mardi 31 mars 2009

Kiss my jazz (again)























Autant le mois de février a été chargé en concerts de toutes sortes, autant celui de mars s’est révélé être un vrai désert : rien à se mettre sous la dent depuis celui de KK Null en début de mois, rien de rien mais soyons honnête pour une fois, j’ai fait quelques impasses telles que Cult Of Luna à l’Epicerie Moderne ou Frustration au Ninkasi… je comptais bien lire quelque part des reports passionnés et en bonne et due forme mais apparemment je ne suis pas le seul à être flémard ou à travailler le week end, ce qui contrairement aux apparences n’est pas forcément incompatible. Tant pis pour la grosse cavalerie, le post hard core et le neo post punk variétal. Je continuerai à aller voir des concerts de merde dans des lieux pourris (mais avec ce supplément d’âme nécessaire et bénéfique).
Dernière chance pour se rattraper un petit peu et oublier trois semaine d’abstinence : prendre ce dimanche soir la direction du Grrrnd Zero à Gerland pour assister à un concert Gaffer records. Petite déconvenue, le duo de musiciens norvégiens formé du batteur Dag Erik Knedal Andersen et du guitariste Stian Westerhus ne jouera pas, nos deux improvisateurs ont eu trop d’annulations de dates dans leur tournée européenne et donc trop de trous à reboucher pour ne pas y laisser des plumes, la décision la plus logique et la plus sage pour eux a été de tout annuler. Dommage mais il n’y a pas d’omelette sans casser d’œufs.


















Le premier groupe à jouer ce soir c’est Kandinsky, enfin plutôt de groupe on devrait parler de collectif puisque Kandinsky se veut à géométrie variable. Par rapport à la fois précédente ces jeunes gens ne sont que quatre, ils ont en route perdu le clavier fou de Fat 32. De même la formation à deux (guitare et batterie) semble avoir été définitivement oubliée. Le principe est par contre toujours le même : on joue, on improvise, on fait du barouf et on voit ce qui se passe. Cette méthode expéditive peut aussi bien porter ses fruits que tourner lamentablement à vide.
Seul point de départ, seul indice de la connivence souhaitée entre les quatre musiciens : démarrer par une rythmique répétitive et tribale qui ira en s’accentuant tout du long -un peu dans la lignée d’un Faust. Alors qu’ils avaient prévu de répéter dans l’après midi (chose qu’ils n’ont évidemment pas faite, on est punk ou on ne l’est pas), les deux bidouilleurs, le bassiste et le batteur s’entendent rapidement à merveille, dépliant une longue impro bruitiste mais captivante -c’est l’effet Werner Diermaier ?- où chacun trouve sa place, définit son propre espace sans empiéter sur celui du voisin mais au contraire le complétant, l’enrichissant toujours plus. Résultat, le set de Kandinsky tourne à l’incantation, à la danse des esprits et le pire c’est que le groupe nous fera le coup deux fois pendant le concert.
Je me demande toujours aussi par quelque miracle de bricolage le spécialiste es pipo-bimbo (pas le suceur de micro, l’autre) est arrivé à sortir des sons à la fois aussi virulents et aussi chauds de tout son attirail posé sur une table, parvenant presque à imiter un instrument à vent en colère. Ces deux là (les deux bidouilleurs) partiront d’ailleurs dans une échappée en solitaire plutôt réussie et concluant dignement le set alors que l’on sentait le bassiste et le batteur prêts à repartir au quart de tour pour en découdre dans un grand bordel final et nous refaire une troisième fois le coup de l’ascenseur. Ce ne sera donc pas le cas mais mine de rien presque une heure vient de s’écouler à la vitesse d’un éclair…























Les norvégiens ne sont pas là mais il reste une curiosité : RYR, un trio free jazz (pour faire simple) issu du collectif Grolektif (haha). Jamais entendu parler de ces jeunes gens, jamais entendu parler non plus de cette association de jazzmen hyperactifs et débordants de vie. RYR est l’acronyme formé par la première lettre des prénoms de chaque musicien : R pour Rodolphe Loubatière (batterie et objets divers), Y pour Yoann Durant (saxophones alto et soprano, nez de clown et sac à bordel) et R comme Romain Dugelay (saxophones baryton et alto).
Le free joué par ces trois musiciens est étonnamment varié et ludique. Après un bref éclat, le trio commence vraiment par des bruits de tuyaux, des jeux sur le souffle, des petits bruits de percussions en utilisant uniquement les clefs des saxophones dans une démarche assez proche de celle de Greg Kelley et Bhob Rainey -c’est quand même plus facile à prononcer que Nmperign- et allant jusqu’aux limites du silence, de l’attente et de la tension. Musique captivante et drôle à la fois, posée mais énergique, virtuose mais directe.























Aussi lorsque les battements s’accélèrent, lorsque les saxophones se mettent à hurler, on n’y croit tout d’abord pas, déjà trop habitué à la précédente démarche d’effacement. Mais le groupe ne s’arrête pas là, optant par un virage à 90° pour une tournure à nouveau plus bruitiste de sa musique, le batteur qui gratouille sa caisse claire avec une cymbale, le saxophoniste de droite (alto et soprano donc) déversant d’un vieux sac en cuir quantité d’objets incongrus mais générateurs de bruit -sac en plastique qu’il froisse, poêle à frire, bouts de métal et une longue chaîne qu’il déroule lentement- ou jouant avec un tube d’alimentation d’eau pour machine à laver.
Là où RYR réussit pleinement, c’est en recyclant quelques vieilles techniques déjà bien connues pour ne pas dire usées avec un enthousiasme et une fraîcheur que l’on penserait d’ordinaire réservés à un vulgaire groupe de rock. Mais RYR est un groupe de free jazz et de musique improvisée. Disons que le trio arrive à jouer avec une décontraction totale et très assumée tout en assurant une vision franche et claire de sa musique. J’imagine même que si je les revoyais dès demain, leur set serait totalement différent alors qu’ils joueraient exactement la même musique.
Pour finir, le disque que le trio a publié (c’est même son premier) et dont l’enregistrement date déjà de plus d’une année est plus classiquement free -pas de bruits de bouches ou de cliquetis de clefs de saxophones- mais pas moins intéressant et pas moins passionnant. Plus proche d’un certain soucis harmonique bien que toujours traversé par des fulgurances free, on pense parfois à Tim Berne et à sa série d’albums publiés sur son propre label Screwgun records dans les années 90. On en reparlera à l’occasion.

vendredi 27 mars 2009

Godflesh / Songs Of Love And Hate


Tous les fans de Justin Broadrick semblent s’être mis d’accord pour prier en même temps et demander avec ferveur à ce grand échalas britannique de mettre la pédale douce concernant la surproduction chronique dont il nous gave depuis trop longtemps avec son principal projet actuel, Jesu. La preuve que trop de musique peut tuer la musique, ce à quoi on pourrait également objecter que publier ses chutes de studio, ses démos et autres fonds de tiroirs n’a justement rien à voir avec la musique. La bonne nouvelle c’est qu’il semble bien que Justin ait écouté ses fans, voilà bien deux (trois ?) mois qu’il n’a rien publié, sous un nom ou sous un autre.
La passion et l’engouement générés par le bonhomme trouvent leur origine dans le passé glorieux de ce créateur visionnaire, en un mot Godflesh, groupe post industriel ayant réussi ce coup de génie consistant à mélanger guitares metal et boite à rythmes mécaniques (pour résumer simplement). Ce qui est amusant avec ce groupe dissout aux alentours de 2002, c’est que chacun a son album fétiche -il y en a même pour porter au pinacle Us And Them (1999)- alors qu’il est difficile d’en choisir un pour des raisons objectives parmi la discographie raisonnablement fournie du groupe. Un seul critère : l’affect, le sentiment. Eventuellement le souvenir. Ici ce sont Street Cleaner (1989, album fondateur s’il en est), Pure (1992, au formalisme aride) et Songs Of Love And Hate (1996) qui se partage les faveurs d’un classement forcément limitatif. Au moins ces trois albums -auxquels on peut rajouter les balises que sont le premier LP sans titre (1988) et le EP Messiah (2000)- sont des repères importants marquant un état significatif de la musique de Godflesh. Les autres albums découlent de ces trois là, théorie c’est vrai remise en question par l’étrange, démesuré et bancal Selfless (1996).




















Earache -label ô combien important dans les années 90 et qui connaît désormais toutes les difficultés rencontrées par les maisons de disques- a réédité en février dernier Songs Of Love And Hate, album réputé indisponible depuis quelques années (quoiqu’en cherchant bien…). Plus précisément cette réédition comprend l’album original, son alter ego Songs Of Love And Hate In Dub originellement publié en 1997 et proposant l’intégralité ou presque du disque dans des versions remixées par le groupe lui-même ainsi qu’une troisième galette, un DVD avec cinq video clips dessus, parait il les cinq vidéos jamais tournées par/pour Godflesh, le genre de bonus que personne ne regarde mais c’est quand même gentil d’y avoir pensé.
Earache ne s’est pas trop foulé pour l’emballage : un fourreau comprenant deux boîtiers CD en plastoc. Les visuels d’origine ont été conservés, la photo de Songs Of Love And Hate est seulement un peu plus violette et légèrement retaillée donc on ne devine presque plus le drapeau américain en bas à gauche. Un peu plus d’efforts de présentation auraient été les bienvenus, d’autant plus que le label a déjà prouvé avec les rééditions des albums de Carcass qu’il savait faire du bon boulot.
Les enregistrements n’ont pas été remasterisés -ils sonnent comme il y a dix ans- et il n’y a aucun titre bonus. La version initiale de Songs Of Love And Hate durait 57 minutes, la nouvelle en fait 60 mais c’est uniquement du à une piste silencieuse placé au début de celle-ci (un ghost track qui ne sert à rien et qui est accessible en appuyant sur la touche reward du lecteur). Tout cela étant proposé à un prix raisonnable -trois disques pour au maximum le prix d’un seul- ce bundle Songs Of Love And Hate est une belle opportunité à saisir.
Les enregistrements en eux-mêmes n’ont pas bougé d’un iota. Songs Of Love And Hate reste et restera l’album le plus accessible de Godflesh avec sa production testostéronée et ses mélodies évidentes, le point culminant de cette optique que certains qualifieraient de commerciale étant atteint avec Frail (un brin gothique) et le presque nonchalant Almost Heaven, tous deux clôturant l’album. Sinon cet album affirmait avec des titres tels que Hunter ou Circle Of Shit l’intérêt que portait Broadrick à l’époque pour les rythmes hip hop, breakcore ou jungle -voir aussi son travail contemporain avec Techno Animal et Ice- tout en mettant en avant un sens de l’efficacité binaire bien envoyé (Sterile Prophet). Précision d’importance, ce disque a été enregistré avec l’aide d’un batteur en plus des machines et cela s’entend. Seules constantes : l’énorme basse de G.C. Green et le fait que mis à part le plutôt fade Gift From Heaven, Songs Of Love And Hate est une formidable collection de hits.
Si on n’a toujours pas compris que Broadrick était aussi un enfant de l’électro -dans sa version la plus musclée et bien évidemment teintée d’indus- Songs Of Love And Hate In Dub est là pour enfoncer le clou. Tous les titres de l’album d’origine sont ici remixés (sauf Hunter), certains le sont deux fois et il y a un excellent pseudo inédit -Domain- qui est plutôt une version très différente parce que presque apaisé de Angel Domain. Le problème est que cet exercice est trop long, les nouvelles versions proposées s’éternisent, l’intérêt s’amenuise au fur et à mesure que les titres passent. Il y a bien quelques perles comme la version originale de Sterile Prophet ou le premier remix de Gift From Heaven. Le reste est indigeste et on touche même le fond avec le deuxième remix de Gift From Heaven (oui, encore…) fort heureusement placé en fin de disque.

jeudi 26 mars 2009

Wino / A Bottle Of Pills With A Bullet Chaser





















Le groupe disparu, oublié, retrouvé par hasard et compilé en bonne et due forme, on nous l’a déjà fait plus d’une fois. Je t’en foutrais moi, du génie à chaque coin de rue. Putains d’amerloques. Cette fois ci c’est Temporary Residence qui a ouvert la boite de Pandore avec la publication d’un double CD bourré jusqu’à la gueule de tous les titres jamais enregistrés par Wino, obscur combo de Louisville, Kentucky. Le label nous vante les mérites d’un groupe essentiel de cette bourgade de bouseux attardés et qui aurait par la suite influencé plus d’un groupe originaire du même endroit -derniers exemples en date : Coliseum ou Young Widows. Lorsqu’on sait que des trucs aussi essentiels que Rodan et Slint viennent justement de Louisville et qu’ils ont précisément précédé Wino de quelques années, on est dans l’obligation de lever une oreille attentive sur ce cas suspect. Car le coup du chaînon manquant, on nous l’a déjà fait aussi de trop nombreuses fois.
A Bottle Of Pills With A Bullet Chaser est un joli digipak de deux disques. La différence entre les deux rondelles c’est le bassiste qui a changé entre les débuts du groupe (1994) et sa mort prématurée (1998). Pour le reste, difficile de s’y retrouver. Il y aurait un album entier là dedans. Une bonne poignée de singles aussi. Mais il n’y a aucun détail discographique dans le livret car il n’y a pas de livret. A toi donc de te démerder et de prendre cette musique comme elle vient. Ce qui est une option fort judicieuse de la part de Temporary Residence. Pour une fois qu’intelligence de la conception et économie sur les coûts de fabrication d’un disque font bon ménage, il ne fallait manquer de le signaler.
Une méthode pertinente donc. Parce qu’à l’intérieur c’est le bordel. Dutch Oven (le premier titre) est une courte salve de punk rock fleur bleue ? Oui. Yam Hand aurait mérité de figurer sur le premier album d’Unsane ? Aussi. On en est donc seulement au troisième titre que Wino nous fait déjà une démonstration de grand écart. Et ce n’est fini, le groupe s’offrant le luxe de titiller à peu près tous les genres de musiques à guitares en cours du côté de la scène indépendante US (metal mis à part). La plupart du temps c’est extrêmement réussi -sauf Eon, ersatz electro à la fin du premier CD- bien qu’un peu fatigant… non ce double CD n’est pas une compilation avec plusieurs groupes.
Il y a vraiment de quoi rester perplexe à l’écoute de A Bottle Of Pills With A Bullet Chaser. Perplexe parce que forcément enthousiaste. Wino méritait bien cet hommage posthume. La singularité de ce groupe aux cent visages (sans visage ?) valait bien cet éclairage nouveau. Ce n’est pas tous les jours que l’on découvre un groupe qui a le cul entre plusieurs chaises et qui fonctionne parfaitement ainsi. Quant à l’influence de Wino sur la scène de Louisville post 1998, on laissera ça aux historiens. Et pour savoir ce que sont devenus les quatre ou cinq losers qui jouaient dans le groupe, il suffit d’aller faire un tour par ici, petite visite qui permet également d’avoir après coup plus de détails discographiques sur ce groupe fossilisé au siècle dernier.

mardi 24 mars 2009

NLF3 / Ride On A Brand New Time





















Il est de (très) bon goût d’aimer NLF3, trio parisien d’anciens punks reconvertis dans le post rock chatoyant et coloré aux rythmes échappés de la grande sono mondiale. Je ne fais pas exception à la règle. En aimant NLF3 je pourrais obtenir largement et haut la main mon diplôme de prouteux parisianiste alors que j’ai d’ores et déjà acquis le sésame magique permettant l’accès des salons où l’on cause beau et bien. La bonne société me rattrape. Mais je n’y peux rien. Et plus j’écoute Ride On A Brand New Time et ses dix titres instrumentaux à l’exotisme maniéré et aux arrangements pointilleux et plus j’aime ça. Désormais je vais boire ma bière tiédasse dans une coupe à champagne. Au moins pour entretenir l’illusion.
Il est de bon goût d’aimer NLF3 mais NLF3 est précisément un groupe de bon goût. D’un mélange d’influences qui laisserait perplexe et sceptique n’importe quel bourrin shooté à la disto pas chère, les deux frères Laureau -accompagnés de Mitch Pires à la batterie/percussions (et remplaçant depuis 2005 de Ludovic Morillon, le l initial de NLF3)- ont su élaborer une musique savante et légère à la fois. La rencontre improbable de l’afro beat et de This Heat. L’exotisme irisé et la sécheresse urbaine de la vie contemporaine. Nos parisiens réussissent ainsi le tour de force que Tortoise n’a jamais su réaliser après le virage entamé avec l’album TNT (le dernier disque honorable des chicagoans, datant tout de même de 1998…) c'est-à-dire une hybridation à très haut risque entre rock, jazz, musiques afro, electronica et peut être encore deux ou trois autres trucs.
La force de NLF3 c’est de largement sous utiliser la guitare en lui préférant claviers, orgue, fender Rhodes ou piano et d’en tirer des sons qui évitent toute dérive easy listening, exotisme de pacotille et jazz de salon, des sons accompagnés d’un sens de la mélodie qui fait quasiment mouche à chaque coup. L’autre force de NLF3 c’est la rythmique et plus particulièrement la basse de Fabrice Laureau (aka F.Lor, également crédité ici comme ingénieur du son et devenu assez bon producteur), jeu et son de basse qui étaient déjà la grande originalité de Prohibition, le groupe originel des deux frères. Une basse sèche et mélodieuse, claquante et étonnamment souple. Lorsque on possède une assise aussi solide que celle-ci, on peut mettre à peu près n’importe quoi dessus, y compris des mélodies gaies et sucrées (le réussi Echotropic, déjà présent sur un précédent maxi, le lancinant Fuses, Apes And Doppler, le très funk et félin Shadongaa Falls, parfait pour une danse du ventre suave et chaude, ou Hurricane, sorte de This Heat sous filtre magique vaudou).
Ride On A Brand New Time
confirme tout le bien que l’on peut penser de NLF3, groupe aussi pertinent que bien décidé et preuve -pour une fois- que l’on peut avoir la conviction d’avoir raison sans risquer d’être ridicule. Seule erreur dans ce parcours sans fautes, l’ignoble dessin illustrant le digipak, exécuté avec les feutres à l’eau de la gamine des voisins d’à côté (et que l’on retrouve de manière totalement inutile dans le livret intérieur). Personne n’est parfait.

[la meilleure façon de se procurer ce disque c’est de le commander auprès de Prohibited records, le label maison]

dimanche 22 mars 2009

Comme à la télé : les Melt Banana ne sont pas végétariens




Et au cours actuel du ketchup, c’est proprement indécent.

vendredi 20 mars 2009

Kourgane / Heavy






















Si jusqu’ici vous pensiez que Kourgane était un vieux groupe originaire de Pau et disparu corps et âme avec le siècle dernier après avoir publié un unique album (?) chez Sonore (le label de l’ex Belly Button Franck Strofer aujourd’hui reconverti dans les japoniaiseries électro) et bien vous aviez tort. Kourgane est bel et bien vivant. Plus que jamais. Le groupe s’est en fait reformé en 2005, a simplifié son instrumentation, n’a gardé que trois de ces anciens membres et a récupéré au passage un nouveau guitariste. Exit les délires avant jazz/free rock de la première période, place désormais à un propos plus resserré, tendu et aiguisé, ne délaissant pas un certain lyrisme et une emphase resplendissante. Une originalité significative également : pas de basse mais une guitare baryton.
Kourgane a republié un album dès 2006 (Bunker Bato Club), un disque enregistré grâce aux bons soins de Stephan Krieger et de son studio -et label- Amanita. Et comme on ne change pas une équipe qui gagne, les mêmes se sont retrouvés deux ans après. Le résultat ? Heavy et ses neufs titres qui ne lâchent pas l’affaire -boules de teigne noise, cris de gorge, exacerbation et exagération, élégance désespérée et incandescence des émotions. Heavy fait partie de ces disques que l’on a bien failli oublier en 2008, un disque essentiel, grandiose et décadent. S’il fallait trouver une origine à cette musique de cerf en rut on irait chercher du côté des groupes dont l’assise repose sur une rythmique infaillible, avec suffisamment de tension à l’intérieur pour assurer ce qu’il faut d’arrogance conquérante et assez d’élasticité pour tordre définitivement ce qui reste de retenue et de décence -dans tous les cas ça fait mal.
Les chansons de Kourgane sont construites hors de tout schéma classique, pas de couplets, pas de refrains, pas de ponts ou de breaks pour faire beau ou pour faire bien mais des leitmotivs répétés avec hargne, des lignes de guitares qui tirent des fils barbelés sur les piquets fièrement plantés par la rythmique. Il y a un entêtement, une obsession dans les structures de ces neuf titres, du metal en fusion qui nous coule dans les veines et nous tétanise d’un bonheur effroyable. Un bonheur qui monte petit à petit sur chaque chanson, on croit qu’il arrive, qu’il va nous exploser à la gueule mais il était là dès le départ, violent et inflexible -écouter un titre de Kourgane c’est comme dévaler une monté abrupte (ou escalader une descente), le temps de se rendre compte de quoi que ce soit on est déjà ivre de se retrouver aussi désorienté. En ce sens Kourgane joue une musique éminemment enveloppante, un grondement de vibrations, et on ne cherchera pas les issues de secours pour s’en sortir.
Mais le réel point fort de Kourgane, du moins son originalité incontournable, c’est le chant de Fréderic Jouanlong-Bernadou. Et à tous les niveaux. Un croisement hybride entre les tours d’équilibriste d’un Phil Minton (Lounge Lecture) et la hargne lyrique d’un Franz Treichler première période, l’album L’Eau Rouge, lorsqu’il n’avait pas peur de se déboîter les cordes vocales sur les traces de Jaz Coleman. Le registre du chant est souvent rauque, toujours grondeur, frondeur par essence mais réserve aussi quelques surprises comme sur Chevreuil A dont le registre aigu et fragile n’a rien à envier à celui de Kazu de Blonde Redhead -comparaison certes étonnante. Ensuite viennent les textes -le genre de détails dont tout le monde se fout, moi le premier- des textes un peu en français, un peu en anglais, souvent les deux en même temps. Des textes quasiment systématiquement ponctués par des points d’exclamation -pas des affirmations, pas de mode péremptoire mais des cris dont l’intelligibilité joue avec la rage.
Répétons-le encore une fois juste pour le plaisir, Heavy est l’un des meilleurs albums de l’année 2008 et Kourgane un animal violemment sauvage et pas près d’être domestiqué.

[Pour se procurer ce disque deux solutions : aller sur la page business de Kourgane ou, beaucoup mieux, aller voir le groupe en concert à l’une des dates annoncées sur son monospace. De plus, une longue interview de ces étranges garçons est disponible sur Perte Et Fracas, le site des vieux singes qui aiment les cervidés.]

jeudi 19 mars 2009

K-Branding / Facial





















Encore un groupe venu de nulle ou presque : K-Branding. Avec son artwork reprenant un masque africain, le premier album des belges assume complètement son côté tribal, légèrement spatial et hypnotique. C’est ce à quoi fait penser Nubian Heat, morceau inaugural qui laisse planer les forces obscures d’un psychédélisme bruyant tout au long de ses quatre minutes. Heureusement pour nous, Ländler réveille un peu plus les morts (et fait taire les diseurs de mantras) avec quelques pulsations plus que bienvenues et surtout plus d’épaisseur. K-Branding n’est pas un groupe de va-nu-pieds de plus avec option trip à la mode de zen, K-Branding oscille entre free jazz massif, cold wave métallique, psalmodies synthétiques et noise compulsive. Rien que ça.
Avec sa formation originale -guitare, saxophone, batterie, bidouille et voix- le trio ratisse large mais récolte finement. On est à mille lieues de l’impro jusqu’au-boutiste et finalement sans queue ni tête (mais on peut à juste titre penser que l’improvisation est une bonne méthode de travail pour nos trois musiciens) tout comme on évite soigneusement le bétonnage en règle façon hystérie contrôlée du coq qui saute l’âne avec sens aigu de la propreté, de l’hygiène prophylactique et du virage en épingle négocié tout comme il faut, en toute absence de danger : bien au contraire, K-Branding explose tout, aveuglément et quitte à se fourvoyer à l’occasion.
Facial
est une somme dont il est bien difficile de faire la partition. Des fois cela fonctionne magnifiquement (le très synthétique Antisolar Point, le non moins froid et tribal Der Morgen Kommt), d’autre fois cela ne prend absolument pas ou alors très mal (le déjà cité Nubian Heat, l’ennuyeux Africanurse) mais le résultat est toujours singulier et original à l’image de Curse Of Small Faces -la seule chanson du disque ?- mélangeant subtilement éléments organiques (percussions, voix) et machineries glaciales (guitare en mode repeat, synthé bourdonnant) et surtout avec Nieu-Latyn, en plein mode alterné reptilien/free et Take Your Hat Off, titre à la fois le plus indus tribal et le plus criard de tout l’album.
Malgré la concision des titres et malgré la versatilité des influences, K-Branding sait prendre son temps, alterner ses ambiances et affirmer ses vues. Le problème vient parfois du fait que le groupe ne sait pas toujours comment finir un morceau sinon en ayant recours à la bonne vieille méthode de la queue de poisson. On regrette également les passages atmosphériques qui n’apportent pas grand-chose -la musique de K-Branding n’avait pourtant pas besoin de telles respirations, au contraire c’est un bon tour de vis supplémentaire et un resserrage/dégraissage en bonne et due forme qu’il fallait à Facial. Mais ce n’est pas très grave. Le plus important est que par-dessus tout K-Branding arrive à distiller un sentiment de malaise étrange rappelant celui du sample introductif utilisé par Death In June sur All Alone In Her Nirvana. Death In June : un bon vieux groupe de cold wave/post punk tribal avant de devenir une caricature de dark folk nazillon -ajoutez y deux ou trois ambiances à la Hint, quelques giclettes de Zu et un zeste de 16/17 et vous obtiendrez une vague idée de ce à quoi peut ressembler K-Branding.
[Facial est publié par Humpty Dumpty records, un label pour le moins éclectique]

mercredi 18 mars 2009

Snowman / The Horse, The Rat And The Swan























Encore l’Australie. Et si on excepte une mini tournée britannique commune des deux groupes au mois de juin prochain, le rapport entre The Drones et Snowman s’arrête là. Avec ces derniers on est très loin de la moiteur et de la poussière. Très loin de la chaleur aussi. Un sens certain de la grandiloquence et du baroque, du maniérisme à tous les étages mais surtout du panache. De la douleur aussi parfois… peut être ne font ils que semblant mais les quatre Snowman ont des choses à nous dire et leur cocktail musical est aussi bigarré qu’explosif. Déconcertant, déroutant mais tellement accrocheur. Un groupe sur le fil, pas loin de tomber dans le vide et dans l’erreur mais évitant chaque faux pas avec des contorsions et des circonvolutions pour le moins inattendues.
On aurait tort de penser que Snowman ce n’est que plusieurs groupes en un seul. Cette première impression, trompeuse, s’estompe assez rapidement. Et d’où qu’on le prenne, ce The Horse, The Rat And The Swan est une énigme. Comment ces australiens ont-ils pu en arriver là ? Ce n’est pas leur premier et précédent album sans titre (datant de 2006) qui pourra apporter un semblant de réponse. Il y a un gouffre entre ces deux disques. On est même tenté d’affirmer qu’il ne s’agit absolument pas des mêmes personnes.
Mais revenons un peu en arrière. Les quatre Snowman se sont exilés de Perth -trou du cul désertique et caniculaire de l’Australie occidentale- pour s’installer à Londres. Une histoire déjà vue, déjà entendue il y a près d’une trentaine d’années avec Birthday Party. Le groupe de Nick Cave et Rowland S. Howard avait également émigré de Melbourne pour se retrouver dans la capitale européenne (mondiale) du post punk. Comme Snowman, Birthday Party avait enregistré un premier album totalement calamiteux -sous le nom de Boys Next Door, un album encore et toujours disponible grâce aux bons soins de Mute records- avant de se métamorphoser complètement pour devenir ce que l’on sait (petite objection : la majeur partie des titres de Hee Haw, album compilatoire de Birthday Party, ont pourtant été enregistrés et originellement publiés sous le nom de Boys Next Door avant d’être réédités sous le nouveau nom du groupe).
De Birthday Party on retrouve chez Snowman un sens certain du chaos. Et ce que d’aucun appellerait une pointe de gothique -mais là, en ce qui concerne Nick Cave et compagnie, je n’ai jamais réellement compris ce que cela signifiait. C’est déjà plus évident pour Snowman : s’il fallait absolument trouver quelque chose approchant du gothique/death rock/batcave/etc chez nos marsupiaux ce serait un air de Bauhaus, le Bauhaus le plus sublime et le plus expressionniste, celui d’In The Flat Field.
Mais Snowman aime brouiller les pistes, n’hésite pas à l’occasion à sous mixer ses guitares, à mettre le piano plus en avant et à faire sonner sa production comme un gros loukoum métallique gavé de textures électroniques. C’est surtout avec les voix que Snowman aime tromper son petit monde. Des nasilleries sous forte influence Johnny Rotten/John Lydon en passant par des emportements théâtralisés dignes d’un Peter Murphy on se retrouve avec des voix éthérées au sirop doux-amer parfumé à la codéine, ce qui a valu à Snowman des comparaisons injustifiées avec les Liars (de même qui le tribalisme choc des australiens n’a rien à voir avec les rythmiques post choucroute des new-yorkais). Cette ambivalence sur les voix -pour ne pas parler d’ambiguïté- se retrouve tout au long de The Horse, The Rat And The Swan, culminant sous son aspect faussement angélique avec le titre She Is Turning Into You -les harmonies vocales ne bougent pas d’un iota, persévérant dans la monotonie céleste, tandis que guitares et batterie raclent en douceur mais fermement tout ce qui dépasse.
C’est avec The Horse (Parts 1 And 2) que Snowman réalise l’impossible, concentrant sur six minutes toute l’alchimie malade de sa musique, explosion tribale et guitares fusionnelles servant de piste d’envol à un chant incantatoire. Après cette apocalypse, l’élégance un brin dandy mais tout aussi perturbée de Diamond Wounds enfonce le clou sur fond de guitares shoegaze et de samples radiophoniques brouillés. Un titre au final tout aussi fort que The Horse (Parts 1 And 2) et l’un des albums essentiels du moment.

mardi 17 mars 2009

Mais qu'est il arrivé à The Drones ? (part two)





















Il est clair -et ce dès les premières écoutes d'Havilah, dernier album en date de The Drones et déjà le second pour ATP recordings- qu’il ne s’agit plus du tout du même groupe. S’en suit le schisme inévitable entre les vieux fans désormais fatigués par les facéties un rien nombrilistes du leader et chanteur/guitariste Gareth Liddiard et les nouveaux, ceux qui restent exaltés par la découverte jalouse d’un joyau secret. En comparaison d’Havilah, son prédécesseur Gala Mil était finalement un disque de blues punk outrancier.
Au contraire cette nouvelle livraison fait la part belle au sirop voire même aux balades (c’est le syndrome Nick Cave ?). Le piano y fait à l’occasion des interventions encore discrètes mais énervantes (Cold And Sober, la chanson la plus insupportable de l’album ?) tandis que les guitares ne rechignent pas à délaisser l’électricité pour lorgner vers l’acoustique. Et pour celles et ceux qui n’auraient pas encore remarqué que The Drones est devenu le groupe du seul Gareth Liddiard, sa voix est mixée toujours plus en avant. Conséquemment ses tics de chanteur sont encore plus évidents -cette tendance à commencer ses parties de chant en début de morceaux toujours sur la même note, la montée un ton au dessus en prenant une voix de canard. Havilah est un disque de bavardages longuets et c’est lorsque on se dit que la voix du chanteur que l’on appréciait jusqu’ici frôle les limites de l’insupportable que l’on doit bien admettre qu’il y a dorénavant quelque chose qui cloche chez The Drones.
On cherche fatalement les guitares sur Havilah, on cherche ces croisements noisy et décadents (Blue Oyster Cult en mode Sonic Youth ?) entre Gareth Liddiard et Rui Pereira mais il n’y en a pas. Il faut dire que ce dernier a quitté The Drones, laissant sa place à un certain Dan Luscombe -c’est lui qui joue du piano, délation !- qui comme les deux autres membres du groupe ne sert désormais que de faire valoir au chanteur. A la place du mordant on a ainsi droit à des balades pleutres et intimistes (Penumbra, pseudo fantomatique), à du country rock mollasson (Your Acting’s Like The End Of The World) ou à des titres bancals hésitant encore entre les anciens Drones et les nouveaux (le single The Minotaur, Luck In Odd Numbers ou l’inaugural Nail It Down). Seul I Am The Supercargo et son texte désabusé -mysanthrope ?- donne un semblant d’ivresse à l’auditeur mais un seul titre sur dix, ce n’est vraiment pas beaucoup.

[et pour ce qui est de ne jamais avoir vu les australiens en concert, ceux-ci figurent au programme des Nuits Sonres 2009, le 22 mai…]

lundi 16 mars 2009

Mais qu'est il arrivé à The Drones ? (part one)

















A chacun ses légendes. Aussi lorsque un libraire breton m’a envoyé plusieurs messages répétant à l’envie qu’il venait de découvrir un groupe fabuleux et australien je me suis laissé tenté. Ce groupe c’est The Drones. Il venait de publier un album assez remarquable et remarqué intitulé Wait Long By The River & The Bodies Of Your Ennemies Will Float By (on est en 2005) et je ne pouvais qu’acquiescer. Notre libraire a vu The Drones en concert et à l’en croire tout ce que la Bretagne comptait alors d’activistes était hystérique. Je n’aurai jamais cette chance, je parle de voir The Drones en concert, mais ce n’est pas si grave.
En 2006, le groupe australien publie Gala Mill, un album campagnard en forme de déception. Je vous laisse lire cette chronique qui à mon sens résume parfaitement la situation et mes impressions de l’époque. The Drones prenait un virage terreux pour ne pas dire poussiéreux et fatigué, s’éloignant de toutes formes de rage. Le blues des champs.
Enregistré en concert dans un club de Los Angeles (qui publie lui-même ses live captés à la maison), The Drones In Spaceland 11/15/2006 est un témoignage de la nouvelle tournée qui a suivi. Le son est plus que correct et heureusement pour nous Gala Mill y est sous représenté avec trois titres sur dix (le magnifique I’m Here Now, Dog Eared et le hit I Don’t Ever Want To Change). En prime le concert se termine par The Downbound Train, une reprise nerveuse et allumée de Chuck Berry. Si j’ai dit plus haut que ce n’était pas si grave de ne jamais avoir vu The Drones en concert et bien c’est une erreur. Les avoir entendus via cette galette en plastique de douze centimètres enregistrée dans une salle inconnue à l’autre bout de la planète devant douze personnes n’était alors plus suffisant. Rien que pour cette tuerie de Shark Fin Blues.























Pour se faire encore un peu plus de mal, il suffit de visionner le DVD The Drones Live In Madrid publié par Munster records (leurs jaquettes ont toutes le même visuel avec le nom du groupe écrit sur fond rose, dans la même collection on trouve les Beasts Of Bourbon et Mudhoney). Enregistré pendant la même tournée mondiale (!) que The Drones In Spaceland 11/15/2006, The Drones Live In Madrid a une set list à peu près comparable -un seul titre de différence, She Had An Abortion That She Made Me Pay For en moins et From Black To Communist en plus- mais dans un ordre totalement différent (Dog Eared joué au début comme tour de chauffe avant l’explosion blues noise) et surtout avec une implication et une rage tout autre. Ce ne sont pas les images qui amènent à ce constat, cela fonctionne aussi très bien en fermant les yeux ou en lisant en même temps son bouquin du moment : ce concert madrilène est bien supérieur à celui de Los Angeles… même si je sais qu’il n’y a sans doute rien de plus pathétique que de regarder le DVD live d’un groupe, confortablement vautré à la maison (si il y a pire : aller sciemment à un concert sachant que l’on va avoir droit à du play-back).
Voir le guitariste/chanteur Gareth Liddiard en faire des tonnes et tirer toute la couverture à lui est un régal. Ce type a (avait ?) de toutes évidences quelque chose pour/en lui. Derrière, son groupe le suit hardiment, mis à part la bassiste d’une inexpressivité coutumière, décidément les groupes de rock (au sens large) qui confondent bassiste femelle et pot de fleurs sont légions, ou alors il faut se taper des monstres de foire type Nashville Pussy. Le batteur reste bien droit, il vaut mieux tellement la musique de The Drones se plait à dérailler, et surtout il y a Rui Pereira, homme de l’ombre et deuxième guitariste qui arrive toujours à tirer son épingle du jeu à chacune de ses interventions.>
Les explosions soniques à deux guitares caractéristiques de The Drones sont le must de ce concert. Lorsque le blues chauffé à blanc devient liquide et brûlant comme du plomb en fusion, The Drones arrivent parfaitement à tout envoyer en l’air, détruisent tout l’espace un court instant (ces passages sont toujours judicieusement dosés) et retombent sur leurs pattes tel un félin enragé et saoul de colère, pile-poil dans les rails du morceau. Magnifiquement beau. Tellement beau que oui, regarder un concert à la maison devant un écran c’est vraiment la grosse lose.

vendredi 13 mars 2009

Passe Montagne / Oh My Satan




















Passe Montagne. Vraiment un drôle de choix de nom pour un groupe. Peut être vient il du fait que le batteur (jadis également une moitié de Chevreuil) vit maintenant en Italie et qu’il lui faut traverser les Alpes -un ami bien informé me suggère que c’est tout de même plus facile que d’arriver à pied par la Chine- pour rejoindre ses petits camarades guitaristes et nous balancer à la gueule ce Oh My Satan jubilatoire. Douze titres, vingt minutes. Le compte est bon. Ton compte est bon, à toi qui as osé jeter une oreille sur ce disque maléfique et frénétique, haha.
En première position, Jupiter lance les hostilités et comme un avertissement : une minute et demi de bourrinade qui t’en fait prendre à perpétuité, du genre on te nettoie les oreilles et on te récure la cervelle avant le grand saut. En deuxième position, La Loi C’Est La Loi reprenant quant à lui les recettes désarticulées d’un US Maple à nouveau énervé avec citation/hommage aux demi dieux australiens d’AC/DC sur le dernier riff, du boogie-woogie dans la culotte et à sec en plus. Après ces deux titres, l’auditeur malin pense avoir tout compris à Passe Montagne, encore une bande de petits rigolos qui se la jouent mi arty mi punk, qui font du math rock prétendument sans démonstration aucune mais avec une urgence punk et une décontraction digne d’un lavement pré coloscopique.
On ne comprend vraiment pas grand-chose à Oh My Satan. Cela va trop vite, trop fort. Il n’y a que les imbéciles et les emmerdeurs qui s’amuseront à décortiquer ce disque furibard et généreux. Pas la peine de s’appesantir. On jouit et c’est tout. On jouit de cette musique instrumentale qui renouvelle singulièrement un genre dévoyé et encrassé. De la classe très certainement. De l’humour, encore plus. Du talent, évidemment. Une alchimie incompréhensible, un peu comme si ce brave et ingénieux Seth Brundle avait par mégarde enfermé math rock et déviances skingraftiennes dans la même cabine de téléportation, générant sans le faire exprès un nouveau mutant aux composantes organiques si solidement imbriquées les unes dans les autres que l’on n’y verrait que du feu. Le feu, ces jeunes gens l’ont assurément. Et ils viendront bientôt le mettre de par chez vous puisque une tournée générale et forcément triomphale est prévue pour bientôt.
[le batteur de Passe Montagne est également l’heureux copropriétaire du label African Tape dont Oh My Satan est la troisième référence, c’est également le meilleur moyen pour trouver ce disque]

jeudi 12 mars 2009

L'Enfance Rouge / Trapani - Halq Al Waady






















L'Enfance Rouge inaugure une (petite) série de disques parus en 2008 et largement oubliés par ici alors qu’ils auraient largement pu figurer dans le tableau final des meilleures choses de cette année écoulée. De la méfiance, du dédain ou -pire- de l’indifférence. Commençons par énumérer toutes les raisons qui ont fait que Trapani - Halq Al Waady est resté pendant quelques mois dans les oubliettes à mp3 d’un ordinateur trop occupé à autre chose. Dans le désordre un nom de groupe ridicule et le cosmopolitisme musical revendiqué, plus particulièrement l’attrait pour les musiques du Maghreb, un peu dans la lignée d’un The Ex avec l’Afrique noire mais précisément ce n’est pas ce que je préfère le plus dans la démarche des hollandais. Tout comme l’affichage politique ou plus exactement la tendance à l’assertion et/ou à la sentence : entendre, dès le premier titre, une voix affirmant je crois que l’utopie est l’élément essentiel de notre intelligence ne fait pas très envie, même si je suis entièrement d’accord avec ce genre de pensée directement issue des idées de 1936 (et même de bien avant…) et de la révolution espagnole, bizarrement je n’ai pas envie de l’entendre -pas envie de l’entendre de cette façon là, précédant un petit déluge de guitare noisy avec toute la théâtralité que cela suppose. Je suis un adepte de la méthode Biafra, c'est-à-dire de l’antiphrase, du cynisme de l’exemple, de la violence directe. Je ne pouvais de toutes façons éprouver que du mépris pour un groupe reprenant du Noir Désir sur un de ses disques précédents et chantant la moitié du temps en français, le risque de trop comprendre les paroles ne me séduit que rarement.
L’Enfance Rouge est peut être bien le groupe que je viens de décrire mais il manque à cette exécution en règle deux points important : la générosité et la poésie. De ces deux éléments découle tout le reste, un militantisme frondeur, une curiosité de voyageur, un panachage d’influences musicales plus que réussi, des textes parfois magnifiques, des interprétations émouvantes (on n’est pas très loin de la sensibilité à fleur de peau d’une Thalia Zedek sur Petite Mort, onzième et dernier titre de ce disque éblouissant).
Comme d’habitude, c’est par la musique -violemment expressionniste- de l’Enfance Rouge que tout est arrivé. Une musique riche, luxuriante, empruntant au meilleur de la noise (la guitare nerveuse et bruyante, la rythmique reptilienne) et piochant dans la musique arabe (de nombreux titres ont été coréalisés et arrangés par des musiciens tunisiens) avec un naturel qui effacerait de mon cœur toute la méfiance éprouvée à l’égard des putasseries habituelles que l’on nous réserve sous l’appellation de world music. Il ne s’agit pas seulement ici de l’adjonction d’un luth ou d’une flûte, certains arrangements avec voix ou cordes sont tout simplement bouleversants de beauté absolue.
Désormais, alors que je suis largement plus que convaincu par ces filles et ces fils de la gauche rouge et noire (je ne parle bien évidement pas de l’ersatz de socialisme que l’on propose habituellement dans nos contrées occidentales), il ne me reste plus que deux ou trois choses à faire : continuer à aller faire du vélo les jours d’élection pour ne pas voter pour des trous du cul quels qu’ils soient, continuer à rêver et écouter Krsko - Valencia, ce précédent disque sur lequel figure justement la reprise de Aux Sombres Héros De L’Amer, un disque lui disponible aussi grâce à T-Rec. […]

mercredi 11 mars 2009

Overmars en format court























Après le morceau fleuve, douloureux et beau -le faramineux Born Again datant déjà d’un an et demi- les lyonnais d’Overmars s’essaient au format court avec une série de split singles. Ont déjà paru un sept pouces partagé avec les suédois de Icos, un autre sept pouces en collaboration avec Kill The Trill et est prévu un nouveau split avec Starkweather à paraître l’été prochain sur Music Fear Satan. L’autre actualité du groupe c’est l’annonce d’une réédition de Born Again par les américains de Crucial Blast -le label qui adore les groupes français puisque Year Of No Light et Monarch! ont déjà eu droit à ce privilège, lequel label parle également d’une tournée aux US.
Du vinyl donc et qui plus est du petit format. Le split avec Icos est une réalisation du label allemand Alerta Antifascista. Far From Home représente la face suédoise avec un post hard core bien down tempo et bien métallique aux entournures mais trop classique à mon goût. Le plaisir souvent ne tient à pas grand-chose et là précisément il n’y a rien de palpitant, aucun entrain, aucune surprise, aucune profondeur. Le passage ultra ralenti à mi parcours ne relève d’aucune originalité et le système de double voix est pénible (les voix sont pénibles en elles-mêmes). Icos est un groupe très honnête et efficace dans son genre mais il m’en faudrait un peu plus.
The Road To Awe
est le titre de la face lyonnaise et là on comprend beaucoup mieux. Avec quasiment les mêmes éléments, Overmars élève immédiatement les débats. Après une intro bien pensée (cela veut dire que même si on sait forcément que derrière il y a le déluge et l’acier on est content d’attendre que ça nous tombe sur la gueule), la machine Overmars insuffle tout son savoir-faire et toute sa maîtrise à une composition à la coloration plus hardcore que d’habitude avant un final ralenti là aussi et un chant qui rappelle le meilleur de Condense, celui de l’album Genuflex et de sa lourdeur malade. Bravo.






















Plus qu’un split, Büccolision est une collaboration entre Kill The Thrill et Overmars. Deux faces qui se complètent et qui se suivent. La première est attribuée aux marseillais, introduction par quelques notes au piano et brouillard petit à petit épaissi de saturation avant l’intervention lointaine de la voix (rauque et expressive), quelques déflagrations de percussions et un motif entêtant à la guitare. Une bonne évocation de la solitude.
La seconde face serait celle d’Overmars et elle rentre directement dans le lard, guitares qui gémissent de rage, basse qui racle, les tripatouillages électroniques qui vrillent et le chant de métallurgiste qui évoque une nouvelle fois celui de Condense. C’est intense et carré, lourd et précis. Le titre s’étiole froidement, finissant par reprendre les quelques notes de piano qui ouvrait la première face -fin de l’histoire, la boucle est bouclée. Je me demande s’il existe ou existera un jour une version intégrale (l’évidence est dans l’intervalle peut on lire à l’intérieur de la pochette) et enchaînée de ce Büccolision part 1 & 2, quelque chose qui ressemblerait à un mystère presque élucidé.
Ce très beau sept pouces qui tourne en 33 rpm est la première réalisation de Green War records, la pochette en carton noir très épais est découpée à la main et surtout sérigraphiée en blanc pour un rendu aussi artisanal que magnifique.

mardi 10 mars 2009

KK Null au Sonic























La soirée du dimanche. A dire vrai c’est plus la curiosité qu’autre chose qui me pousse jusqu’au Sonic. Histoire de me prendre une grosse baffe question volume sonore avec KK Null. Et j’espère bien que je vais être servi. La salle est presque vide (elle ne va pas beaucoup se remplir…) alors que Gzzzt commence son set. Je vois arriver un garçon à l’apparence toute timide et lunettes de premier de la classe. Il se planque derrière son laptop et diffuse ses sons. De la musique de souris et de double clic. Sur le monospace de Gzzzt on peut lire : frénétique, indus, psychotique. Les compositions de notre binoclard n’ont pas l’air trop mal mais comme me le fait remarquer mon voisin de gauche, le problème avec ce genre de dispositif c’est qu’il ne se passe rien de rien sur scène. La seule solution c’est la projection vidéo -mais regarder des images abstraites à peine plus passionnantes que des bulles d’huile colorées naviguant dans de l’eau d’une autre couleur cela va bien cinq minutes- ou le son. Et malheureusement Gzzzt ne l’a pas le son, ses compositions sont trop disparates pour accrocher l’oreille. Le garçon hésite encore entre plusieurs genres et cela lui est préjudiciable.























Un passage breakcore me fait presque lever la tête et l’oreille. Je ressens également une certaine admiration lorsque Gzzzt s’empare d’un micro et se met à hurler comme un possédé, pas mal pour un timide. Ça c’est sûrement le côté psychotique. Je remarque également un semblant de chorégraphie ou plus exactement des attitudes choisies à des moments précis. Cela va du garde-à-vous à la danse de saint-guy pour poulet condamné à l’abattage industriel. On finit par avoir un peu honte pour lui, y compris et surtout lorsque il chausse son gant mapa électronique tout bourré de capteurs. Trop top. Lorsque il sert le poing ou tend le bras cela fait des sons. Il en fallait un peu plus pour me sortir de ma torpeur. Combien y a-t-il de z à Gzzzt ? ZZZZZZZZZZZzzzzzzzzzzzzzzzzz…
Vacuum
s’installe à son tour. La (bonne) surprise c’est que ce duo est composé de Yann Gourdon et de sa vielle à roue trafiquée avec un dispositif électroacoustique (microcapteurs et deux tonnes de boîtiers d’effet). L’autre membre est un batteur/bricoleur complètement inconnu au bataillon et ce n’est pas son site qui pourra nous en apprendre davantage sur lui. Sa batterie est bizarrement composée, la grosse caisse est couchée et surélevée avec une double pédale qui frappe sur la peau du dessous, ce qui permet ainsi de jouer en même temps sur la peau du dessus.


















La musique de Vacuum n’a rien à voir avec les travaux en solo de Yann Gourdon et ses délires soniques, dans la lignée d’un Phil Niblock par exemple. Ce soir nous avons droit à de l’improvisation au sens strict. Le problème c’est que le batteur en fait des tonnes, il n’arrête pas de gesticuler, use et abuse d’accessoires dont il se sert pour tirer de sa batterie des sons inhabituels (grincements, etc). Il passe ainsi en revue tous les artifices du batteur contemporain qui depuis ce gros taré de Han Bennink et sa descendance directe (comme Gerry Hemingway et maintenant Chris Corsano) n’ont plus rien d’original ou d’un tant soit peu surprenant. Surtout il ne laisse aucune place à la vielle à roue de Yann Gourdon, la noie sous un déluge de notes impossibles et inutiles. J’ai rarement entendu un duo aussi mal assorti. Dommage.
L’homme de la soirée arrive, KK Null installe son nullsonic sur une table. Le nullsonic c’est en fait deux boîtiers d’effets à écran tactile. Pendant qu’il se sert de l’un pour lancer des sons/samples déjà rendus méconnaissables, il modifie tout ça et en rajoute une couche en utilisant le second boîtier. La musique est donc générée en direct, ce qui renforce le caractère naturellement dynamique des compositions.






















Les disques du japonais peuvent être très beaux mais en concert l’accent est mis sur le volume, l’intensité et le côté sculptural des sons. Il utilise souvent des bases technoïdes dévoyées (mais il n’y a jamais de rythmique) et celles-ci sont comme poussées à bout. L’approche du son est assez comparable à celle d’un Masami Akita -avec lequel KK Null a joué pendant deux ans au tout début des années 80- sauf qu’il y a des bouts discernables dans la magma sonore, il y a également toujours un fil conducteur, un cheminement (ce qui est l’exact opposé de la doctrine de l’empilement cher à Merzbow) et donc on peut facilement se laisser prendre à son jeu dangereux de salves supersoniques.
Le volume sonore est conséquent mais somme toute raisonnable. Le sol tremble un peu sous l’effet des basses qui pourtant sont largement minoritaires dans la musique de KK Null, tout comme les aigus d’ailleurs. Tout dans les médiums. Lorsqu’il prend une sorte de micro en forme de masque anticontamination et qu’il se met à hurler dedans je reconnais instantanément le barrissement qui sur disque me fait penser au cornet dans Throbbing Gristle. En concert cette comparaison n’a plus lieu d’être, le barrissement s’est transformé en cri de guerre (encore un reste de Zeni Geva ?) passé à la moulinette noise. KK Null en direct live c’est définitivement moins de finesse et de détails mais beaucoup plus de sensations fortes. J’en ai encore les jambes qui picotent un peu.

dimanche 8 mars 2009

KK Null / Oxygen Flash
























KK Null est un musicien prolifique bien qu’il sache garder une certaine décence -pour relativiser encore un peu plus on peut également rappeler que Maximum Money Monster, le premier album de Zeni Geva a été enregistré en 1989 et que Kazuyuki Kishino avait même un autre groupe auparavant (YB02)- aussi revendiquer une centaine d’enregistrements, dont une bonne moitié de disques en concert, pour vingt années d’activité intense ne parait pas si démesuré que cela. Bien que parfois on puisse avoir l’impression que c’est l’avalanche.
Après Galactic Tornado, voici Oxygen Flash, un album en fait enregistré avant (sur la période 2006-2007) bien que publié à peu près en même temps. Il s’agit surtout d’un album paru sur Neurot records. Inévitablement la question brûle les lèvres : est il différent des précédents ? KK Null joue t-il de la guitare dessus ? De fait ce n’est pas le premier album de KK Null pour Neurot -il y a déjà eu Atomik Disaster en 2003- donc la réponse possède une certaine évidence, ce n’est pas parce qu’on est sur le label d’un type de Neurosis que l’on va changer ses mauvaises habitudes. On peut même dire qu’Oxygen Flash est le frère jumeau de Galactic Tornado. Outre un titre toujours aussi ridicule, ils ont également comme point commun d’avoir été enregistrés au Prima Natura Studio par le maître (c’est son studio personnel), lequel précise à chaque fois que le disque est composé de cosmic sounds. En ajoutant les photos de coucher de soleil sur hautes montagnes ou plaines infinies des livrets on obtient un délicieux brouet parfumé au mysticisme naturaliste.
Mais la musique de KK Null ne ressemble en rien à l’electro écolo d’un Biosphère pas plus qu’elle ne fait penser aux longues plages atmosphériques dégueulant de zénitude qu’on nous rabâche (une fois que tu as écouté et adoré la Trilogie De La Mort d’Eliane Radigues tout te passe au dessus de la tête) donc question mystique et soupe de légumes bioéthique on repassera. Les sonorités bien en place sur Oxygen Flash gardent ce côté froid, mécanique, piquant et pointu pourtant cela n’a rien à voir non plus avec de la techno. Les motifs répétés ne le sont pas suffisamment longtemps, s’il y a une rythmique elle ressemble au bruit d’un tambour de machine à laver en roue libre, les empilements en strates ne semblent pas intéresser KK Null plus que ça. On parlerait plus volontiers d’une musique concrète jouant avec des sons electro exacerbés et jouant également avec l’inattendu et des perturbations industrielles. C’est bouillonnant, toujours sur le qui-vive, jamais au repos, il se passe toujours quelque chose, comme un élan vital.
Oxygen Flash
accentue encore le côté dynamique imposé par Galactic Tornado. Hormis la sixième plage plus subliminale toutes les titres (?) du disque sont compris entre trois et six minutes, une concision dont la principalement conséquence est un resserrement certain du propos, effort de composition évident mais bien loin de toutes intentions narratives. Pas de scénario, pas de décorum. Des tableaux de maître. Derrière les grésillements, au milieu des bafouillages robotiques, entre les clics, les cuts et les glitchs oui on entend de la musique. ET de la très belle musique. La dernière plage fait à nouveau penser à du Throbbing Gristle (c’est décidément une manie…) avec sa fausse rythmique et par-dessus tout cette mélopée barrissante qui évoque le son du cornet de Cosey Fanni Tutti sur Heathen Earth. Un final magnifique.











[et KK Null est en concert ce soir au Sonic en compagnie de Vacuum et Gzzzt , un concert organisé par Infect]


samedi 7 mars 2009

KK Null / Galactic Tornado



















Il est bien loin le temps où on ricanait bêtement avec ce qu’il faut de condescendance à l’annonce de la parution des travaux en solo de KK Null, Kazuyuki Kishino de son vrai nom : Zeni Geva venait de passer en concert (avec X-Rated-X en première partie), électrisant les foules en délire avec son metal sanguinaire/hard core noise indus violentissime -j’exagère à peine. On était en plein dans Desire For Agony, sûrement le meilleur album des japonais avec Nai-Ha et Total Castration, la setlist s’était déroulée comme dans un rêve. Alors ce 10 pouces de KK Null donnait bien envie de rire, quelques plages ambient avec tentatives de mise en boucles. Lorsque on décrète qu’un disque est sympathique cela en dit long sur notre peu d’intérêt pour la chose, on ne peut pas mieux s’exprimer pour expliquer qu’en fait on ne se sent absolument pas concerné.
Depuis KK Null a collaboré avec Jim O’Rourke, James Plotkin, Merzbow, Jon Rose, Chris Watson, Z’ev ou Daniel Menche, joue depuis peu en trio avec Marino Pliakas et Michael Wertmüller (oui la rythmique de Full Blast) et ne dédaigne pas de poser pour une photo avec François Bayle. Il a pratiquement complètement délaissé la guitare et le chant (guttural) pour les dispositifs électroniques -allant jusqu’à affubler sa bidouille du doux nom de nullsonic, ce qui est également le titre d’un de ses albums parus chez Vinyl Communications en 1998- sauf bien sur lorsque il réactive Zeni Geva. Ce curriculum vitae impressionnant est le reflet d’un intense travail de recherche sur les sons, les textures et les formes. KK Null (dont je ne saurais désormais me moquer) fait partie de ces musiciens dont le background est dans les musiques populaires (rock, punk, metal) et qui se sont peu à peu intéressés à des formes de musiques dites savantes (hum). Un pied dans l’electro, un autre dans l’acousmatique et le troisième je ne sais où.
En fait peut être bien un bon coup de pied au cul à l’écoute de Galactic Tornado -s’il y a un domaine dans lequel KK Null n’a fait aucun progrès, c’est bien celui des titres de ses disques- un CD publié par le label ukrainien Quasi Pop. Notre sensei partage avec un musicien comme Ziebgnew Karkowski cette interdisciplinarité (quoique le polonais a eu un chemin inverse, refusant et se rebellant contre le néo académisme des musiques concrètes) mais ces deux punks dans l’âme partagent un autre point commun : le refus du silence, silence jugé comme la facilité absolue et ultime par Karkowski alors que l’on peut logiquement penser que KK Null compose de la sorte, dans le registre de l’intensité et de l’accumulation permanentes, simplement parce qu’il est quelque part toujours resté fidèle à ses débuts avec Zeni Geva et son metal magmatique.
Donc point de silence sur Galactic Tornado mais des brisures, des cassures, des effondrements. Les accalmies ne durent pas. Elles ne doivent surtout pas durer. Il y a toujours des trames synthétiques envahissantes dans cette musique, des trames aux sonorités acides qui s’entrecroisent, picotent, mordent et brûlent. Comme un arrière-fond de techno mais sans aucune putasserie là dedans. Un arrière fond qui dévie rapidement. KK Null se complait alors à rajouter, perturber, accroître les phénomènes sonores -une narration s’impose, une structure apparaît, ou plutôt une dramatique, notre électronicien sait très bien nous emmener là où il souhaite nous emmener. Sa musique possède donc une dynamique et une densité qui font cruellement défaut à la plupart de ses homologues (qui se contentent généralement de donner dans le paysager et l’invitation au voyage), une dynamique qui tire son aisance de la fluidité electro, de l’immédiateté rock et du chaos industriel. Parfois, KK Null frôle également les limites d’un genre qu’il caresse sans jamais réellement l’adopter. Ainsi la première moitié de la plage numéro deux ferait presque penser à du breakcore avec sa rythmique concassée et tournante alors qu’au premier plan on assiste plutôt à un charcutage en règle digne d’un vieux Throbbing Gristle avec ce son qui évoque lui une lamentation déchirante. Avec ses cinq titres intensément glacials et bourrés d’échardes digitales, Galactic Tornado est un disque noir et oppressant mais finalement beau et profondément captivant. Les années n’ont pas changé KK Null.

vendredi 6 mars 2009

Peter Rehberg / Work For Gisèle Vienne 2004-2008

























Que l’on aime ou pas le travail de chorégraphe et de marionnettiste de Gisèle Vienne, le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle a su s’entourer de musiciens qui en valent la peine et qui lui ont toujours offert des écrins musicaux somptueux pour ces spectacles. KTL, d’abord, mais principalement Peter Rehberg (alias Pita) puisque il est l’autre moitié de cet énième groupe de Stephen O’Malley mais surtout parce qu’il a composé sous son propre nom nombre de partitions pour Gisèle Vienne -ou dans le cadre de la compagnie D.A.C.M.- et ce dès Showroomdummies en 2001. C’est le bon côté de la création contemporaine subventionnée. Work For GV 2004 2008 publié par les Editions Mego regroupe en les alternant, les mélangeant judicieusement, des travaux commissionnés pour I Apologize (2004), Une Belle Enfant Blonde (2005) et Jerk (2008). Autant de spectacles de danse contemporaine que je n’ai pas vus et ne verrai sans doute jamais.
C’est là le point fort de ce disque, car s’il fallait bien un motif pour éditer toutes ces pièces ensemble (autrement dit Gisèle Vienne), celles-ci s’affranchissent de tout référent chorégraphique et ce dès la première écoute. Ce n’est pas la présence de Dennis Cooper en tant qu’auteur et récitant des textes sur Murder Version ou Black Holes -et lui aussi collaborateur de longue date de la chorégraphe- qui change la donne : la musique de Peter Rehberg possède son propre langage et sa propre justification. Evidemment si on est allergique à l’electro bruitiste (pour ne pas dire terroriste), à l’indus planant et autres digressions digitales on pensera que Work For GV 2004 2008 n’est qu’un disque inutile de plus, jouant parfois la carte de la poésie sonore avec maladresse, renonçant aux préceptes musicaux fondamentaux (structures, harmonies, sens) que l’on nous apprend à l’école entre deux bâillements d’ennui profond.
L’univers de Peter Rehberg -inquiétant, chaotique, disgracieux, bouillonnant et souterrain- est juste une variation formelle de ce que nos musicologues savants appellent la musique acousmatique, le travail de composition y est réel et passionnant mais il ne possède pas cette prétention sonore et docte que l’on peut trouver chez un Bernard Fort. Rehberg est un enfant des musiques électroniques et de la pulsation organique (pas étonnant donc qu’il se soit associé à O’Malley pour KTL ou qu’il ait fondé le duo Pop avec ce malade de Zbigniew Karkowski). Certains passages de Work For GV 2004 2008 peuvent paraître ennuyeux, le long monologue sur ML3 par exemple mais à tout bien y réfléchir il s’agit peut être là du seul moment réellement dispensable de la petite heure que dure ce disque. Le reste n’est qu’ébullitions, stratifications, évanouissements et remontés de parmi les morts. Définitivement un beau disque de créations sonores.

jeudi 5 mars 2009

Stephen O'Malley / Keep An Eye Out
























La grande affaire du label Table Of The Elements en ce moment c’est de continuer l’autocélébration et de fêter son quinzième printemps (?) avec la fameuse Guitar Series -on a déjà parlé ici de la contribution d’Oren Ambarchi, peut être évoquerons nous celles de Lee Ranaldo et de Christian Fennesz mais, beaucoup plus important, voici avant toutes choses celle de Stephen O'Malley.
Comme toutes les parutions précédentes de la série, Keep An Eye Out se présente sous la forme d’un LP une face, l’autre étant gravée d’un dessin de Savage Pencil, en général un monstre mythologique avec une petite préférence pour les dragons. Je pensais que tous les exemplaires de Keep An Eye Out étaient gravés dans un beau plastique orange seventies mais surprise, il existe également des exemplaires en vinyl transparent, matériau que je croyais réservé à la série n°3 (nous en sommes à la n°4). Inutile de dire que l’objet est bien plus beau dans cette seconde version, la transparence permettant de mieux voir le dessin gravé sur la face muette mais également de jouer avec la lumière lorsque le disque tourne sur la platine -geek inside.
Concrètement Keep An Eye Out est une pièce de dix huit minutes pour laquelle Stephen O’Malley s’est servi d’un vieil oscillateur générant un drone aux variations tellement lentes que l’on n’est pas très loin de l’immobilisme mystique d’un La Monte Young. Encore une démonstration de neo zen analogique contemporain, le genre d’exercice honnête qui passe (ou pas) selon des critères extérieurs n’ayant strictement rien à voir avec la musique : le temps qu’il fait, l’avancement de la digestion, le manque de sommeil, l’addiction à la nicotine, les obligations diverses et variées, bref tout ce qui nous emmerde pour pas grand-chose alors que précisément Keep An Eye Out se passerait bien de ça, étant suffisamment emmerdant en lui-même.
Originalité de cette, hum, composition, les notes aigrelettes qui apparaissent dès les premières trente secondes. Un clavecin ? Un santoor ? Non, tout simplement de la guitare acoustique -instrument inusité pour O’Malley- sonnant de manière acide et désordonnée tandis que le drone passé progressivement au second plan se met à grésiller légèrement. Encore une fois c’est doux et agréable mais il n’y a que les bobos social-traîtres et les journalistes idéalistes pour aimer ça avec ferveur. Endormissement assuré, pas de quoi donc garder l’œil ouvert.

mercredi 4 mars 2009

Gnaw / This Face






















Gnaw est la dernière trouvaille en date de Conspiracy, Gnaw est la curieuse association d’Alan Dubin (Khanate, OLD), de Jamie Sykes (Burning Witch) et de deux ou trois autres inconnus parmi lesquels Jun Mizumachi que l’on nous présente comme un ancien membre de Ike Yard, groupe de cold synthétique new-yorkais du début des années 80 -problème, je ne trouve pas trace de Jun Mizumachi sur la compilation chez Acute records retraçant les anciens méfaits de Ike Yard pas plus que je ne lis son nom dans toutes les bios que j’ai pu trouver sur le groupe. Mais le principe est là : Gnaw est la réunion de métallurgistes doomeux et de tortionnaires sonores à tendance électro indus. Gnaw est ce que d’aucun appelle un super groupe, terminologie repoussante.
This Face
est le premier album de Gnaw et a entièrement été produit par lui-même. Le résultat laisse assez perplexe. Non pas que This Face soit mauvais, bien au contraire, son écoute risque de donner quelques frissons nauséeux aux âmes sensibles mais je me demande toujours où le groupe veut en venir. Il y a trop de choses dans cette musique, tellement de citations, tellement de références, tellement d’emprunts, cela fourmille tellement d’intentions déclarées que cela finit par ne ressembler à rien, à un gros pudding sonore et terroriste si on veut.
Le CD offre neuf titres (le LP, en vinyle rouge ou blanc, n’en propose que sept). Haven Vault annonce la couleur avec ses textures bruitistes en coups de vent tandis que la batterie assaisonne quelques roulements et que Dublin joue au grand golem. Le chant est d’ailleurs un problème récurant de This Face : autant Dublin était finalement très bien canalisé dans Khanate autant là il prend toute la place, en résumé il en fait des tonnes et beaucoup trop longtemps. Haven Vault s’achève sans que l’on comprenne pourquoi et on enchaîne avec Vacant, pale imitation synthétique des Swans. Talking Mirrors est nettement plus convaincant avec ses déflagrations et ses rythmes tribaux mais s’essouffle très vite. Feelers adopte d’emblée le langage de la surenchère, oui les rythmes peuvent impressionner, oui les sons des ingénieurs qui travaillent en arrière-plan peuvent faire mal aux oreilles mais tout ceci est si caricatural (ah le passage ambient au milieu avec ses pets digitaux), si convenu dans l’extrême… Il y a un peu plus de vie dans Backyard Frontier, ce cinquième titre réunit les mêmes éléments que précédemment mais l’alchimie prend enfin, peut être à cause de ce bourdonnement et de ces crissements qui jouent plus au vice qu’au tir de mortier.
Watcher
confirme cette approche moins prétentieusement explosive et le chant quitte le registre du type en train de se faire émasculer avec une râpe à fromage pour adopter un style clair, vaguement incantatoire tout en restant traînant, malsain quoi. Sur Ghosted Alan Dubin reprend ses habitudes de démon possesseur d’enfant mais ce titre est suffisamment déconstruit, suffisamment dégraissé pour passer la rampe lui aussi. Le LP s’arrête ici -et encore l’ordre des trois derniers titres est inversé, Backyard Frontier terminant la face B- mais le CD continue : Shard est un mix tribal avec bandes à l’envers, manipulations sonores et feulements de voix. BYF (reprise) est presque une chute de studio, un interlude de deux minutes, mais comme il n’y a plus d’autre titre après c’est un interlude qui sert à rien.
Il y a des jours où ce disque est franchement exaspérant et où il mérite tout simplement un allez simple pour la poubelle ou un magasin de disques d’occasion. Il y a d’autres moments où il l’est tout autant mais où on se dit que tout ceci n’est qu’un immense gaspillage, un ratage honteux et maniéré qui laisse entrevoir -en particulier sur sa deuxième moitié- ce qui aurait pu être un disque surpuissant, marécageux et urbain, bruyant et audacieux. Mais, non, This Face est juste un disque prétentieux qui sent la bidouille de studio et le rafistolage.