vendredi 29 avril 2011

Festival Africantape : interview de Julien Fernandez (3)


[ceci est la troisième et dernière partie d’une interview de Julien Fernandez initialement parue dans le numéro 3 de (new) Noise mais publiée ici en version extra longue – le Festival Africantape ça commence dès ce soir au Clacson puis dimanche au Grrrnd Zero de Lyon et on peut relire le début de cette interview ici et ]

Parlons un peu du Festival Africantape. Vu de l’extérieur cela semble être une aventure complètement folle, non ? Dix-neuf groupes sur trois jours, une centaine de personnes à gérer entre les groupes et les bénévoles, ça ressemble un peu à de l’inconscience, d’autant plus que tu joueras toi-même dans ce festival avec Chevreuil et Passe Montagne…
Je jouerai, et je serai surtout saoul. Le problème majeur ça va être ça. Sincèrement. Ça va être mon rêve ces trois jours. Trois jours avec tous mes vrais amis, ceux qui sont loins, ceux avec qui j'ai une relation extrêmement intime. J'écoute tout le temps leur musique, je connais chaque petit recoin de leurs albums. Ça va être extrême, et puis surtout, tout le monde va se rencontrer, public inclus. Quand je vois que déjà début janvier les gens commencent à booker leur pass, ça me rend dingue parce que je ne pensais pas que ça allait se passer comme ça. J'ai eu peur de l'échec complet, mais à priori, ce festival va être une réussite.
Je suis aidé pour la mise en place du projet par une équipe incroyable, des super héros de l'organisation de concerts : Force Blonde, Force Brune Aux Reflets Roux, Tom-Tom, Fab et un certain Guillaume [c’est sûrement un pseudonyme], plus des bénévoles qui vont être indispensables au bon déroulement du festival.

Comment t’es venue l’envie de monter ce festival ? J’imagine que convaincre tous les groupes ayant publié des disques sur Africantape a du être un sacré casse-tête ?
C'est suite à un pari avec Nico, le guitariste de Ned. Il était chez moi en vacances, et après avoir vu ensemble Marche à l'Ombre avec Gérard Lanvin et Michel Blanc, on s'est dit que ça serait cool de contacter Big'N et Shorty et de monter un festival. Ça tombait bien, car quelques mois avant j'étais à Chicago et j'avais passé la soirée avec Mark Shippy, Bob Weston et tous ces obscurs gars américains qui font réver les jeunes rockers, alors du coup c'est devenu facile pour moi de pouvoir entrer en contact avec tout les groupes cités ci-dessus. Ça a marché pour Big'n, et en plus, je leur ai même proposé de sortir un disque. Et puis voilà, tout est parti de ça. Pour Shorty, à mon grand regret, ça n'a pas fonctionné. Ensuite, un email a suffi. Tout le monde a répondu présent, sauf Shipping News, qui pour des raisons de santé ne peuvent pas se déplacer [ndlr : Jason Noble souffre toujours d’un cancer mais va de mieux en mieux]. Les Hey! Tonal ne pouvaient pas non plus car Hey! Tonal est un side project pour chacun des musiciens qui sont déjà extrêmement occupés.















 


[Marvin aux Abattoirs de Bourgoin-Jallieu]

Qu’attends-tu exactement du festival Africantape ? Est-il plutôt une façon de faire le point après trois années intense ou au contraire de prendre encore plus d’élan pour les trois prochaines ?
Ça sera les deux, monsieur. J'espère surtout qu'il donnera un élan à la suite.

Tu habites en Italie, tu joues avec des musiciens français dans Chevreuil et Passe Montagne et maintenant tu montes un festival de trois jours sur Lyon à la fin avril : quel est le secret de ta surpuissance bio-ionique ?
Je suis positif et enthousiaste, c'est tout… Je me rends compte que la vie est courte. Je tourne aussi à la Guarana [ndlr : une plante amazonienne bourrée de caféine] et puis surtout, j’ai la chance d’avoir un fils qui me communique une positivité incroyable. Moi je vous dis que tout est possible!

Peux-tu me dire un mot sur Sam Cochetel, l’auteur des superbes illustrations qui ornent le site et tous les visuels du festival Africantape ?
Samuel c'est le guitariste de Passe Montagne. C’est aussi un pote d'adolescence de Tony Chevreuil. Voilà, il est graphiste, illustrateur. C’est son job, en freelance. Il est très très doué ma foi, et donc ça a été tout naturel finalement de lui proposer de faire ça. J'avoue qu'avant j'avais pensé travailler avec une artiste qui vit à Nantes et qui fait des installations superbes, mais finalement, on est partis sur Sam. C'était plus simple aussi car il était déjà investi dans le label en tant que musicien et ami proche. Je conseille à tout le monde de faire un tour sur son site.

A quoi peux-ton s’attendre de la part d’Africantape après le festival ? As-tu déjà des sorties de prévues ? Des rêves inaccessibles qui vont enfin se réaliser ? Des gens que tu voudrais embrasser ?
J'ai des sorties en tête, mais je ne prévois rien de précis avant de connaitre l'issue du festival. Des trucs plus pop, mais aussi en même temps, des choses beaucoup moins accessibles. Et sinon, il y a ce fameux disque reçu samedi, qui est je crois, le meilleur disque que j'ai entendu depuis 19 ans. C'est beaucoup dire, mais je le crois sincèrement [pour en avoir écouté un bout on peut vous que l’on est prêts à partager son enthousiasme].

jeudi 28 avril 2011

Festival Africantape : interview de Julien Fernandez (2)


[ceci est la deuxième partie d’une interview de Julien Fernandez initialement parue dans le numéro 3 de (new) Noise mais publiée ici en version extra longue – la fin demain, pour lire le début, c’est ici]

Pendant très longtemps tu n’as été pour moi « que » le batteur de Chevreuil puis celui de Passe Montagne. D’où t’es venue l’idée de fonder le label Africantape ? Avais-tu eu d’autres expériences du même genre avant ? 
Je devais être bourré quand j'ai décidé de faire ça, honnêtement… Je savais très bien que c'était mission impossible que de monter un label en 2008. Mais rien à foutre comme dirait l'autre. Qui ne tente rien n'a rien. J'avais déjà rien, alors bon…
L'unique expérience que j'avais eu, c'était de travailler la promo et quelques trucs de graphisme pour Ruminance. Avec Chevreuil, j'ai ensuite rencontré beaucoup de monde, un peu partout. C'est ça qui m'a aidé.
Et finalement, mon expérience professionnelle, c'est de taper sur une batterie, de casser des baguettes et des cymbales, puis de boire des coups après les concerts. Je reçois depuis peu des demandes de stage, et certaines personnes me demandent quelles études il faut faire pour monter un label, et bien ma réponse est catégorique : il n'y en a pas. Ça serait bien trop facile sinon.

D’où viennent tes choix de groupes ? Manifestement, le catalogue Africantape, après trois années d’existence du label, est plutôt varié : il n’y a pas beaucoup de rapport par exemple entre des groupes comme Three Second Kiss, Hey! Tonal et Ventura. C’est ton instinct qui parle uniquement ? Ou alors tu développes une stratégie commerciale connue de toi seul pour dérouter et annihiler la concurrence ?
Je ne sais pas vraiment. Il y a un peu de hasard en fait. Je laisse faire les choses. Souvent, je me déplace pour voir et rencontrer les musiciens qui m'intéressent. Dès fois je vais très loin pour ça, je prends même l'avion pour aller en Amérique, c'est pour dire comme je suis motivé car je déteste l'avion.
Mais sinon, la règle est que j'aime être surpris, c'est ça qui compte le plus. Surpris par un son. Il y a une semaine [ndlr : nous sommes mi janvier] j'ai reçu un enregistrement. Je crois que c'est le meilleur enregistrement que j'ai jamais reçu depuis que je travaille dans la musique. Le procédé a été simple : à 9 heures du matin je commence l'écoute, à 9:07, j'arrête pour me dire que c'est impossible, ça ne peut pas exister un album comme celui ci... Après une clope et un café, à 9:16 donc, j'appelle le groupe… Et puis voilà, je vais les rencontrer en février pour discuter.
Et puis il y aussi le cas de ceux que je connais depuis longtemps, que j'apprécie comme amis, mais aussi comme musiciens (je ne sors pas les albums de tous mes amis, bien entendu!).
Je ne pense pas une seconde à une stratégie commerciale. Ça serait dégueulasse. Certains pensent qu'un disque ou un groupe est plus vendeur qu'un autre et prennent leurs décisions uniquement à partir de ce critère. Moi je m'arrète naivement à la sensation qui va me dire : j'aime ou je n'aime pas.























Tu me sembles avoir un mode de fonctionnement très libre (par exemple tu ne fais pas signer de contrat). La confiance que tu places entre toi et les groupes avec lesquels tu travailles est elle un choix délibéré ou est ce que tu ne pourrais tout simplement pas travailler autrement ? Est-ce parce qu’en tant que musicien/groupe tu as eu toi-même des expériences moyennement concluantes ?
Pour moi les contrats, c'est comme des factures. Si on peut les éviter, c'est mieux, non ? Les contrats ça lie les groupes aux labels d'une manière administrative et froide. C’est donc contraire au concept libre de la pratique de la musique. Je crois que les choses doivent fonctionner de manière simple : un disque a un coût. L’idée est de le rembourser, puis ensuite de partager les bénéfices, s’il y en a. Ça s'arrête là.
Et en tant que musicien, j'ai toujours eu du bol. J’ai travaillé uniquement avec des gens honnêtes. Mais je sais qu'il y a des fumiers, pour ne pas dire des enculés, qui fonctionnent de manière beaucoup moins sympathique.

Un label comme Africantape est il économiquement viable aujourd’hui ? Comment fais-tu pour t’en sortir ? Tu as publié énormément de références ces deux dernières années, vas-tu continuer sur un tel rythme ? 
Ce n'est pas viable. Mais ça tient la route. Je n'ai AUCUNE aide. Et c'est un choix. Selon moi, la seule chose qui peut faire qu'un label fonctionne, c'est d'être seul contre tous ! Évidemment je ne parle pas de compétition entre labels, mais de l'idée que la hargne, la patience et la volonté d'une seule petite personne ou entreprise puisse par ses choix et positionnements générer suffisamment d'attention pour exister. Je me sens très isolé ceci dit avec le label. Je vis dans une petite ville italienne où il n'y a même pas un seul magasin de disques et où les concerts sont rares. J'ai aussi goûté au snobisme du music business : certaines distributions en France ou ailleurs m'ont envoyé ballader plus d'une fois au début en me disant que mon label et mes groupes c'était de la merde. Aujourd'hui je remercie ces personnes qui m'ont donné envie de continuer, avec encore plus d'envie. Je trouve ça marrant, ça fait un peu comme Chevreuil finalement.
Le grand hic, c'est que je n'ai pas d'économies, enfin je n'en ai plus du tout, mes économies sont devenues des rangées de disques sur mes étagères. Je ne sais donc pas si je continuerai à ce rythme. Mais sincèrement, je l'espère. La seule chose qui m'aide, c'est mon travail avec mon agence de promotion 5ive Roses Press. C'est mon travail alimentaire (que j’aime, par chance !).

mercredi 27 avril 2011

Festival Africantape : interview de Julien Fernandez (1)


Ceci est la première partie d’une interview de Julien Fernandez initialement parue dans le numéro 3 de (new) Noise mais publiée ici en version extra longue. Rappelons que Julien est le boss d’Africantape mais également batteur de Chevreuil et de Passe Montagne et instigateur du Festival Africantape qui se déroulera cette fin de semaine au Clacson et au Grrrnd Zero de Lyon. La suite demain.

Lorsque Chevreuil a débarqué au tout début des années 2000 avec un premier 12’ certes encore maladroit (Sport, coédité par Ottonecker et RuminanCe) puis deux albums dont je pense toujours qu’ils sont tout bonnement incroyables (Ghetto Blaster et Chateauvallon, sur les deux mêmes labels), le groupe était vraiment très éloigné pour ne pas dire en avance sur tout ce qui se faisait à la même époque en France. Maintenant que les groupes de « math rock » pullulent as-tu l’impression avec Tony [guitariste de Chevreuil] d’avoir insufflé un esprit, créé une dynamique ?
On était en avance, c'est certain… je veux dire : en avance aux répétitions. On était tellement mauvais qu'on se pointait bien avant pour voir si, par chance, le groupe d'avant n'était pas venu, pour que l'on puisse ainsi bénéficier de plus de temps et travailler davantage sur notre bordel.
On a commencé sans avoir l'intention d'être un groupe de musique. C'était juste absolument juste lié à nos études aux beaux arts. Et puis Tony a rencontré ses pédales de sample, il a eu cette super idée à l'époque (1998) de monter ce réseau étrange d'amplis, c'était digne de la machine à remonter le temps de Retour Vers Le Futur. Alors moi j'ai décidé d'acheter une vraie batterie.
Je me rappelle qu'à nos débuts nous étions vus comme des branleurs. Des couillons qui pétaient plus haut que leur cul. Mais en réalité, on était juste deux blaireaux qui avançaient maladroitement dans l'inconnu.
On essayait, tout simplement. C'était très drôle d'ailleurs. Et puis combien de fois on a du se battre pour jouer au milieu du public. On nous le refusait très/trop souvent. C'était très frustrant. Alors qu’ensuite c'est devenu la mode : soudain tout le monde devait jouer au milieu du public et ça c'était évident. C'est con les modes. Mais ça marche comme ça, c'est comme les mobylettes : Si tu es le premier dans ton bled à mettre un pot Pollini avec une superbe barre de renfort et si tu rabaisses ta selle, tu peux être sur qu'une semaine après tout le monde te copie dans l'espoir de se taper toutes les filles du quartier.
Créer une dynamique, j'aurai vachement aimé, mais la dynamique elle était déjà là. Insufflé un esprit ? Peut être… celui de faire des duos guitares/batterie et d'avoir un nom de groupe en français à la con.















Chevreuil est souvent cité comme une référence et/ou une influence et pas seulement en France. Mais toi, quelles sont tes propres références ? Quels sont tes disques préférés de tous les temps ? J’imagine que tu es un très gros fan de musique ? Tu achètes toujours des disque ?
Honte à moi, je n'achète plus de disques. Ou alors c'est extrêmement rare. Je suis un gros fan de musique, mais je ne suis pas pour autant un connaisseur. Je fais confiance à mes sensations, c'est tout. J'adore Today Is The Day, Shorty, The Jesus Lizard, Big'N, The Lapse, Snailboy, Led Zeppelin, Elvis Presley, Break Machine, Michael Jackson ou Sabrina par exemple. Mon disque préféré de tous les temps : Physical Graffiti de Led Zeppelin, ou peut etre bien le tout premier 45 tours de Shellac, The Rude Gesture : A Pictorial History. Shellac a commencé à me décevoir dès Action Park. La liste pourrait être beaucoup plus longue, j'aime trop de choses. Parfois je m'arrête aussi sur un passage d'un morceau de variété que je trouve très bien pensé. Ceci dit, je ne qualifierai pas ces musiques de références liées à la musique que je pratique. c'est des musiques auxquelles j'adhère, que je trouve bien. Gilles de Passe Montagne n'écoute presque que de la musique colombienne et des musiques traditionnelles, ça ne l'empêche pas d'avoir une Fender Mustang 69 et d'être un rockeur inimitable.

Pourquoi avoir monté Passe Montagne en plus de Chevreuil? A l’époque vivais-tu déjà en Italie ?
C'est à la suite de retrouvailles avec Gilles que nous avons commencé Passe Montagne. Gilles est un pote d'enfance (d’adolescence ?). On avait tous les deux une 103 SP kittée et on a commencé la musique ensemble. On a monté différents groupes plus ou moins pourris (à l'époque, je jouais de la guitare ou de la basse et je chantais, lui jouait de la batterie), puis vers nos 20 ans, on a filé chacun de notre côté pour se retrouver donc dix ans plus tard, à Nantes. Alors pour se rappeler le bon vieux temps, on a préféré recommencer à jouer tous les deux plutot que de réinvestir dans des mobs. Il jouait du Tiplé au début, une sorte de guitare acoustique colombienne, très aigue, et moi de la batterie [ndlr : en espagnol tiple signifie aigu ou soprano].
On a fait une répète avec un violoniste russe, une harpiste, puis ensuite une avec Sam. On a choisi Sam finalement. Voilà. Plus tard, je suis parti en Italie mais nous avons continué, malgré les emplois du temps serrés, notre amateurisme et la distance.

Pourquoi finalement avez-vous décidé avec Tony de réactiver Chevreuil ? Peut-on espérer un nouveau disque de votre part ? J’ai entendu parler d’un double LP et d’une expérience stéréophonique, peux tu m’en dire un peu plus ?
C'est grâce à Rodolphe, de la Cartonnerie à Reims. Tous les ans il m'écrivait : Alors ? C’est pour quand ? Au bout de la quatrième année, j'ai enfin craqué. J'ai dit OK. Let's go. Et puis donc voilà. On s'est dit, essayons… On va forcément s'amuser ! (et ça a été le cas pendant la tournée bien entendu). Il faut dire que je souhaite à n'importe qui de voyager avec nous pendant une tournée tellement c'est bien dans le van (rires).
Sinon oui, on peut espérer quelque chose. Quand ? Pas de réponse, mais on y pense, c'est déjà beaucoup. On a une idée de double LP quadriphonique. Ça va être spécial, invendable (merci Africantape) mais finalement, ça sera la seule et unique manière de pouvoir écouter notre musique, telle qu'elle est vraiment, de l'intérieur donc. Je n'en dis pas plus évidemment !

mardi 26 avril 2011

L'Enfance Rouge / Bar - Bari


François Cambuzat, chanteur et guitariste de L’Enfance Rouge, a beau affirmer qu’il se moque des supports audio, qu’un vinyle ne sert à rien, qu’un CD c’est dépassé et que pour écouter de la musique seuls des mp3 en 320 kbits/s suffisent à son tempérament de baroudeur insatiable, nous on affirme au contraire que Bar-Bari, le dernier disque en date de son groupe, a sacrément de la gueule et qu’en plus il sonne terriblement bien lorsqu’on l’écoute via une double rondelle de plastique de 25 centimètres de diamètre.
Déjà disponible en CD chez Wallace records, Bar – Bari bénéficie donc également d’une parution en vinyle grâce aux Disques De Plomb. Comme d’habitude avec le label (confère les deux premiers volumes des Rosemary K’s Diaries, les splits Marvin - Zëro et Binaire - Nicolas Dick) le format choisi est le plus beau de tous les formats des disques vinyle, le 10 pouces, sauf que cette fois-ci, vu la longueur de l’album, il s’agit d’un double, dans une pochette gatefold, ce qui permet une fois de plus de bien profiter du superbe artwork, ici l’œuvre de Igor Hofbauer (allez, je vous aide un petit peu, le bonhomme a également fait quelques visuels pour Blurt).





















Bar – Bari c’est uniquement huit titres et hormis le premier d’entre eux, Perquisitions, il s’agit de nouvelles versions de titres déjà parus sur l’album Trapani – Halq Al Waady, le précédent et superbe enregistrement de l’Enfance Rouge réalisé avec l’intervention de nombreux musiciens arabes et orientaux et les arrangements magnifiques de Mohamed Abid. Le but de Bar – Bari c’est donc de proposer les versions décharnées de ces compositions, dans l’esprit du trio de base (celui que l’on peut écouter et apprécier sur l’album Krsko – Valencia), proche de ce qu’il est en concert, dans toute son immédiateté et toute sa crudité. Certains fans de L’Enfance Rouge vont ou ont déjà hurlé à la supercherie mais il n’y a pas de quoi : les versions de Bar – Bari sont très différentes de celles de Trapani – Halq Al Waady. On a parfaitement le droit de préférer les unes aux autres mais ce qui est proposé ici reste de qualité.
L’effet de déjà entendu est également suspendu par le fait que l’ordre des titres est totalement différent. Si on remettait les titres de Trapani – Halq Al Waady dans l’ordre de Bar – Bari on serait certes moins perdus dans ce jeu de piste qui sollicite à la fois nos souvenirs et nos sensations… mais je veux bien vous aider à nouveau : la séquence pour écouter les titres de Trapani – Halq Al Waady dans le nouvel ordre est 11/6/7/3/2/10/1, à condition de connaitre Bar – Bari en CD, puisque dans sa version vinyle l’ordre est encore quelque peut différent (est ce que tout le monde suit ?). Alors ne boudons pas notre plaisir.
Et notre plaisir c’est un groupe assez unique en son genre, un groupe de vagabonds et de militants, au travers de la musique duquel transpirent toutes sortes d’influences hors musique occidentale (oui cela s’entend, même sans les arrangements de Mohamed Abid) et utilise au moins autant de langues pour chanter qu’il y a de nationalités différentes parmi les membres du groupe. L’Enfance Rouge n’échappe pas toujours à ce romantisme et ce côté littéraire des groupes à textes mais le trio a toute l’énergie et la tension d’un groupe de post punk et de noise – ce dont il ne se revendique d’ailleurs pas –, amoureux d’ailleurs et de ce qu’au pire on pourrait qualifier de « folklore mondial », mais sans aucune démagogie. Seul moment pénible du disque, la participation de Bertrand Cantat (toujours aussi incapable de ne pas en faire des tonnes) qui plombe l’ambiance à la fin de Vengadores.

lundi 25 avril 2011

Tim Hecker / Ravedeath, 1972






















On raconte volontiers cette histoire – et à mon avis à tort, bien que je le fasse aussi : en 1972, des étudiants du Massachussetts Institute of Technology se sont mis en tête de balancer un vieux piano du sommet du toit de leur université, ouvrant ainsi une nouvelle ère par un rituel qui aujourd’hui se perpétuerait encore. Le canadien Tim Hecker est un jour tombé sur une photographie prise pendant l’évènement initial, celle-là même qui orne la pochette de son sixième album solo, Ravedeath, 1972 (paru chez Kranky). Ce cliché et cette histoire sont à la base de la composition et de l’écriture de l’album, ayant agit sur Tim Hecker comme un élément inspirateur et cathartique. Honnêtement de telles motivations – même si elles ont été nécessaires à l’auteur de Ravedeath, 1972 – ne nous intéressent que très moyennement : ce piano jeté d’une hauteur telle qu’il n’en est plus rien resté est une histoire amusante, un acte gratuit dont on aurait aimé qu’il soit d’essence libertaire mais, avec un certain recul, cette histoire est surtout dénuée de toute poésie et de toute signification politique ; on a plutôt l’impression d’assister à une bonne grosse blague d’étudiants à lunettes qui s’emmerdent et qui ne savent pas quoi faire pour s’occuper. En 1972 l’esprit frondeur et revendicateur de la fin des années 60 est déjà un vieux souvenir, c’est la gueule de bois, et que les étudiants du MIT continuent aujourd’hui de jeter des pianos des toits de leur fac est un signe évident de potacherie dénué de tout autre fondement, et ce dès le départ.
Et c’est précisément sur ce point précis que réside tout le génie de Tim Hecker. Si le musicien a été envouté par cette photographie, il a aussi construit quelque chose d’autre autour d’elle, un disque précisément. Il ne s’est pas arrêté aux faits, à leurs explications possibles, à leurs significations éventuelles (ou absence de significations). Et on comprend parfaitement ce qu’il a pu ressentir en découvrant pour la première fois cette photographie, puisque en découvrant nous-mêmes la pochette de Ravedeath, 1972 on a eu le même genre de choc : on peut difficilement faire plus intrigant et même si l’explication en est décevante, cette photo continue malgré tout de fasciner. Une photographie c’est après tout un moment figé, un temps passé, un tout petit bout d’action, des points de suspension, des interrogations, du hors-cadre, du rêve et pourquoi pas des envies. Exactement tout ce qu’évoque également la musique de Tim Hecker. Celle-ci est à la fois très connotée – des termes qui reviennent en boucle à propose de Tim Hecker : évanescence, brouillard, ambient, electro minimale, intimité, etc – mais aussi et surtout sujette à toutes les interprétations et extrapolations de la part de l’auditeur. Et sur Ravedeath, 1972 Tim Hecker va toujours profondément dans sa nature de catalyseur de rêves.
C’est d’autant plus vrai qu’aux premières écoutes du disque on est frappés par le mélange d’intimité et de majesté qui en émane, on en vient même à prononcer les mots de mystique et de cathédrale tant les échos résonnants et les sonorités employées nous évoquent les vibrations de vieilles pierres chargées d’histoire, une histoire que bien évidemment on ne connait pas ou que l’on préfère ignorer. C’est en lisant les notes techniques du disque que l’on apprend que Ravedeath, 1972 a été enregistré dans une église – en bois ! – de Reykjavik, en Islande. Certains éléments se mettent alors en place, comme l’utilisation presque centrale de l’orgue ou la majesté mi-funèbre mi-lumineuse de la réverbération. Mais là aussi les explications deviennent inutiles : tout comme la photo illustrant le disque conserve toute sa liberté d’interprétation, la musique de Tim Hecker vole de ses propres ailes, tout comme elle finit par n’appartenir qu’à celle ou celui qui l’écoute. Ravedeath, 1972 est de très loin le plus beau et le plus émouvant disque de Tim Hecker.












Tim Hecker est actuellement en tournée européenne et pour les lyonnais, le concert se déroulera au Sonic le 4 mai prochain en compagnie de Witxes et de notre ami Cogne & Foutre – et non plus à Grrrnd Zero comme initialement prévu, suite à d’intenses tractations esthético-financières qui ne nous regardent pas.

samedi 23 avril 2011

Ce week-end : Fuckfest !






















Nextclues, le webzine qui a toujours raison, et GTOK? GTKO!, organisateur de concerts bien connu des indigènes parisiens, présentent le FUCKFEST, troisième du nom, en ce week-end de Pâques (trois jours de débauche insatiable aux frais d’un vague souvenir religieux).
Le représentant officiel de 666rpm y sera, non pas pour tenir un stand – pour cela il y aura la présence de disquaires et distros – mais pour assister à deux soirées de concerts pour lesquelles on salive à l’avance :
- ce soir samedi 23 avril, à partir de 18 heures et pour 10 brousoufs seulement : Desicobra, Louise Mitchels, Pord, Chevreuil, Kimmo et Kourgane
- demain dimanche 24 avril, même horaire et même tarif : Ultracoït, La Race, Aerôflôt, Headwar, Shub et Marvin
Le tout se déroule à Mains d’Œuvre, à Saint Ouen.
Je vous laisse aller sur le site des organisateurs pour plus de détails, considérations techniques, réclamations diverses et autres demandes de renseignements.
Enjoy.

vendredi 22 avril 2011

DesiCobra / Live A Bombay






















Jeune trio de vieux basé à Paris, DesiCobra ne cache pas son jeu pendant très longtemps : son Live à Bombay débute par un(e) Chimie qui permet d’emblée à John Carpenter de nous sauter au visage, accompagné de quelques cauchemars pourtant bien réels. Impossible en effet de ne pas penser au réalisateur américain – également compositeur de beaucoup de ses musiques de films – sauf qu’ici c’est la basse (tenue pas un ancien Schoolbusdriver) qui va inlassablement égrener les mêmes notes, minimales et entêtantes, et non pas un synthétiseur. Je vous rassure malgré tout, il y a du synthétiseur dans DesiCobra, beaucoup même, et sur Chimie il finira par s’y mettre aussi mais c’est toujours cette basse que l’on va garder en tête sur toute la première partie du titre, avant que l’acide ne fasse effet sur une seconde tranche aussi virevoltante que sidérale.
Malgré l’aversion naturelle que peut ressentir tout mélomane normalement constitué face au synthétiseur, un instrument à touches et en plastique permettant de moduler des ondes électriques et certainement inventé par le diable, on est bien obligé d’admettre que DesiCobra ne pratique pas vraiment ce rock progressif et boursouflé tant haï, celui qu’écoutaient nos grands frères et grandes sœurs dans les années 70. Il y a sûrement moult références seventies dans la musique du trio, et peut être même des bonnes – comme des musiques de gialli italiens – mais ce sont des choses dont en fait on n’est guère spécialiste par ici. L’important c’est que DesiCobra ne fasse pas de la musique à moustaches (quoi que : sur Silver on ne peut pas s’empêcher d’entendre les Stranglers et les parties incroyables de Dave Greenfield) et propulse son acid rock à l’aide d’une rythmique qui elle est la digne héritière de l’assèchement post punk et de la tension du noise rock – on a déjà parlé de cette basse au son métallique et rond (la quatrième titre s’intitule Weston) mais il y a également un batteur shubien dans l’affaire, affaire qu’il tient magistralement du bout de ses baguettes.
Morceau à part, Ta Bouche Immense est le titre le plus robotique, le plus métronomique, le plus post punk et le plus dansant de Live à Bombay, avec une insistance qui frise la crise de nerfs. Je n’ai par contre toujours pas trop compris pourquoi des textes/paroles étaient associés à cette ultime composition du disque, puisque comme toutes les autres elle est purement instrumentale – à moins que j’aie encore raté quelque chose. Qu’importe, Live à Bombay est un chouette bon disque, dans tous les sens du terme puisqu’il a été pressé sous la forme d’un 10 pouces et qu’il a été édité avec l’aide de Rejuvenation ainsi que celle de Et Mon Cul C’est Du Tofu ? sur le site duquel vous pouvez d’ailleurs le télécharger librement et en entier ; sinon Live à Bombay est également en ligne sur la page Bandcamp de DesiCobra. Enfin, et ce n’est pas la moindre des informations, le trio fait partie de la programmation du Fuckfest #3, les 23 et 24 avril, c'est-à-dire demain et après demain. Be there.

jeudi 21 avril 2011

La Race / self titled






















Ce 12 pouces est le deuxième enregistrement publié par La Race, sémillant groupe de jeunes gens comprenant entre autres deux membres d’Headwar et un ancien guitariste de Death To Pigs. Le premier disque du groupe était un 7 pouces sans titre et vomissant cinq compositions violentes et crues. Le nouveau est un 12 pouces mais avec deux compositions seulement, une par face, allez donc comprendre. On trouve aussi un épais livret de quelques 28 pages ne comprenant que des photos d’identités – je pourrais vous raconter que je suis en page 7, dernière ligne, le deuxième en partant de la gauche mais ce n’est pas vrai – et je dois avouer que j’ai perdu pas mal de temps à essayer de reconnaitre des gens que je ne connais pas puis j’ai abandonné, trouvant le principe d’une telle accumulation de trombines toujours aussi amusant, même si il n’y a rien de nouveau là dedans – par exemple au recto de No New York on retrouve toutes les photos d’identité de tous les membres des quatre groupes jouant sur cette compilation et certaines sont vraiment drôles et/ou inquiétantes.
Pourquoi je parle de No New York ? Parce que sur File-Moi 20 Boules (face B) on entend très distinctement son influence, pas seulement dans les stridences de guitare que l’on avait déjà pu découvrir et aimé chez Hallux Valgus ou Monosourcil et dans une moindre mesure chez Death To Pigs (puisque le guitariste est le même) mais aussi dans cette batterie jouée comme une suite d’uppercuts couronnés par quelques crochets du droit assassins. La baffe est garantie, non ce n’est pas vraiment une baffe, plutôt un passage à tabac à l’ancienne avec plume et goudron puis écartelage. Le son est incroyablement sale, tout comme la voix – perdue dans le mix – est rauque, enrouée même. Sur sa dernière partie File-Moi 20 Boules vire à l’affolement général. Ma Race est complètement essorée.
Le cas de Stephan Eicher Doit Mourir (Face A) est un peu plus compliqué : le titre est long, très long (plus de sept minutes) et c’est précisément pendant ce temps là que j’ai d’abord regardé toutes les photos de l’insert, à la découverte de nouvelles têtes. J’aurais toutefois eu tort de rester bloqué sur un tel constat de longueur : Stephan Eicher Doit Mourir n’est jamais que la version Drunk With Guns de File-Moi 20 Boules, tout y est répété lentement et inlassablement, jusqu’au malaise, jusqu’à l’os et dans la douleur, avec une sorte de complaisance et de conscience dans le mal qui fascine étrangement – décidemment j’adore le jeu de ce batteur. Sur Stephan Eicher Doit Mourir La Race fait preuve de bien plus de cruauté et de personnalité encore et cette première face, malgré toutes les difficultés qui lui collent au cul, me semble être la véritable signature du groupe.
Ce disque est disponible auprès de tous les labels qui se sont cotisés pour payer sa sortie à savoir (par ordre alphabétique) 213 records, Et Mon Cul C'est Du Tofu ?, Label Brique, Piou Piou! records et Pouet! Schallplatten.
Mais le mieux, si on est parisien ou qu’on peut se déplacer, c’est d’aller au Fuckfest #3 qui se tiendra les samedi 23 et dimanche 24 avril à Mains D’Œuvres – un festival incontournable organisé par Nextclues et GTOK? GTKO! et dont je vous laisse goûter à l’excellence de la programmation.

mercredi 20 avril 2011

Pord / Valparaiso


On avait apprécié la toute première démo de Pord, on avait encore plus aimé Joyeux Minosa, la contribution du groupe à un split single inoubliable partagé avec Xnoybis, et puis on avait adoré découvrir le trio sur scène – enfin ! – lors d’une tournée des bars pourris de France effectuée à l’automne dernier, tournée qui fort heureusement était passée dans la ville merveilleuse et chaleureuse où j’ai le bonheur d’habiter.
Depuis on attendait le premier album de Pord. On l’attendait avec cette fébrilité intense et cette impatience fanatique qui vous aveuglent complètement d’espoir mais vous détruit totalement le cœur et le gras du bide en cas de cruelle déception. Valparaiso sortira officiellement le samedi 23 avril 2011, à l’occasion du passage de Pord au Fuckfest #3. Puis le groupe refera une énième tournée en compagnie des lyonnais de Burne – à noter un passage aux Capucins de Lyon le 28 mai, avec également Quartier Rouge.




















Valparaiso est bien ce disque que l’on espérait. Mieux : Valparaiso est LE disque que l’on attendait. Pord fait bien plus que confirmer tous les espoirs que l’on portait dans le groupe avec un album de noise/hard core intense et complexe, meurtrier et sans pitié, braillard et immédiat. Que ces trois garçons aient réussi à atteindre un tel niveau d’excellence laisse pantois, d’autant plus que cette excellence là on finit rapidement par l’oublier ou plus exactement elle n’est pas une fin mais un moyen, un moyen pour atteindre un plaisir sans nom et saisir toute son intensité.
L’intensité c’est qui caractérise le plus Pord et sa musique, intensité et densité devrait-on dire car Pord, tout en déployant une puissance de feu rarement égalée avec une conviction jamais démentie, ne se donne pas non plus tout ce mal pour rien : le groupe sait mettre du contenu dans ses compositions, a de l’épaisseur, donne du sang à boire et offre de la chair pour mordre dedans. Mais il n’y a rien non plus d’inutile ou de superflu ici, il n’y a pas d’effets de manches stériles et de positions racoleuses : Pord aime donner des structures complexes et progressives à ses compositions mais on ne pourra jamais accuser le groupe d’en rajouter, de trop en faire et de vouloir se faire remarquer en surenchérissant constamment. Comment le groupe pourrait-il d’ailleurs surenchérir puisqu’il est totalement et constamment dans le rouge ?
Équilibre parfait entre sauvagerie et maîtrise, entre chaleur et toute absence de pitié, Valparaiso est le grand album d’un grand groupe. Ecoutez ce disque, procurez-le vous si vous le pouvez et allez voir Pord en concert, sinon vous risquez de passer complètement à côté de l’une des meilleures choses de cette année 2011 en matière de noise/hard core. Et puis merci à Contreplaqué records, Gabu, Ocinatas Industries, Prototype records et Rejuvenation d’avoir bien voulu se cotiser pour permettre la parution de Valparaiso.

mardi 19 avril 2011

The Austrasian Goat / Stains Of Resignation























Il n’y a pas vraiment de mystère autour de The Austrasian Goat : tout le monde sait ou peut facilement apprendre que derrière ce nom ce cache Julien Louvet, du label 213 records, auparavant dans un combo hard core du nom de ShallNotKill puis dans Meny Hellkin. Il est désormais le nouveau guitariste des géniaux Death To Pigs (dont on annonce un nouvel enregistrement pour cet été). Non, le mystère Austrasian Goat est ailleurs, dans ce flot d’enregistrements quasiment incessant depuis cinq années, enregistrements dont pas un seul ne saurait être mis de côté ou même ne serait-ce que légèrement déconsidéré. Le mystère c’est surtout cette musique à la fois organique et irréelle, dans la violence et la beauté de son propos. The Austrasian Goat ce sont donc des disques de plus en plus aboutis, de plus en plus ténébreux et inconfortables mais aussi des disques de plus en plus captivants pour ne pas dire ensorcelants.
Stains Of Resignation, sorti fin 2010 sur Music Fear Satan, est le deuxième album de The Austrasian Goat, après une flopée de 7’ et autres split singles ainsi qu’une excellente (demi) compilation, Piano & Stump. Toujours seul aux manettes – quelques invités toutefois sont venus poser une ligne de violoncelle, quelques touches de guitares ou un peu de glockenspiel – The Austrasian Goat présente sur Stains Of Résignation un travail de longue haleine s’étalant entre les années 2009 et 2010 et surtout il déploie des moyens d’une envergure, d’une multiplicité et d’une intensité encore jamais vus chez lui.
Even In Uneven démarre en trompe l’œil : le début du titre est muet, c’est une guitare sèche et un violoncelle que l’on entend. Pourtant c’est bien un black metal lent et lourd qui déboule, échappant non seulement à toute emphase mais surprenant avec son saxophone trublion. Even In Uneven est la première très grosse sensation d’un album qui ne va pourtant pas en manquer. A Liquid Manure Of Guilt est lui la première des incarnations folk de Stains Of Resignation – enfin on devrait plutôt parler de « dark folk », celui des Swans au tournant des années 90 et celui de Skin ou d’Angels Of Light, des références encore plus évidentes sur Miles From Anywhere, bien que le chant n’ait ici rien à voir avec celui de Michael Gira. Sur Voice Of Aenima c’est un chant féminin qui fait son apparition, celui justement de Jarboe : le moindre mérite de The Austrasian Goat et la moindre des qualités de Stains Of Resignation n’est pas d’avoir rendu la prestation de la dame pour une fois supportable – les allergies consécutives à son chant de Castafiore gothique ne refont pas trop surface mais Voice Of Aenima n’est qu’une agréable parenthèse au milieu du disque avec un featuring relevant certainement plus du fantasme de musicien que de la nécessité.
Comme pour une espèce d’hommage, Hands, le titre qui suit juste après Voice Of Aenima, développe un formidable riff digne des vieux enregistrements des Swans. Ce qui n’empêche pas Hands d’évoluer après vers un black metal processionnaire et glauque tout en gardant sa lourdeur oppressante d’origine. A l’opposé Arrheton est le titre le plus rapide et le plus norvégien, le plus true de l’album. Diseducation est un autre titre plus formalisé et plus classique, d’un black metal mid-tempo et guerrier finalement pas très original. The Austrasian Goat excelle dans ce genre d’exercice mais on le préfère plus nuancé, comme sur The Arsons Of Pride et No crowd Will Be Mine (qui empruntent à plusieurs genres et varient les ambiances, en particulier le second, au passage l’un des plus très beaux titres du disque).
Ce qui est vraiment convaincant sur Stains Of Resignation – exception faite peut être du titre avec Jarboe – c’est que quel que soit l’angle abordé, The Austrasian Goat n’en démord pas, ne lâche pas prise et ne concède rien. L’erreur à propos de ce disque est exactement celle opérée par cette chronique et sa description titre par titre : certes certains peuvent s’écouter séparément tant ils varient dans leur composition mais Stains Of Resignation doit surtout être écouté en intégralité et sans coupure pour en saisir toutes les nuances, tous les embranchements et tous les niveaux. Ainsi Diseducation juxtaposé avec Miles From Anywhere prend un tout autre relief de même que Arrheton met en valeur Voice Of Aenima ou que A Liquid Manure Of Guilt nous amène doucement à The Arsons Of Pride. Tout est lié sur Stains Of Resignation, tout se tient, avec une cohérence qui au fil de l’écoute vous saute au visage bien que sa construction échappe toujours à toute compréhension. Un album en forme de joyau aux multiples facettes se renvoyant les unes les autres les éclairs d’une lumière toujours plus noire.

lundi 18 avril 2011

Fennesz - Daniell - Buck / Knoxville






















« Hey Thomas ! Comment ça va ? Bon mon pote, je sais bien qu’en général tu préfères jouer en solo mais ça ne te dirait pas pour une fois de faire un trio avec Kevin et Mathieu ? Allez, bisous mec, et tiens-moi au courant ». Voilà le point de départ de plein de collaborations entre musiciens de la scène improvisée. Les dits musiciens ne se connaissent pas, ou alors seulement de réputation, et néanmoins ils sont invités à jouer ensemble pour un festival ou autre. Vision idyllique de l’art subventionné (ou avec mécénat) et assurément une bonne gache pour les directeurs artistiques. Mais ne nous m’éprenons pas : il ne s’agit pas de dénigrer ce genre de pratiques puisqu’elles ont engendré dans le passé des rencontres entre musiciens qui sans cela n’auraient sûrement pas eu lieu. Même si la démarche semble à mille lieues de toute spontanéité et hors du champ d’action du hasard – au pire les musiciens ne s’entendent pas vraiment et le concert est chiant mais néanmoins « intéressant », au mieux c’était une « belle rencontre » et ce directeur de festival est un véritable génie (?) – nombre de bons concerts et de chouettes disques sont nés comme cela.
C’est sans doute aussi le cas de Knoxville, enregistrement live d’un concert donné par un trio de choc : Christian Fennesz, David Daniell et Tony Buck. Celles et ceux qui connaissent surtout Fennesz pour ses enregistrements impressionnistes en solo seront peut être surpris d’apprendre que notre homme est aussi un improvisateur chevronné : sa collaboration la plus connue est celle avec Jim O’Rourke et Peter Rehberg (Fenn O’Berg) mais dans le genre son meilleur enregistrement s’appelle Afternoon Tea avec Oren Ambarchi, Pimmon, Peter Rehberg et Keith Rowe, publié une première fois en 2000 chez Mille Plateaux/Ritornell et réédité en 2009 par Black Truffle. Absolument immanquable.
Knoxville s’appelle ainsi parce qu’il a été enregistré au Big Ears Festival qui se tient tous les ans à Knoxville, Tennessee. Le disque est assez frustrant car il ne dure qu’une demi-heure mais il est passionnant car il permet d’entendre Fennesz dans un contexte nettement plus énervé qu’à l’accoutumé. David Daniell est en effet un ex San Agustin et si aujourd’hui ses performances solo sont moins virulentes que celles de son ancien groupe, il reste un sacré guitariste amateur de textures bruitistes. Tony Buck est lui un vieux briscard et un batteur puissant ayant parfois recours à l’électronique – essayez donc les deux premiers albums de Peril, avec Otomo Yoshihide – et ayant aussi bien joué avec The Necks que Kletka Red ainsi que toute la clique internationale des musiques improvisées (et à ce niveau là, des trois musiciens, c’est lui qui a le plus beau pedigree).
Quand on dit (vulgairement) que Knoxville défouraille et déboite c’est amplement vrai bien que le trio soit expert dans la façon d’amener son propos via des intros calmes et atmosphériques. Le suspens n’a en général rien d’insoutenable mais le cours des choses, inévitable, n’a pourtant rien de forcé malgré le systématisme des procédés : sans doute que tout est dans la façon de faire les choses. Dès que l’on parle d’impro on échappe que rarement à son corolaire montée en puissance, ce qui se vérifie une nouvelle fois ici mais le trio Fennesz/Daniell/Buck évite également toute lassitude grâce à la richesse des textures et des sons employés. Quand on pense à tous ces boutonneux et autres zombis à lunettes qui ne jurent que par les méthodes progressives et les structures en poupées russes pour engendrer des compositions indigestes et espèrent ainsi se rendre intéressants, on se rend bien compte au contraire que ce qui leur manque par-dessus tout c’est la beauté du son et du propos – choses qu’aucune prouesse technique ne saurait assurément remplacer et que le trio Fennesz/Daniell/Buck possède et maîtrise à l’occasion avec un art certain. Seul moment moins passionnant de Knoxville, Antonia et ses atermoiements façonnés au e-bow et au laptop mais la conclusion du disque, Diamond Mind, est tellement belle que l’on peut aisément faire l’impasse sur cette légère faute de goût.

samedi 16 avril 2011

Report : le Severage Tour au Sonic
























Pour quelques raisons aussi sombres qu’incompréhensibles et bassement matérialistes, le concert de ce jeudi soir a in extremis été déplacé du Rail Théâtre au Sonic. Sinon c’était l’annulation pure et simple. Première date du Sevrage Tour 2011, il s’agissait également et en quelque sorte de la soirée de lancement du festival Hallucinations Collectives, festival organisé par l’association Zone Bis qui auparavant proposait à Lyon l’Etrange Festival et ce depuis déjà trois années. Au programme de la musique mais surtout du cinéma hors sentiers battus et du cinéma déviant ou de série Z puissance 1000, des expositions, du graphisme et une compétition de courts métrages. En gros que des choses que l’on ne risque pas de trouver dans les musées d’art contemporain prêt à consommer ou dans la plupart des festivals de musiques de jeunes – bien qu’il existe évidemment quelques exceptions notoires. Le festival Hallucinations Collectives se déboule principalement au cinéma Comœdia de Lyon du 20 au 25 avril prochain.
C’était donc une très bonne idée que d’inclure le Sevrage Tour dans ce cadre là : on ne pouvait rêver mieux comme illustration sonore et musicale du festival Hallucinations Collectives qu’un concert regroupant Bex et Das Simple. Détail qui a son importance : le concert est gratuit et donc j’avais imaginé qu’il y aurait eu un peu plus de monde…
Pour l’occasion la péniche qui abrite le Sonic a été décorée d’affiches sérigraphiées du Dernier Cri ou de l’atelier de l’Embobineuse. Dans la salle je découvre également et non sans surprise Le Musée des Horreurs, sorte d’autel à la gloire de la putréfaction, des ordures ménagères et de notre décomposition sociale et humaine. Et qui dit Musée des Horreurs dit également Felix Fujikkkoon, dans son grand rôle de MC Loyal.















Lequel ne tarde pas à commencer sa présentation de la soirée, haranguant le public déjà présent et l’incitant à entrer dans la salle avec sa cloche à main. Le bonhomme possède un certain talent pour partir dans des délires impossibles au gré d’une logorrhée que rien ne semble pouvoir arrêter. Un performer digne de ce nom. L’absurdité règne en maître, accompagnée par une certaine poésie mais aussi une désespérance que les rires ne parviennent pas à cacher. D’ordinaire très peu client de ce genre de pratiques, je me laisse séduire par ce personnage repoussant (le visage couvert d’argile, il est habillé comme un Freddy Kruger ayant élu domicile au fond de la poubelle d’un bloc opératoire) et son discours toujours plus délirant. Felix Fujikkkoon mettra également un point d’honneur à présenter le moment venu tous les groupes de la soirée.






















Ce qu’il fait assez longuement au sujet de Bim Johnson, partant dans des circonvolutions historiques et génétiques à n’en plus finir. Bim Johnson – qui est tout seul, il s’agit d’un one man band – a donc tout loisir de s’installer derrière son laptop et ses machines. C’est une bonne surprise que ce garçon pour lequel le descriptif technique de la soirée nous parlait de « Calypso Noise ». Evidemment il ne sera jamais question de calypso et de noise pas vraiment non plus bien que Bim Johnson révèle un amour certain pour les sonorités qui vous picotent et vous taraudent tranquillement les méninges déjà bien mises à mal par le monsieur loyal de la soirée. Mais on reste tout de même plus dans le registre de l’ambient qu’autre chose.






















Retour de Felix Fujikkkoon mais cette fois-ci la présentation de Bex sera de courte durée. J’attendais le garçon avec impatience et fus vraiment étonné par sa prestation. Je pensais que nous allions récolter du lourd et du glauque – pour la petite histoire Benjamin Bex a intégré le line-up d’Overmars le temps d’une tournée parait-il très réussie et que le groupe a opérée fin mars/début avril entre le nord et l’est de l’Europe – et ceux qui comme moi ne connaissait de Bex que son deuxième disque (Spasmo paru chez Le Saut Du Tigre en 2008, déjà) ont été assez interloqués par les nouvelles directions et pistes empruntées.
Nettement plus calme et plus atmosphérique, la musique jouée par Bex ce soir semble également beaucoup plus sereine bien que l’on y découvre toujours une certaine noirceur. Finies les boucles de guitare saturée, finis les hurlements dans l’obscurité : Bex joue avec une guitare acoustique douze cordes qu’il fait vibrer à l’aide d’un e-bow et dont il manipule le son (ainsi que celui de sa voix) avec un laptop. Passée la surprise de ce renouveau musical, on est forcément séduit par ce garçon. S’il y avait une constante à trouver dans la musique de Bex, c’est qu’elle évolue constamment entre fragilité et violence. Seuls les moyens diffèrent.















Dernier tour de piste pour notre ami Felix Fujikkkoon qui en profitera, juste après sa présentation de Das Simple, pour arroser le plancher du Sonic d’alcool à bruler, plancher auquel il mettra bien évidemment le feu, au grand dam du homeboy du Sonic se précipitant alors de derrière sa console de son pour aller éteindre les flammes, craignant pour la sûreté de son matériel – on le comprend.
Das Simple
, de Marseille, a été l’une des meilleures surprises de l’année 2010 et le premier album du groupe a longtemps hanté notre machine à musique. Malheureusement le début du concert ne confirmera pas tout à fait tout le bien que l’on peut penser de Das Simple : l’un des deux guitaristes et le bassiste sont collés ensemble sur un des côtés de la scène, donnant une curieuse impression d’exiguïté et de promiscuité qui va longtemps desservir le groupe – je sais bien que la scène du Sonic est petite mais quand même, ce n’était pas la peine d’en rajouter. De l’autre côté, le deuxième guitariste, partageant le chant avec le bassiste, ne semble pas beaucoup plus à l’aise et de fait il avouera après le concert avoir mis du temps à rentrer dedans.
Das Simple tardera donc avant de trouver ses marques, à avoir un son qui se tient et qui vous tient, d’autant plus que la musique du groupe, partant dans différentes directions, doit être un animal fort difficile à dompter. Lorsque le groupe se (re)trouvera enfin, ce sera par contre une belle fête en l’honneur du bruit tordu. On regoûte alors avec bonheur aux délires déviants d’un groupe qui semble ne rien vouloir faire comme les autres. A la fin du concert, le bassiste et le batteur de Das Simple resteront seuls sur scène pour nous offrir un petit duo épicé et coriace – l’occasion, même si la blague a été trop longue, de comprendre que la basse justement manquait de présence pendant au moins tout le début du concert du groupe alors que l’on continue de penser qu’au contraire elle est l’épine dorsale de cette musique de malades.

[quelques photos qui font peur ici]

vendredi 15 avril 2011

Young Widows / In And Out Of Lightness























Après deux albums de bonne facture – Settle Down City en 2006 puis surtout Old Wounds en 2008 – on était un peu inquiets pour les Young Widows : les premiers échos de In And Out Of Lightness (un single envoyé en éclaireur sur le front, front dont il n’est jamais revenu vivant) ne lui étant guère favorables. Après le constat que le groupe sur scène est extrêmement (trop ?) appliqué et donc froid, constat entériné par un LP intitulé Live Radio Performance April 6, 2009, un rien caqueux et n’ayant pas survécu à plus de deux ou trois écoutes circonspectes, il va bien falloir se résoudre aussi à parler de ce nouveau disque dont le premier contact a été douloureux et dont les suivants nous ont plongés dans un état avancé de tristesse puis d’indifférence.
Il n’y a en effet pas grand-chose à sauver sur In And Out Of Lightness, par contre on pourrait faire la liste, presque infinie, de tout ce qui ne va pas du tout sur cet album sans vie, tellement atone et creux que son état de mollusque en devient presque gênant pour le groupe : comment les Young Widows ont-ils pensé pouvoir sortir un enregistrement pareil ? Personne ne les a avertis qu’ils faisaient fausse route ? Ils n’ont pas d’amis ? Pas de petites copines ou de petits copains ? Et le label, Temporary Residence, espère t-il quelque chose de tout ça ? Vraiment ? Quoi alors ?

Parce qu’il va falloir m’expliquer : Qu’est ce que c’est que ces compositions qui se trainent ? Ces plans de guitares dont même un groupe de post emo ne voudrait pas ? Ces rythmiques informes ? Ce chant qui s’emmerde et nous emmerde ? Ces refrains de petits garçons ? Cette pseudo contemplation ridicule ? Tout ça n’est même pas bien foutu, tout ça n’est même pas racoleur, tourné vers la putasserie commerciale et le plaisir de plaire à tout prix : In And Out Of Lightness est juste un mauvais disque reléguant Young Widows au rang de groupe de bal(tringues) alors que le trio pouvait largement prétendre à mieux – sans être non plus génial – et revendiquer une petite place au soleil dans la catégorie des seconds couteaux bien aiguisés.

[…excusez-moi, voilà que le téléphone du bureau se met à sonner de manière totalement impromptue :

- 666rpm, chroniques de disques et lustrage à volonté, j’écoute
- bonjour je joue dans un groupe de Montpellier, dans le sud de la France et c'est pour vous commander une chronique, favorable s'il vous plait
- du genre ?
- du genre celles que vous avez faites pour Revok ou pour les Welldone Dumboyz
- OK, comme vous êtes un nouveau client, je vous fais un prix d’ami, ça ne fera donc que 250€ HT + l’envoi du disque en double sous tous ses formats existants
- c'est cher, finalement je préfèrerais une chronique défavorable, ça fait aussi parler, hein ?
- oui mais c'est 400€ hors taxes
- ah bon ? mais pourquoi ?
- parce qu'une chronique défavorable c'est beaucoup plus difficile à écrire qu’une bonne chronique
- et bien tant pis, au revoir

Je raccroche, excusez moi encore…]

Oui c’est difficile à écrire une chronique défavorable, d’autant plus difficile lorsque vous avez aimé le groupe en question et ses albums précédents. Sur In And Out Of Lightness je ne sauverai in extremis que Futur Heart (le single/éclaireur dont on a déjà parlé) et éventuellement aussi le morceau titre, bien que trop long et placé juste après. Soit les deux derniers titres du disque. Deux compositions sur neuf, 10 minutes sur un total de 47. In And Out Of Lightness est la première déception de l’année mais elle est de taille.

jeudi 14 avril 2011

The Cesarians / I'm With God






















Piano cristallin, violonades coulantes, instruments à vent rutilants et chauds, chant à la limite du maniérisme – ce maniérisme à l’anglaise – et chœurs féminins discrets : ainsi commence I’m With God, nouvel EP de The Cesarians. Ce morceau titre, placé donc en tout début du disque, est un véritable enchantement, une petite prouesse mélodique, un modèle presque idéal de « murder ballad », un état de grâce. On a dans le passé inclus The Cesarians dans la rubrique post Bad Seeds (au moins ce que les mauvaises graines ont fait pousser comme gazon à partir du milieu des années 90 et avant le naufrage des années 2000) en prenant bien soin d’ajouter que le groupe manipulait l’excentricité cabaret avec savoir-faire et distinction. Il y a de ça… On a aussi évoqué quelques relents gothiques à propos du groupe mais soyons sérieux : le seul élément « gothique » que l’on peut trouver dans The Cesarians s’appelle Justine Armatage (piano, etc) puisque elle a auparavant joué dans une énième mouture de Christian Death – depuis elle va beaucoup mieux. The Cesarians échappent ainsi facilement à toute tentative de mise en boite : cela ne les rend que plus attachants et passionnants encore.
Ce qui vous scotche littéralement sur I’m With God ce sont ces arrangements de cordes et de cuivres, luxuriants mais pas trop, appuyés mais raisonnablement, colorés mais pas saturés, lumineux mais pas aveuglants. Des arrangements, puisqu’on a déjà parlé ici de distinction britannique, qui renvoient immanquablement à ce que les Beatles ont commencé à découvrir petit à petit entre 1966 et 1967 sur des titres aussi fins et élégants que Eleonor Rigby, For No One, Fixing A Hole, She’s Leaving Home ou Martha My Dear. I’m With God est indéniablement un titre pop mais là où d’autres – prétendants comiques d’ascendance divine par exemple – n’ont gardé que le clinquant et les effets de manches du grand héritage liverpuldiens, The Cesarians lui donnent une réelle profondeur, une âpreté claire-obscure et un vrai lyrisme, pas très éloigné d’un Scott Walker. Question émotion et finesse, seules les balades des deux premiers albums des Tindersticks peuvent prétendre rivaliser avec I’m With God.
Changement de décor avec In Your House, titre sur lequel The Cesarians retrouvent toute l’exubérance dandy destroy de son chanteur/leader Charlie Finke (ex Penthouse), le cabaret est toujours là mais il a une drôle de gueule surtout au moment de cette citation du Loser de Beck. De facture plus classique – mais doté d’une bonne grosse ligne de basse – Worst Thing est également très convaincant dans le registre énervé mais toujours accompagné d’arrangements finement placés et opportuns. Enfin Schooyard est une sombre balade, d’un dépouillement et d’une tristesse qui semble infinie. Reste Questa È Lei, petite suite uniquement vocale et en italien – il faut préciser que ce EP a été enregistré en Italie dans les studios de Twelve records qui a justement a coproduit ce disque. L’autre label engagé dans l’affaire n’est autre qu’Africantape qui logiquement a programmé The Cesarians sur son festival à la fin du mois d’avril. On attend beaucoup de la prestation qu’y livrera Charlie Finke et sa troupe. Et on attend également déjà la suite – un véritable album – de cet EP qui marque un accroissement qualitatif par rapport à un premier LP qui avait déjà fort impressionné et séduit son monde.

mercredi 13 avril 2011

Gutbucket / Flock





















Flock est déjà le cinquième album de Gutbucket, groupe de jazz d’avant-garde soft made in Brooklyn – pour la version hard, se référer directement aux collègues et voisins de Little Women. Par rapport à son prédécesseur A Modest Proposal, déjà sur Cuneiform et enregistrement le plus introspectif de toute la discographie de Gutbucket, Flock marque un certain regain énergétique ainsi qu’une complexification des compositions qui échappent enfin au modèle « on expose, on improvise et on pète éventuellement un câble à la fin du titre » qui plombait un peu trop l’avant-dernier disque du groupe – même si on peut reprocher à toutes ces nouvelles compositions d’être généralement bien trop longues. Ah oui, il y a deux choses de terriblement détestables dans le jazz : les imitateurs de Miles Davis et le bavardage qui n’en finit pas. Heureusement, le line-up de Gutbucket ne comprend qu’un altiste (parfois au baryton ou à diverses formes de clarinettes), un guitariste (avec le temps de moins en moins porté sur la saturation et les dissonances, leur préférant des sons plus synthétiques, c’est vraiment dommage), un bassiste/contrebassiste une chouille trop propre sur lui et un batteur, nouvellement arrivé sur A Modest Proposal et qui cette fois-ci fait arrive à insuffler plus de cohérence, plus de tenue et plus de vie à l’ensemble.
Gutbucket déçoit peut être dans un premier temps à force de redondance – pour un groupe de jazz on en demande toujours plus – un peu comme si le quartet ronronnait comme n’importe quel groupe de rock ayant dépassé le stade du troisième album… un groupe de rock c’est après tout ce à quoi Gutbucket peut faire également penser. Plus en détails et la qualité renouvelée des compositions aidant (trois pour chaque membre du groupe, seul le batteur n’en propose qu’une seule), on se laisse porter par tout le début de Flock, son dynamisme et sa fraicheur, même si le meilleur (Murakami, j’imagine qu’il s’agit là d’un hommage à l’écrivain japonais également gros fan de jazz) est parfois suivi du pire (Trust’n Shout, déjà faible en lui-même et qui plus est doté d’un horrible solo de guitare tout caqueux 70’s digne de Steve Howe, composition vraiment la moins bonne pour ne pas dire minable du disque et malheureusement seule contribution du batteur à Flock : on fermera donc les yeux et les oreilles pour cette fois).
Sur Said The Trapeze To Gravity (Why Are You So Old ?) on est par contre presque étonnés de retrouver un Gutbucket que l’on n’avait plus vraiment entendu depuis Sludge Test (2006). Inventivité, dynamisme, surprises au tournant, Gutbucket arrive à se débarrasser de son engoncement et sa rigidité. Même un titre tel que Give Up finit par convaincre et Gutbucket, malgré la désormais fatale absence de changements notoires dans sa façon de nous faire partager les choses, assure une fin d’album tout ce qu’il y a de plus honnête pour ne pas dire convaincante. Seul l’ultime Born Again Atheist part 3 : Turning Manischewitz Into Wine laisse une impression de moins bien pour cause de trop de longueurs. Mais ce n’est qu’une impression à laquelle on aurait tort de se fier définitivement.

mardi 12 avril 2011

Report : Dustin Wong et Api Uiz à Grrrnd Zero


De l’apologie des méthodes ancestrales de communication : c’est en traversant, samedi en fin d’après midi, un quartier autrefois un peu plus vivant, accueillant et sympathique ne serait-ce parce qu’il n’était pas encore classé par l’Unesco comme patrimoine de l’humanité ni envahi de céhèspéplusplus transformant le moindre commerce abandonné en loft trop sympa de coolitude mais se plaignant du moindre bruit alors qu’ils sont eux venus s’installer dans un quartier qui a toujours eu un côté populaire et nocturne, un quartier où il faisait bon vivre parce que les termes de « pollution visuelle » n’existaient même pas et que la mairie locale ne payait pas encore une brigade verte pour verbaliser à propos de toute affiche « défigurant » un paysage urbain aussi aseptisé que faussement idyllique, c’est – donc – dans ce quartier que j’ai croisé l’affiche du concert vantant la venue de Api Uiz.
















J’étais content de la voir cette affiche, elle m’a remis en mémoire que j’avais quelque chose de prévu à faire dimanche soir mais en même temps elle me faisait un petit peu pitié, collée au scotch pour qu’elle soit facilement arrachable du mur sur lequel on l’avait apposée. Elle m’a surtout filé un sacré coup de nostalgie – vraiment –, nostalgie de quand il me suffisait de sortir de chez moi, de regarder sur le mur d’en face ou sur celui de la montée contigue et de déchiffrer toutes les affiches collées par les Gougnafs, Silly Hornets puis Central Service ou autres pour des concerts organisés au Caméléon, au Rail Théâtre, au CCO, au Glob ou juste à côté au Local, au Wolnitza, à l’Exit et au [kafé myzik]. Il suffisait vraiment de sortir et de lire ces affiches sur un vrai mur, en briques ou de pierre, et non pas de se balader sur le mur virtuel d’un réseau social internet – méthode devenue quasiment incontournable de nos jours mais manquant terriblement de poésie et de chaleur. Ces affiches et ces murs, ils étaient tout simplement beaux parce que plein de vie. Et jamais je n’aurais alors pensé qu’une volonté politique hygiéniste et réductrice pouvait déclarer ces affiches sales, dégradantes et illégales.
















Je me retrouve donc au Grrrnd Zero pour un concert à prix libre, un concert pour lequel toutes les têtes pensantes du lieu se sont concertées, non sans une certaine fierté assumée, pour assurer la programmation. La soirée commence avec Dustin Wong, guitariste échappé de Ponytail et excessivement virtuose. Son dernier LP, Infinite Love, est sorti chez Thrill Jockey, ce qui parfois est plutôt bon signe mais qui n’arrivera pas à refreiner mes réticences au sujet des entrelacs de guitare du jeune homme.
D’une rare dextérité, Dustin Wong ne se prive pas non plus de jongler avec ses nombreuses pédales, multipliant les boucles et se vautrant dans une démonstration guitaristique excluant toute sensibilité et à laquelle on ne saurait non plus accorder le bénéfice de la candeur. Le set de Dustin Wong vire même à la performance pure et simple – avec en face de nous un VRP en pédales d’effet – et dans le meilleur des cas sa musique peut faire penser à du Steve Reich, dans le pire c’est au son insupportablement cristallin et à l’aptitude pour l’empoulage d’un Mike Oldfield que l’on pense. Dommage, surtout que Dustin Wong ne semble pas vouloir s’arrêter de jouer, son set va durer plus d’une heure, ce qui est beaucoup trop long pour ce genre d’acharnement biotechnologique sur la musique. Déception.
















Api Uiz par contre ne va pas décevoir. Ces bordelais pourraient s’enorgueillir d’avoir été parmi les premiers pionniers des groupes de rock instru et barré, ce que certains maintenant appellent happy noise – qu’est ce que je peux détester ce terme –, ce que l’on qualifie aussi (à tort, dans le cas d’Api Uiz) de math rock et autant de choses que le trio ne revendique pas et n’a jamais revendiqué. Un peu à part et avant tout le monde, Api Uiz s’en fout éperdument. On peut aller jeter un coup d’œil et une oreille sur le site de leur label, les Potagers Natures, où tous les disques d’Api Uiz ainsi que ceux d’autres groupes tout aussi excellents (Headwar, France, Chocolate Billy, Marvin, Glen Or Glenda, Napalm Dance ou Radikal Satan, pour n’en citer que quelques uns) sont téléchargeables librement.
Il me tardait de revoir le groupe en concert, illuminé par une toute première fois il y a quelques années au CCO – également un des premiers concerts Kaugumi si mes souvenirs sont bons. Api Uiz n’a pas vraiment changé, chien fou jouant une musique inclassable bien que quelques termes remontent à la surface (ceux déjà énumérés au paragraphe précédent) mais donnent une idée forcément incomplète de la chose. Api Uiz, c’est tout l’inverse de Dustin Wong : que du naturel et la performance technique n’écrase jamais un enthousiasme démesuré. J’ai rarement vu un guitariste jouer avec un tel sourire, à la fois halluciné et de plaisir, sourire qui lui est parfaitement à l’image de la musique délirante et pointue du trio. On a toujours droit aussi à quelques « altercations » entre les trois membres du groupe : cela commencera avant même la musique autour d’un sketch à propos du réglage de la lumière sur la scène. Que du bonheur.
Reste à parler du concert d’X-Or pour en terminer avec cette soirée. Je vais lâchement vous laisser vous démerder tous seuls : il y a des vidéos d’eux qui trainent sur le net, il y a également les photos du concert – concert auquel je ne suis pas resté très longtemps car je ne comprends pas l’humour et l’intérêt du duo. Je n’aime pas non plus ce mélange de Charlie Oleg, Francky Vincent, les Garçons Bouchers, Jean-Pierre François, Herbert Léonard et Gronibard. Je sais que c’est fait exprès et que c’est tout pour rire mais faut pas trop m’en demander non plus. Je rappelle une fois de plus que je n’ai absolument aucun humour.

lundi 11 avril 2011

Revok / Grief Is My New Moniker


Deux constats s’imposent d’emblée avec Grief Is My New Moniker, le deuxième album de Revok : premièrement cet album vous tombe littéralement dessus, vous étourdit, vous ébahit, vous laisse à plat, presque tétanisé, épuisé mais heureux ; deuxièmement on ne sait pas vraiment sous quel angle analyser et expliquer les effets de Grief Is My New Moniker, comment réussir à prendre ce disque à bras le corps pour le disséquer, plaisir d’entomologiste frustré mais effet encore amplifié par cette vague de chaleur incontrôlable qui vous submerge à chaque fois. Alors Revok, c’est quoi ? Un groupe de metal ? Un groupe de hard core ? Un groupe de rock bruitiste ? Un groupe de noise ? Ou alors tout ça à la fois ? Pour les amateurs de définitions, les historiens et autres musicologues avertis, ceux qui ne veulent surtout pas mélanger le noise, la noise ou le noise rock par exemple, ceux qui pensent éviter tout problème en compartimentant tout ce qui est possible (et même le reste) dans son petit coin à lui, tout propre et tout confortable, Revok est donc doublement un casse-tête : non seulement le groupe vous assomme avec Grief Is My New Moniker mais qui plus est vos petits bouts de crânes et de cervelles rescapés du massacre ne pourront jamais recomposer un semblant de raisonnement.
Il n’empêche que cet album est tellement bourré jusqu’à la gueule d’émotions qu’un tout petit instant j’ai cru à son propos pouvoir prononcer le terme d’emo core mais mon conseiller spécial « une meilleure terminologie pour un goût musical toujours plus sûr » m’a in extremis averti qu’« emo core » ça existait déjà, pour tout autre chose d’ailleurs, et, avec le recul, de manière tellement nébuleuse que l’on ne savait plus vraiment pour quelles raisons exactement. Alors tant pis.





















Le même historien de l'art qui aurait bien aimé ranger Revok dans la case metal ou la case hard core de son parapheur prétendra ensuite reconnaitre quelques idiomatismes et tournures de langages : on ne va pas le contrarier ni le contredire car dans le détail – Somewhere Between Nowhere And Goodbye pourrait encore faire penser à du Condense dans une version vraiment evil, une influence dont Revok s’éloigne toujours plus depuis son premier album – on retrouve certaines choses, des riffs, des rythmiques. Mais comme surtout on se reconnait dans le chaos d’une musique (guitares tour à tour suicidaires et incendiaires, couple basse/batterie impeccable et implacable) qui parle plus à notre épiderme et à notre déraison, on préférera donc à propos de Grief Is My New Moniker davantage évoquer des sensations que des références. Revok tient la route, tient la distance et sait surtout vous tenir en haleine jusqu’au bout d’un voyage impossible (Tunnel, tout simplement incroyable). Musique écorchée vive et musique d’émotions – oui je me répète –, les explosions soniques de Revok savent également réserver quelques surprises (le magnifique final chanté de Somewhere Between Nowhere And Goodbye) et chaque titre en est une à lui tout seul, chaque titre sait nous surprendre et nous accrocher, chaque minute de ce disque est aussi importante que la précédente et au moins autant que la suivante. Revok est tout sauf un petit groupe. Revok mérite toute notre attention et toute notre considération. Et pourquoi pas aussi toute notre admiration.

[Grief Is My New Moniker est disponible el double vinyle ou en CD chez Music Fear Satan – on peut également le télécharger en intégralité ici]