue pour de vrai : les machines sont très loin d’avoir un rôle prépondérant sur Harvester, les musiciens transpirent sur leurs instruments et tout (ou presque) est le résultat de vraies sessions d’enregistrement – même si les parties de batterie de Ted Parsons ont été enregistrées du côté de la Norvège et que tout le reste a été mis en boite dans un studio à Brooklyn.
A bien des égards Harvester est pourtant un album froid et distancié. Ce qui veut presque signifier « désincarné ». Il faut une sacrée dose de courage pour rentrer dedans et surtout pour réussir à en sortir entier et/ou sans fuir à toutes jambes. Il y a un peu de Swans dans Harvester, peut être les Swans des années 86 et 87, quelque part juste après Greed/Holy Money et jusqu’à Children Of God inclus : une ligne de basse tirée en longueur par ici, une rythmique (très) ralentie par là. On se rappelle précisément que Ted Parsons était le batteur des Swans à cette époque là et on ne doute pas qu’il s’est fait plaisir en retrouvant quelques uns de ses plans d’alors et pourquoi pas certaines de ses sensations. Plus loin un passage peut évoquer Godflesh alors qu’une ligne de basse, presque groovy mais pas totalement, légèrement claudicante dira-t-on, fait elle diablement penser au God de Kevin Martin. Que des belles références me direz-vous. Oui, mais on s’arrêtera là.
Harvester a presque tout de la copie au carbone et de la démonstration futile. Un exercice de style réussi mais un exercice de style quand même. La musique de Gator Bait Ten, toute référencée qu’elle est – et qui plus est avec des références qui plaisent beaucoup par ici – manque tout de même sérieusement de caractère (comme on vient tout juste de le voir, on ne se pose même pas la question de l’originalité). Le caractère c’est ce truc qui fait toute la différence entre une musique que l’on écoute comme fond sonore et décorum audio tout en exerçant une activité qui n’a rien à voir et dont elle ne saurait nous détourner et une musique qui fait tendre l’oreille, interpelle, nous détourne toutes affaires cessantes de la chose beaucoup trop importante que l’on s’était pourtant juré de terminer, une musique qui donne envie qu’on la réécoute tout de suite après la fin du disque. On est très loin de l’effusion sensorielle et des tremblements involontaires avec Harvester. Gator Bait Ten est une fausse bonne idée en ce sens qu’elle privilégie – mais c’est une constante par les temps qui courent – la précision des formes et des références au détriment d’un peu de chair voire même d’âme. S’il fallait trouver un coupable on désignerait sans aucun doute ces lignes de guitare diaphanes et pâlichonnes ainsi que les nappes de synthétiseurs et toutes les enluminures électroniques qui révèlent souvent d’une platitude extrême. Il faudrait pouvoir écouter Harvester en se focalisant uniquement sur le couple basse/batterie : lorsqu’on y arrive il reste toutefois cette impression d’un artefact ambitieux mais un peu creux.

mercredi 16 novembre 2011

Report : Ulracoït, Membrane et Sofy Major au Raymond's Bar - 12/11/2011





Lorsque j’ai reçu ce mail (collectif le mail, ça fait toujours plaisir) de la tête pensante de Rejuvenation records suppliant presque à genoux ses correspondants étrangers de venir soutenir le moral des troupes sur l’une des dates de la tournée d’Ultracoït, c’est de la déception puis de la colère que j’ai alors ressenties : il n’y avait pas de date programmée à Lyon. Ce n’est pas la première fois ni la dernière qu’un groupe ne passe pas par ici mais l’une des raisons de cette absence lyonnaise était liée évidemment aux problèmes actuels de Grrrnd Zero… On ne va pas refaire le monde, quoique, allons-y encore une fois : il semblerait qu’avoir deux ou trois lieux accueillant des musiques en marge de la production mainstream ou bassement commerciale relève plus que jamais du luxe impensable pour une grande ville telle que Lyon.
Pour assister à un concert du Dirty & Hairy Tour d’Ultracoït il ne restait alors que deux solutions : Saint Etienne ou Clermont Ferrand. La première date avait le mérite de se dérouler, comme presque tout le reste de la tournée, en compagnie des excellents Washingtonians*. La seconde était dans le cadre de la release party du split Membrane/Sofy Major chez Bigoût records. Tant pis pour les Washingtonians repartis chez eux après le concert stéphanois de la veille et ne se retrouvant donc pas à l’affiche de celui de Clermont : puisque les Bigoût Boys m’acceptaient dans leur camion, je ne pouvais pas refuser l’invitation.
Je vous passe les quelques péripéties on ne peut plus tristement banales d’un voyage ennuyeux et austère effectué par six personnes raisonnables et impatientes de découvrir le Clermont Ferrand underground – heureusement que nous avions toute une provision de Snickers et un CD de Pearl Jam pour tenir le coup.




Le Raymond's Bar est un très chouette endroit, autogéré, accueillant et plein de gens sympathiques. Je repère dans la salle du bar les membres d’Ultracoït vautrés sur les canapés et en pleine séance d’échauffement psychique. La salle est encore un peu vide – merde ne me dîtes pas qu’à Clermont Ferrand cela se passe des fois comme à Bordeaux – mais se remplira on ne peut mieux, dépassant les 120 entrées payantes et garantissant le succès de la soirée (la moindre des choses pour une release party, non ?).
Spanked démarre la soirée. C’est un tout nouveau groupe originaire de Besançon – le batteur précisera qu’il s’agissait de leur deuxième concert – et Spanked a les défauts de sa jeunesse : manque de mise en place entre le guitariste et le batteur, chant à deux qui n’a pas encore tout à fait trouvé sa voie (sic) et guitariste qui a parfois du mal à se faire entendre lorsque son petit camarade de batteur envoie la sauce. Ce batteur est incroyable à regarder et à écouter mais il prend un peu trop de place sur son guitariste.
C’est dommage parce qu’il y a de bonnes idées chez Spanked et beaucoup d’originalité – l’utilisation des voix justement et le côté atypique des compositions par exemple – aussi, même si une bonne partie du public est repartie au bar ou n’en a carrément pas bougé depuis le début, quelques uns restent, intrigué par un groupe encore en devenir. A bientôt.



Suivent les Ultracoït, leurs cagoules, leurs slips moulants et leur noise plombée par une grosse basse vibromasseuse par devant et des guitares épaisses par derrière. Il y a du Unsane là dedans, du Cherubs pourquoi pas aussi et du Amphetamine Reptile ça c’est sûr. Avant de commencer à jouer les quatre encagoulés ont décidé de débarquer en petite tenue dans le bar pour rameuter le public, l’un d’eux se jette sur moi sauvagement (je l’ai reconnu malgré son déguisement) et je ne peux que le suivre docilement pour assister au concert, pieds et poings liés devant la scène.
De ce concert je ne regretterai qu’une seule chose : l’absence de Maîtresse Ruth, de sa robe rouge et ses airs goguenards de salope SM et qui faisait office de grande prêtresse de cérémonie lors du concert d’Ultracoït au Fuckfest #3. Malgré cette unique faute de goût à la limite de l’impardonnable – et preuve flagrante d’un manque de charité certain envers les esclaves idolâtres du groupe –, Ultracoït a délivré un excellent concert, bien dense, bien large, bien fort et bien profond et avec un entrain certain. La noise du groupe fonctionne parfaitement sur une scène – sur disque aussi, je vous rassure – et Ultracoït, a gagné de l’aisance (c’est le métier qui rentre) et développe une puissance de feu qui fait plaisir à entendre. Une reprise de Too Drunk Too Fuck vraiment excellente, un dernier coup de boutoir, un dernier orgasme et me voilà chaud comme la braise pour tout le reste de la soirée.



Le reste c’est tout d’abord Membrane que je n’ai encore jamais vu en concert. Le groupe de Vesoul est venu jusqu’à Clermont pour fêter la parution de son LP partagé avec les locaux de Sofy Major (on en reparle bientôt de ce disque). Après la fête du slip c’est donc la fête du split. Disons tout de suite que découvrir en concert un groupe tel que Membrane** ce n’est pas tous les jours que ça arrive mais lorsque ça vous arrive, vous vous prenez une décharge de noise rock carnassier et vindicatif au travers de la gueule : qu’il était bon ce concert ! Pour un peu je vous ressortirais direct le coup du miracle qui ne se produit qu’une fois toutes les 29 lunes mais non, pas besoin.
Pas besoin car Membrane c’est typiquement ce genre de groupe qui joue méchamment carré – et pour cause : leur batteur n’est autre que celui qui a joué avec Spanked auparavant et je suis bien content d’en remettre pour un second tour avec ce musicien psychopathe – et surtout un groupe qui maîtrise les règles inamovibles d’une noise méga lourde teintée de hard core. Membrane arrive largement à faire la différence dans un style aussi ultra référencé par la seule force de compositions imparables et une interprétation sans faille. Ne faîtes pas comme moi qui ait hésité devant le stand du groupe et en suis reparti sans rien, procurez-vous les disques de ces garçons (parus chez Basement Apes).



A tout seigneur, tout honneur. Sofy Major joue logiquement en dernier puisque le groupe est chez lui, au Raymond’s Bar, à Clermont. Le groupe a installé des stroboscopes autour de lui et passera le concert à jouer sous des éclairages épileptiques. Mais il n’avait pas besoin de ça : j’en connais que cela bloque de jouer à la maison devant les copains mais ce n’est pas vraiment le cas de Sofy Major qui va délivrer le concert parfait par excellence, passant en revue les meilleurs titres de son album Permission To Engage et jouant quelques extraits du petit nouveau.
Le sondier du groupe a bien fait son job, le son était équilibré, comprenez que l’on entendait tout et distinctement : la voix rocailleuse, la basse incroyablement énorme et les parties de batterie. Surtout, jamais auparavant je n’avais pu gouter autant à la guitare de Sofy Major, guitare tenue par un chevelu qui ne s’est absolument pas gêné pour profiter de sa supériorité capillaire et, fait nouveau, on pouvait déceler dans le son de la guitare comme un arrière-goût de stoner/70’s bien fort en bouche***, teinte que l’on trouve également sur les quatre titres du split, mais avec plus d’évidence encore.
La musique de Sofy Major a de la (grande) gueule et son mélange est jouissivement étonnant : plus vraiment noise, hard core toujours mais avec une couche de gras et un lustrage à l’huile de vidange et à la sueur qui là aussi fait toute la différence.

Une fois les concerts terminés, la soirée au Raymond’s Bar s’est terminée tranquillement et bien pépère entre gens raisonnables et bien élevés, autour de discussions d’esthètes. Rien en fait qui vaille la peine d’être rapporté ici malgré une bonne humeur générale et communicative entre convives unis par la force et l’amour commun pour la musique.
Précisons enfin que le match retour de cette release party clermontoise aura lieu le 19 novembre chez les Membrane à Besançon, point de départ d’un Drunk Driving Tour de quelques jours.

[on clique sur le flyer pour avoir le détail des dates de cette tournée]




* vous pouvez admirer les photos superbes – et bien d’autres encore – qu’a prises Nada de ce concert à Saint Etienne
** et non pas membre d’âne comme me l’affirmera la bave aux lèvres je ne sais plus quel Ultracoït
*** encore une remarque légèrement impertinente de la part de qui vous savez